En finir avec le mythe de la première fois

Résumé

« Perdre sa virginité », le faire « pour la première fois », « percer son hymen », les expressions entourant la découverte du plaisir sont pas mal poussiéreuses et se pensent souvent autour de la sacro-sainte pénétration. Et si on déconstruisait tout ça un peu?

Je ne devais pas avoir beaucoup plus de 15 ans. Mes amies se regroupaient autour de l’une d’entre nous : « Aloooors, tu l’as fait ? » Torse bombé, visage rougissant de fierté, elle répondait : « Oui, je l’ai fait. » On n’avait pas besoin de préciser de quoi on parlait, c’était tacite.

La « première fois ».

Je m’en faisais une montagne. Ce serait sûrement doux, beau, et ça ferait mal aussi. Tout le monde le disait. Je me souviens de me demander quand ça m’arriverait. Si ça pouvait être comme dans les films romantiques. Si ça allait être tendre. Avec qui ça se passerait. Moi qui n’attirais pas forcément les garçons. Moi qui, à l’époque, me pensais hétéro, surtout.

La toute, toute première fois

Et puis j’ai rencontré une fille. Cette fille m’a fait comprendre qui j’étais, ou plutôt ce que j’étais. Lesbienne. On a discuté, beaucoup, on s’est dit qu’on était amoureuses, c’est devenu ma blonde, puis on s’est retrouvées chez moi. Et une fois enfermées dans ma chambre, on s’est vraiment rapprochées. 

C’était romantique, beau et doux.

Mais je n’ai pas eu mal, alors ça ne correspondait pas vraiment aux images préconçues que j’avais. Je n’ai pas eu l’impression de la faire, cette première fois.

Ce n’est que bien plus tard que je me suis rendu compte que c’était bel et bien le cas. C’était effectivement une première fois. Pourtant, je ne pouvais me départir de cette impression étrange : ça ne ressemblait pas du tout à cette montagne à laquelle je m’attendais. Ça ne correspondait pas à toutes ces histoires à la télé. Il n’y avait pas eu de quoi m’en faire perdre mon hymen. Pas de douleur. Pas de sang. Pas de pénétration avec un pénis, en fait.

C’est seulement quelques années après que j’ai réalisé : « Hey, attends, mais je ne suis pas vierge en fait ! ». Parce que j’avais, moi aussi, intégré cette idée selon laquelle il FALLAIT un pénis dans l’équation. Sinon, ce n’était que du touche-pipi, de l’enfantillage, pas vraiment un vrai truc. Je disais que j’étais vierge de pénis ; je disais que j’étais vierge, même, parfois. On pourrait parler d’homophobie intériorisée, mais ce n’est pas le sujet.

Mais c’est quoi être vierge alors ?

Le concept de la perte de virginité (surtout chez les femmes) servait avant tout à vérifier que la femme était pure avant le mariage. On en a déjà parlé dans cet autre article sur la virginité : cette expression cache surtout une réalité patriarcale. Notion sociale, culturelle et très religieuse, elle est souvent associée aux questions d’honneur et de pureté. Elle peut donc être utilisée pour contrôler le corps des femmes et leur liberté d’en disposer comme elles le souhaitent. 

De plus, la virginité peut être un fantasme pour les hommes, ce fantasme étant aussi lié à la domination masculine, comme si la femme vierge était l’appartenance de l’homme parce qu’elle n’en a jamais connu aucun avant.

La Sainte Trinité préliminaire-pénétration-orgasme

Dans les films, les séries, la porno mainstream, le discours des médias et même celui de nos ami·e·s, c’est souvent la même chose. La norme de cette première fois, c’est la pénétration hétérosexuelle. Mais avec des « préliminaires » ! Ceux-ci seraient donc une mise en bouche, un échauffement pour la vraie chose. Fellation, cunnilingus, caresses, masturbation réciproque et autres jeux de tendresse ne seraient qu’un moyen de faire monter l’excitation pour préparer la pénétration. Sans oublier qu’elle seule doit mener à l’indubitable orgasme, transformant de fait ce moment d’échange en une recherche de performance sexuelle.

Ça manque-tu pas un peu d’originalité ?

C’est fini l’époque où on ne baisait que pour enfanter, on peut se faire plaisir maintenant !

En plus d’être boring as fuck, promouvoir la pénétration comme seul acte « validant » une première fois pose problème dans les rapports hétérosexuels, puisque cette idée met une pression sur les deux partenaires. Cela invisibilise aussi toutes les autres pratiques sexuelles : les rapports gais, lesbiens, queers, mais aussi les « préliminaires », comme s’il ne s’agissait que d’un préambule incomplet en attente d’autre chose. Et on se retrouve avec des personnes qui, comme moi, réalisent deux ans après l’acte qu’elles ne sont plus « vierges ». 

Il existe une multiplicité de pratiques sexuelles, de façons d’envisager un rapport à deux (ou plus !), de le définir et de le penser. Faque ça paraît absurde et complètement obsolète de ne penser la première fois qu’autour de ce phallus arrachant la pureté féminine.

De multiples premières fois

On entend de plus en plus de personnes parler du commencement de leur vie sexuelle, de leurs « débuts », en considérant leur première masturbation comme leur première fois. Comme une première rencontre avec le plaisir sexuel, et avec l’effet qu’il a sur le corps, sur l’esprit. 

D’autres personnes définissent leur première fois par un rapport particulièrement important, survenu parfois plusieurs années après avoir « commencé leur vie sexuelle », et qui leur a fait découvrir une nouvelle expérience. D’autres encore parlent de multiples premières fois, et les définissent en fonction de leur vécu et de leurs expériences.

On en avait déjà parlé dans cet article témoignage, mais c’est finalement à chacun·e de définir sa propre première fois. Quitte à, pourquoi pas, ne jamais rien définir comme tel.

  • Andro, A. & Bajos, N. (2008). La sexualité sans pénétration : une réalité oubliée du répertoire sexuel. Dans : Nathalie Bajos éd., Enquête sur la sexualité en France: Pratiques, genre et santé (pp. 297-314). Paris: La Découverte.

    Blank, H. (2007). Virgin : The untouched history. New York : Bloomsbury.

    Cinthio, H. (2015). « “You go home and tell that to my dad!” Conflicting claims and understandings on hymen and virginity », Sexuality & Culture, no 19, p. 172-189.

    Dunn, J. C. et Vik, T. A. (2014). « Virginity for sale: A foucauldian moment in the history of sexuality », Sexuality & Culture, no 18(3), p. 487-504.

    Dylan, N. (2009). Why I’m selling my virginity. The Daily Beast. http://www.thedailybeast.com/blogs-and-stories/2009-01-23/why-im-selling-my-virginity/.

    Frasier, L. D. et Makoroff, K. L. (2006). « Medical evidence and expert testimony in child sexual abuse », Juvenile and Family Court Journal, no 57(1), p. 41-50.

    Hatzenbuehler, M. L. (2009). « How does sexual minority stigma “get under the skin”? A psychological mediation framework », Psychological bulletin, no 135(5), p. 707.

    Hegazy, A. A. et Al-Rukban, M. O. (2012). « Hymen : facts and conceptions », The Health, no 3(4), p. 109-115.

    Herek, G. M. (2004). « Beyond “homophobia”: Thinking about sexual prejudice and stigma in the twenty-first century », Sexuality Research & Social Policy, no 1(2), p. 6-24.

Si la lecture de cet article a titillé ta curiosité, il y a un épisode de notre balado À quoi tu jouis? qui parle de culture et sexualités lesbiennes.