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Damaged Goods : mon long parcours en (in)fertilité

Traumavertissement : Dépression, santé mentale, cauchemars, imagination de fausse couche

Il était écrit, au haut de la page, « diagnostic : infertilité ». C’est curieux comme diagnostic, car l’infertilité, du moins dans la plupart des cas, n’est pas un diagnostic plus valide que « insomnie » ou « douleurs abdominales ». Pourquoi une personne a des difficultés à dormir ou a mal au ventre? C’est la racine du problème, et non les signes ou les symptômes, qui devrait être le diagnostic. Après tout, ce n’est que lorsqu’on a un diagnostic exact qu’on peut bien s’armer et s’attaquer au problème, non?

So let’s try again : je suis infertile, parce que…?

Le jour où le ciel a commencé à s’écrouler

En fait, au moment où ma fertologue me remet cette feuille de papier, elle ne peut pas me donner de réponse.

« Plus précisément, dans des cas comme le vôtre, le diagnostic qu’on pose est plutôt « infertilité inexpliquée ». Environ 30 % des couples infertiles ont une infertilité inexpliquée. »

Elle disait « infertilité inexpliquée », mais j’entendais : « On ne sait pas quel est ton problème. On ne sait pas comment te réparer. » Don’t I feel so fucking lucky.

Je repensais au premier test auquel on m’avait soumise, une échographie pour vérifier l’état de mon utérus et de mes ovaires. C’était à ce moment-là, allongée sur la table d’examen, que je l’avais finalement vue. La preuve que quelque chose n’allait pas avec mon corps.

À l’écran, je pouvais distinguer plus d’une vingtaine de petits follicules dans chacun de mes ovaires – des petits trous sombres là où il aurait dû y en avoir beaucoup moins – me confirmant qu’il y avait un problème avec mes ovaires, avec mes hormones ou avec mon ovulation. Peut-être que je n’ovulais même pas.

Le terme « ovaires polykystiques » avait été lancé nonchalamment par le médecin alors qu’il tenait l’équipement d’une main et manipulait l’écran de l’autre. Enfin un indice pour expliquer pourquoi je n’étais toujours pas enceinte plus d’un an après que mon chum et moi avions commencé à « essayer ».

Personne ne comprenait pourquoi j’avais des ovaires polykystiques. Mais à ce moment-là, je n’écoutais plus. C’était finalement officiel. Si je ne pouvais pas avoir d’enfants, c’était à cause de moi. Je ne savais plus à quoi penser. C’était déstabilisant. Je me sentais engourdie, insensible. Étrangement, presque sereine. Le calme avant la tempête.

Brouillard sombre, broyer du noir

De retour à la maison avec une ordonnance pour du Letrozole dans la main et le diagnostic d’infertilité inexpliquée pesant dans le cœur, un orage s’élevait tranquillement dans ma tête. Ce n’était pas seulement le fait que quelque chose n’allait pas avec mon corps. C’était que mon corps était défectueux. Que j’étais défectueuse.

Mes pensées s’étaient mises à déraper. « Est-ce que c’est ma faute? Ai-je fait quelque chose pour provoquer ça? Est-ce mon alimentation? Est-ce que c’est parce que je suis trop sédentaire? Parce que je bois trop souvent? Parce que parfois je fume du weed? Parce que j’ai eu un trouble alimentaire à l’adolescence? »

J’étais désespérément à la recherche d’une réponse. J’essayais à tout prix de m’accrocher à quelque chose qui donnerait un sens à tout cela et qui me permettrait de regagner la moindre once de contrôle.

Si je connaissais la cause de mon infertilité, je pourrais prendre des mesures pour changer la donne. Sans réponse, il ne me restait plus que la résignation et l’impuissance, des propos autodénigrants et la haine de soi. Il ne me restait plus que des « explications » irrationnelles du fait que je ne pouvais pas tomber enceinte. Je devenais mon propre bourreau.

« C’est parce que l’univers ne veut pas que tu sois normale. » 

« L’univers est en train de te punir pour un tort que tu as fait. » 

« Tu n’es pas une bonne partenaire. » 

« Tu es déficiente, endommagée, brisée et sans aucune valeur. » 

« Tu n’es pas une vraie femme. »

All of the above.

Un rêve (cauchemar?) récurrent m’était revenu à l’esprit pour me hanter, un rêve qui me rend visite depuis mes douze ans. Dans une version de ce dernier, j’ai mon bébé dans les bras. Si beau, si vulnérable. Et, peu importe ce que je fais, la catastrophe parvient toujours à nous gagner. Je l’égare pour ensuite ne plus jamais le retrouver ou il succombe à une maladie, des blessures ou à un accident violent. Noyé, étouffé ou dégringolant un escalier.

À mesure que je vieillissais, le rêve s’est mis à inclure une grossesse. Le bébé serait à l’intérieur de moi, vivant, grouillant et grandissant, pour qu’ensuite je le perde en faisant une fausse couche, en donnant naissance à un mort-né ou en me le faisant enlever après l’accouchement, pour ne plus jamais le revoir. J’aurais alors le corps d’une mère, mais sans enfant pour l’être. Je redevenais alors « juste » une femme.

Recevoir un diagnostic d’infertilité m’avait menée à voir ces rêves comme le signe évident que la parentalité n’était pas – n’avait jamais été – pour moi.

