Attirance sexuelle versus sentiments amoureux : une réflexion sur le concept d’orientation sexuelle

Résumé

L’orientation sexuelle et l’orientation romantique, est-ce que c’est la même chose? Pas vraiment. La chercheuse en sexologie Léa Séguin décortique tout ça.

Si je te disais que je suis une femme et que tous mes partenaires amoureux ont été des hommes, à quelle orientation sexuelle m’associerais-tu? Et si j’ajoutais que le corps des hommes ne m’allume pas sexuellement, que plusieurs de mes fantasmes sexuels impliquent des femmes et que j’ai déjà eu des interactions sexuelles avec d’autres femmes (sans objectif d’exciter des hommes hétéros ou d’attirer leur attention ), changerais-tu d’avis?

La plupart du temps, quand on parle d’orientation sexuelle, on fait référence à l’attirance et aux comportements sexuels, mais aussi aux sentiments amoureux. Dit autrement, on en parle non seulement en termes de qui on baise (ou de qui on désire baiser), mais aussi en termes de personnes avec qui on est en amour ou avec qui on aimerait former un couple. 

Pourtant, bien que l’orientation sexuelle soit corrélée avec l’orientation romantique, ce sont des concepts bien différents.    

D’abord, c’est quoi, l’orientation sexuelle?

De manière générale, l’orientation sexuelle renvoie à l’attirance sexuelle qu’une personne ressent envers d’autres personnes selon leur genre/sexe. Cependant, selon certain·e·s scientifiques, l’orientation sexuelle implique plusieurs dimensions au-delà d’une simple attirance sexuelle. Selon Fritz Klein (1993) , elle impliquerait également les comportements et les fantasmes sexuels, les préférences émotionnelles et sociales, le style de vie et l’auto-identification (hétéro, gai/lesbienne, bisexuel·le, pansexuel·le, etc.). 

Même le gouvernement du Canada (2020) inclut les notions d’amour et d’intimité dans sa définition d’orientation sexuelle. Ce n’est donc pas un concept simple dont la définition fait consensus. Et les recherches scientifiques confirment la nature complexe, voire bordélique, de ce concept – surtout, mais pas seulement, quand il s’agit de bisexualité.  

Selon l’Étude des parcours relationnels intimes et sexuels (ÉPRIS) – une étude pancanadienne menée en 2013 auprès de 6449 personnes – 39 % des gens ont dit se sentir sexuellement attirés par des personnes du même sexe et d’un autre sexe. Ce pourcentage descend à 26 % quand il est question d’avoir déjà eu des contacts sexuels avec des personnes du même sexe et d’un autre sexe. En revanche, seulement 11 % des Canadien·ne·s se sont identifiés comme bisexuels. Voilà pourquoi il est important de vérifier les définitions utilisées par les scientifiques lorsqu’on examine les statistiques sur l’orientation sexuelle!

Pourrait-on donc simplement établir l’orientation sexuelle d’une personne en fonction de ce qui l’excite physiologiquement?

Réponse courte : nope

Dans une expérience en laboratoire, on a demandé à des hommes et des femmes cisgenres de différentes orientations sexuelles de visionner des vidéos présentant des interactions sexuelles entre une femme et un homme, entre deux hommes, entre deux femmes et… entre deux bonobos (ahem), puis d’indiquer à quel point ces scènes les allumaient sexuellement (Chivers et al., 2007). 

Pendant le visionnement, des appareils mesuraient le degré d’érection du pénis et de lubrification du vagin. C’est en comparant les données physiologiques et subjectives qu’on s’est aperçu que l’excitation génitale ne concordait pas toujours avec l’excitation mentale. 

Les écarts entre l’excitation physiologique et mentale sont plus grands chez les femmes que chez les hommes, surtout chez les femmes hétéros (Chivers et al., 2010).

Alors que l’excitation mentale des hommes est plus susceptible de correspondre à leur excitation génitale, les femmes présentent un patron d’excitation plus contradictoire. 

Plus spécifiquement, leur excitation mentale concorde avec leur orientation sexuelle, mais leur excitation génitale est plus indiscriminée : les femmes ont tendance à lubrifier, peu importe si elles visionnent des interactions sexuelles entre un couple gai, lesbien, hétéro… ou même de bonobos! Si la scène est de nature sexuelle, leurs organes génitaux s’engorgent de sang. 

Voilà d’ailleurs pourquoi on ne peut pas déterminer qu’une personne est consentante ou qu’elle vit du plaisir sexuel simplement basé sur son érection ou sa lubrification. Une personne peut bander ou mouiller sans se sentir horny et vice versa. Les résultats des recherches comme celles de la Dre Chivers et de son équipe montrent plutôt que l’excitation génitale est davantage une question de réflexe physiologique que de vérité absolue sur l’orientation sexuelle, le plaisir, le consentement ou l’excitation mentale. 

Il est donc important de ne pas tenir pour acquise la réalité sexuelle et relationnelle d’une personne uniquement en fonction de son excitation génitale ni en fonction de comment elle s’identifie. 

Par exemple, une femme pourrait choisir de s’identifier comme hétérosexuelle même si elle a plein de fantasmes sexuels lesbiens et qu’elle a déjà couché avec d’autres femmes, simplement parce qu’elle a seulement éprouvé une attirance romantique envers des hommes au cours de sa vie. Et cette auto-identification est complètement valide. En fait, le critère le plus important pour déterminer l’orientation sexuelle d’une personne, c’est le mot qu’elle utilise pour la désigner, peu importe ce que disent les définitions. 

