COCQ-SIDA

Ce que mon ami gai m’a appris sur le dépistage des ITSS

Cet article est présenté par COCQ-SIDA, la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida.

Throwback — été 2017

J’ai 25 ans. 

C’est une chaude soirée de juillet, mes amies et moi sommes installées sur une nappe au parc La Fontaine, chacune avec une canette de sangria Pepito à la main (we’ve all been there). 

On placote de tout et de rien, mais surtout de tout sans tabou : en quatre minutes et quart, les phrases « la dernière fois que j’ai viré une brosse, j’ai dû demander à mon chum d’enlever mon tampon », « je pense que j’ai le côlon irritable » et « je suis venue fontaine ce matin » cohabitent dans notre écosystème de confidences éclectiques. 

Quand on est amies depuis la première année du secondaire, les malaises sont inexistants. 

Ou du moins, c’est ce qu’on pensait.

Après que Gwen a révélé qu’elle avait failli dégobiller ses sashimis sur l’engin de son copain lors d’une fellation un peu trop intense sur son gorgoton, Jade nous dit qu’elle pense avoir la chlam.

Si des témoins qui ne nous connaissent pas assistaient à notre échange, minces seraient les chances qu’ils ou elles y décèlent le moindre embarras. Sauf que, du haut de nos dix ans d’amitié, je sens très bien que cette révélation vient de nous shaker

En tant qu’amies modèles (ou qui essaient de l’être), on accueille son inquiétude avec bienveillance et on essaie de la rassurer. N’empêche, une onde de choc à peine perceptible nous enveloppe et on a du mal à trouver les mots qu’il faut.

Avec du recul, je mets notre réaction sur le dos du fait qu’on était une gang de filles début vingtaine, mostly hétéros et en relation monogame fidèle depuis un petit bout. Seules Jade et Noémie étaient célibataires. 

Revenons à nos morpions, euh nos moutons, huit ans plus tôt lors de ce pique-nique qui piquait plus que prévu sur Le Plateau-Mont-Royal. 

Malgré toutes nos bonnes intentions, on était (pas mal) ignorantes par rapport aux infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) et à leur dépistage. Je m’en suis rendu compte. Jade s’en est rendu compte. Toute notre belle trâlée d’amitié s’en est rendu compte.

Une fois notre session de confessions terminée, je rejoins mon ami Fabien dans un bar du Village.

Rapidement, il se rend compte que j’ai la tête ailleurs. Je lui explique que mon amie vient de nous dire qu’elle pense avoir la chlamydia pis que ma réaction a été « nulle à chier » (mes mots de l’époque).

Pour quelqu’une qui s’adonne aux plaisirs des fesses depuis huit ans, je réalise que je connais pas grand-chose aux ITSS, outre le fait qu’elles me font peur (je l’avoue).

N’en faut pas plus pour que mon ami s’enflamme : « C’est parce que vous les hétéros, vous avez été vraiment moins ciblés par les grosses crises d’ITSS pendant un ostifi de boutte, donc vous êtes un peu clueless quand ça vous touche! »

« Qu’est-ce que tu veux dire? » que je lui demande.

[Ce qui suit est son simili TED Talk sur le dépistage et les ITSS dont je me souviens encore à ce jour, bonifié d’informations trouvées via des articles scientifiques. OK bye-bye, c’était mon moment Ramdam à même un article.]

Fabien de reprendre : 

« Premièrement, je t’apprends rien si je te dis que la communauté gaie a vécu une énorme crise du VIH à partir des années 80. Dans ce temps-là, on savait qu’on faisait affaire à quelque chose de mortel, mais sans savoir c’était quoi ni comment ça se transmettait et comment le traiter. C’était une vraie pandémie. »

« Une pandémie c’est quand ça touche toute la planète, c’est ça? » [Lol, aujourd’hui, cette question me paraît absurde.]

« Exact. Sauf que c’est pas juste le virus qui s’est propagé mondialement… les préjugés aussi. Les gens qui avaient des pratiques sexuelles “moins traditionnelles”, comme les communautés queers et, surtout, les hommes gais, étaient pointés du doigt.

Au pire de la crise, le VIH était souvent appelé “la peste gaie” ou “le cancer gai”. Ça envoyait le message que les hommes gais étaient automatiquement associés à cette maladie. 

Tu peux t’imaginer que la peur et la violence homophobes étaient dans le tapis à ce moment-là. La société essayait de contrôler les hommes gais et leur reprochait leur sexualité.

L’association “sexe entre deux hommes = sida” était tellement répandue que même les homosexuels se sont mis à croire qu’ils allaient tôt ou tard contracter le VIH. Tellement qu’à un certain moment, certains se sont mis à arrêter de se protéger. »

« Arrêter??? » 

« Imagine si on te disait que no matter how hard you try de pas tomber enceinte, tu vas finir par l’être pis tu sais même pas quand. Tu trouverais pas que le condom donne pas grand-chose finalement? Pis là, je compare pas le VIH à un bébé, mais tu piges la patente?  [Je pigeais en titi.]

C’était tellement intense que même l’accès aux soins de santé était restreint. Comme si notre orientation sexuelle nous enlevait le droit d’être en santé ou de prendre notre santé sexuelle en main.

Tout ça pour dire que, comme la communauté 2SLGBTQIA+ était laissée à elle-même, on n’a pas eu d’autre choix que de militer pour avoir des traitements si on voulait survivre. 

Cette crise-là a été dure, compliquée et vraiment triste. Sauf que maintenant, les hommes gais et les personnes queers, en général, comprennent mieux les ITSS, la prévention et le dépistage. On a, pour une fois, une longueur d’avance sur vous autres, les straights.

Des fois, en entendant vos histoires, j’ai l’impression que votre statut de “non-homo” vous permet d’avoir des comportements un peu plus à risque. »

« Quel genre de comportements? »

« Disons, de pas se protéger dans une relation monogame parce que vous êtes fidèles, mais pas non plus se faire dépister quand la relation finit et que vous changez de partenaires.

Ou bien, de décider d’enlever le condom “parce que tu l’aimes et tu lui fais confiance”.

Ou encore, d’attendre d’avoir des symptômes pour aller se faire tester… quand tu peux avoir une ITSS sans que ça pique, que ça brûle ou que ça paraisse.

Mais tsé… je vous blâme pas. Vous avez pas notre historique.

Ça fait que tu diras à ta chum de : 

  1. pas paniquer si elle pense avoir la chlam; ça se règle avec des antibios comme une autre infection qui toucherait une autre partie de son corps;
  2. aller se faire dépister ASAP;
  3. se protéger si elle a d’autres rapports sexus avant qu’elle obtienne ses résultats;
  4. pas capoter non plus si elle a un autre diagnostic; les avancées scientifiques sont impressionnantes maintenant et même les ITSS chroniques peuvent être traitées; et,
  5. dire merci aux gais. »

Merci aux gais, certain. 

Merci à toutes les personnes de la communauté 2SLGBTQIA+ qui se sont battues pour faire évoluer la médecine moderne, et qui réconfortent et éduquent aujourd’hui leurs ami·e·s comme moi qui ne comprennent pas toute toute, mais veulent bien bien faire.