C’était comme si mon corps essayait de me dire, depuis des décennies, qu’il ne serait pas en mesure d’accomplir cette tâche pourtant si facile et si naturelle pour plusieurs.

J’étais tannée de baigner dans un tourbillon d’émotions et de faire des allers-retours constants entre l’espoir et le désarroi, la volonté et l’abandon. Encore et encore. D’être tourmentée par la peur et la frustration. Par un optimisme douloureux. Lorsque mes règles étaient en retard, je ne me permettais pas de goûter à la joie et à l’espoir, fruits interdits pourtant si accessibles aux autres qui rêvent d’avoir des enfants. Un diagnostic d’infertilité est déjà lourd en soi, mais la chercheuse en moi trouvait cela encore plus difficile de la voir qualifiée d’« inexpliquée ». 

J’ai alors décidé que si mes médecins n’arrivaient pas à me sortir du brouillard, j’allais trouver le chemin moi-même.

Savoir, c’est pouvoir

Je me suis donc mise à éplucher des livres, des articles scientifiques, des entrées Wikipédia, des forums sur Internet, des groupes de soutien virtuels, name it. N’importe quoi qui pourrait m’aider à élucider mon diagnostic inexpliqué ou m’apporter des pistes de solution. Je chutais en trombe dans le terrier du lapin blanc. 

Le syndrome des ovaires polykystiques? Doesn’t seem to fit. Le syndrome de l’X fragile? Nope. L’hyperplasie congénitale des surrénales? Non plus. L’endométriose? Hold on. Wait just a minute… 

Peut-être bien. Probablement même. 

L’endométriose est une maladie chronique qui survient lorsque des cellules semblables à celles tapissant les parois internes de l’utérus (l’endomètre) se développent, s’implantent et se propagent à l’extérieur de ce dernier. Des implants d’endométriose peuvent se retrouver, entre autres, sur les ovaires, les trompes de Fallope, les intestins, le rectum, la vessie et même sur le diaphragme. Tout comme l’endomètre, ces implants réagissent aux fluctuations d’estrogène tout au long du cycle menstruel. Ceci veut dire qu’ils saignent chaque mois, mais que, contrairement à l’endomètre, ils ne peuvent pas s’évacuer du corps. Ceci peut à son tour causer de l’inflammation et une cicatrisation des organes atteints, ce qui peut être très douloureux.

Illustration par Geneviève Bergeron

Au Canada, environ 7 % des personnes dotées d’un utérus ont reçu un diagnostic d’endométriose et près d’un quart de ces dernières ont reçu un diagnostic d’infertilité (Singh et al., 2020). Les causes de l’endométriose sont encore inconnues et il n’existe aucun remède. Aujourd’hui, le meilleur traitement consiste à enlever les implants chirurgicalement… Mais la seule manière de poser un diagnostic sûr est de confirmer la présence de la maladie lors de la chirurgie.

Comme j’ai un long historique de trauma auprès du personnel médical (ça, c’est une autre histoire!), l’idée de m’affirmer et de convaincre ma fertologue de réaliser une opération exploratoire pour pouvoir confirmer la présence d’endométriose dans mon corps était absolument terrifiante. Avec le soutien et les encouragements de mon partenaire, mon accumulation de connaissances sur l’endométriose ainsi qu’un épisode où j’ai craqué sous le poids du désespoir et pleuré à chaudes larmes devant l’infirmière, j’ai éventuellement réussi à convaincre mon médecin de me mettre sur la liste d’attente pour une opération. 

Six mois plus tard, alors que j’étais sous anesthésie générale, on a retiré un endométriome de mon ovaire gauche, ainsi que quelques implants d’endométriose ici et là. Mes ovaires étaient (et sont toujours) recouverts de cicatrices et d’endométriose. J’avais enfin reçu mon diagnostic : endométriose, stade 3. So, there you have it.

Je n’étais pas folle. Je n’étais pas en train de m’imaginer des choses. Je n’étais pas « juste » une drama queen. Je suis infertile parce que je suis atteinte d’endométriose. Bien que je sois loin d’être enceinte, mes règles sont à présent beaucoup moins douloureuses qu’auparavant, grâce à l’opération. Et je retrouve également un peu de réconfort dans cette réponse – cet indice – au beau milieu d’un océan de questions. Une étape à la fois.  

Au moment où je rédige ce texte, trois ans se sont écoulés depuis que mon partenaire et moi avons commencé à essayer d’avoir des enfants. Trois années de hauts et de bas, de montagnes russes d’émotions, et de cheminement, tant sur le plan personnel que relationnel.

Je sais que ma valeur en tant que personne et en tant que femme ne dépend pas d’une capacité à tomber enceinte ou à produire des enfants. Je sais que j’ai tellement plus à offrir. Je suis généreuse, empathique et motivée. J’ai un esprit fort et curieux. J’ai le don de décortiquer de manière critique les phénomènes socioculturels et d’écrire avec éloquence à leur sujet. Je suis une chercheuse et une éducatrice passionnée, une cuisinière extraordinaire, une partenaire affectueuse et attentionnée et une amie fidèle.

Et si mon partenaire et moi avons été capables de traverser cette épreuve avec force et résilience, je n’ai aucun doute que nous parviendrons au bout du parcours tumultueux de l’infertilité et de la procréation assistée, épanouis.

Avec ou sans enfants biologiques.