En parlant d’orientation romantique…

L’orientation romantique, c’est-à-dire l’attirance amoureuse et émotionnelle envers d’autres personnes selon leur genre/sexe, est un aspect important à considérer quand on parle d’identité ou d’orientation « sexuelle ». 

La recherche soutient ce constat. Dans une étude récente, 64 % des personnes s’étant identifiées comme bisexuelles se sont identifiées comme biromantiques, tandis que 23 % se sont identifiées comme hétéroromantiques (Clark et Zimmerman, 2022).

D’accord, donc ce ne sont pas 100 % des personnes bisexuelles qui sont biromantiques, mais on peut affirmer que 100 % des personnes hétéros sont hétéroromantiques, right? Think again

Selon la même recherche, 4 % des personnes hétérosexuelles ne sont pas hétéroromantiques (Clark et Zimmerman, 2022). De même, 19 % des personnes gaies/lesbiennes ne sont pas homoromantiques et 29 % des personnes pansexuelles ne sont pas panromantiques. 

Faire la différence entre l’orientation sexuelle et romantique est d’autant plus pertinent quand il s’agit de personnes asexuelles, c’est-à-dire des personnes n’éprouvant pas de désir sexuel ou d’attirance sexuelle envers autrui. En fait, la plupart de ces personnes vivent des sentiments amoureux et désirent former un couple. 

Selon le AVEN Community Census (Sennkestra, 2014), 47 % des personnes asexuelles s’identifient comme hétéroromantiques, 20 % comme biromantiques ou panromantiques et 10 % comme homoromantiques. Seulement 19 % s’identifient comme aromantiques, c’est-à-dire n’ayant aucun sentiment amoureux envers autrui. 

L’orientation sexuelle n’est ni catégorielle ni fixe à travers le temps 

Ces écarts entre orientation sexuelle et orientation romantique pointent au fait que ces concepts se mesurent sur un spectre, c’est-à-dire par degré plutôt que par catégories nettes. 

Alfred Kinsey, le grand-père de la sexologie moderne, est l’un des chercheurs à s’être rendu compte que plusieurs personnes ne cadrent pas parfaitement dans les catégories « hétérosexuel·le » ou « gai/lesbienne » ni même dans la catégorie « bisexuel·le ». Ceci l’a mené à publier l’échelle Kinsey en 1948 pour mesurer l’orientation sexuelle sur un spectre. 

Cette échelle est loin d’être parfaite et n’est pas à l’abri de critiques, mais elle a néanmoins contribué à la reconnaissance que l’orientation sexuelle est plus complexe qu’on ne le pensait!  

Note | Description
0 | Exclusivement hétérosexuel
1 | Majoritairement hétérosexuel, occasionnellement homosexuel
2 | Majoritairement hétérosexuel, mais plus qu’accessoirement homosexuel
3 | A la fois hétérosexuel et homosexuel
4 | Majoritairement homosexuel, mais plus qu’accessoirement hétérosexuel
5 | Principalement homosexuel, accessoirement hétérosexuel
6 | Exclusivement homosexuel
X | Pas de contacts ou de réactions socio-sexuelles

Non seulement l’orientation sexuelle n’est pas catégorielle, mais elle n’est pas statique non plus : elle peut changer au cours de la vie.

Ce phénomène est ce qu’on appelle la fluidité sexuelle, ou la capacité à faire preuve de flexibilité dans sa réponse sexuelle selon les situations de vie. 

C’est ce qui fait en sorte qu’un même individu pourrait éprouver de temps à autre un désir ou une attirance n’allant pas dans le même sens que son orientation sexuelle « globale » (Diamond, 2008). Autrement dit, les critères qui font qu’une personne est attirée par une autre ne sont pas fixes, et peuvent changer à travers le temps.

On a longtemps pensé que c’était un phénomène qui se produisait seulement (ou presque) chez les femmes, mais des recherches plus récentes remettent en question cette croyance (Katz-Wise et Todd, 2022). 

En revanche, selon une recension des études ayant examiné la fluidité sexuelle à travers le temps, celle-ci serait plus commune chez les personnes issues de la diversité sexuelle, surtout chez les personnes bisexuelles (Diamond, 2016). Entre 26 et 66 % des hommes et entre 46 et 68 % des femmes issu·e·s de la diversité sexuelle font preuve de fluidité sexuelle au cours de leur vie (Diamond, 2016). 

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Tout cet article pour dire que c’est normal si tu ne cadres pas parfaitement dans une catégorie d’orientation sexuelle. C’est normal d’avoir des questionnements ou des réflexions sur ton orientation sexuelle.

C’est normal si ton attirance, ton orientation, tes comportements et tes fantasmes sexuels ne concordent pas toujours à 100 % selon les définitions.

C’est normal si tes orientations sexuelle et romantique changent au cours de ta vie. 

Tu es normal·e, point barre.

Cela dit, si tu vis de l’angoisse, de la détresse ou des questionnements à l’égard de ton orientation sexuelle ou romantique, ou encore si tu souhaites poursuivre tes réflexions à ce sujet, sache que tu n’es pas seul·e. Les ressources suivantes sont là pour t’aider : 

  • Interligne (pour les personnes LGBTQIA+)
  • Prisme Québec (pour les hommes cis et trans de 22 ans et plus, issus de la diversité sexuelle)
  • GRIS-Québec – L’Accès (pour les jeunes LGBTQIA+ de 18 à 25 ans)
  • RÉZO (pour les hommes cis et trans issus de la diversité sexuelle)