Maman devient raide et arrête de frotter l’assiette dans le fond du lavabo, papa lève la tête des côtelettes de porc en spécial dans la circulaire; même Ti-Gars, notre hamster, arrête de spinner dans sa roue, sentant que quelque chose de plus grand que nature s’apprête à se déployer devant ses yeux de rongeur.

La maisonnée entière retient son souffle. Quessé qui peut ben se passer?  Quel aveu Juju peut-il ben être sur le point de sortir de l’obscurité avec autant de décorum qu’à l’Assemblée nationale? 

C’est que, voyez vous la gang, j’ai 13 ans et je m’apprête à faire mon coming out

« Popa, moman… j’ai… j’ai de quoi à vous dire… J’aime les filles… mais… mais… j’pense que j’aime aussi les gars…pis… pis ben c’est ça là… je…je…. (éclate en sanglots). »

The rest is history. 

(En passant, je tiens à mentionner que je m’identifie désormais comme 100 % homosexuel. Ceci étant dit, à l’époque, j’avais 13 ans, ça me semblait plus soft, moins « culpabilisant » de me présenter comme bisexuel à mes parents. Je voulais sauver les meubles. Ne pas enlever complètement l’idée à ma mère qu’elle pourrait avoir des petits-enfants de moi. Adoucir le drame. Je ne sais pas trop. Bref.  

They’re coming for you… 

Cette petite scène immense se joue probablement à toutes les minutes dans le monde. Des personnes de tous les âges, de toutes les nationalités, prennent leur courage à deux mains pour avouer, annoncer, dire, faire comprendre, affirmer, confier, révéler… à leurs proches, à l’autorité en place, à leur communauté, qu’elles, ils et iels sont homosexuels, bisexuel·le·s, lesbiennes, non binaires, trans, queers, assexuel·le·s… en un mot, différent·e·s. 

Ils et elles sortent du placard. They come out. Quelle vilaine expression. De l’obscurité du secret qui les caractérisait, à l’intérieur du placard,  ces personnes accèdent à une lumière nouvelle, en dehors du placard, que permet la validation de leur identité ou de leur orientation sexuelle par la société hétéronormative.

Le secret qui les rongeait est désormais exposé à la clarté de la connaissance et du jugement des autres.

Le tribunal tranchera : sera-t-il en faveur ou en défaveur de cet état identitaire? Répondra-t-il par l’amour ou par la haine? Le rejet ou la compassion? Pendant ce temps, l’accusé·e patiente, retient son souffle, espère. 

Ce que j’essaie de dire entre les lignes, et je le dirai maintenant frontalement, c’est que la tradition du coming out et de l’aveu qui le caractérise reconduit une forme d’homophobie et d’hétérocentrisme à laquelle il importe de réfléchir. C’est toute une mise en scène qui continue de nourrir l’idée voulant que l’homosexualité (j’utiliserai cet exemple, comme c’est le mien) doit se penser comme un secret qui exige un aveu et toute une courbe dramatique épousant la forme judéo-chrétienne de la confession. 

Mais l’affaire là, mes chérubin·e·s, c’est qu’il n’y a absolument rien à avouer. On ne doit rien mettre en lumière, on ne doit rien à personne, nous ne sommes pas des criminel·le·s ou des pervers·es. Nous ne sommes pas obscur·e·s, nous ne sommes pas caché·e·s, nous ne sommes pas enfermé·e·s, nous sommes là, nous avons toujours été là, nous serons toujours là.

Il est temps qu’on cesse de traiter l’homosexualité et la différence comme une faute et une reddition de compte, comme un monstre effrayant tapi dans un placard de straight.

Nous ne sommes pas des monstres. Nous méritons mieux qu’un placard. Une véranda would be nice.  

Un placard tellement complexe

Je parlais de l’écriture de cet article à ma boss et elle m’a mis en garde de ne pas sonner trop catégorique ou prétendre parler au nom de tou·te·s, comme le coming out demeure un passage important, un seuil symboliquement très puissant, dans l’affirmation de l’identité de plusieurs personnes. Je suis d’accord avec elle. Je m’exprime à partir de la posture qui est la mienne : celle d’un privilégié. C’est-à-dire celle d’un jeune Nord-Américain caucasien de la classe moyenne, héritier des avancées légales et de l’évolution des mentalités et ayant, par-dessus le marché, été accepté par sa famille et bien entouré tout au long de sa vie. #KnowYourPrivilege.  

Dans plusieurs pays où l’homosexualité est toujours punie par la peine de mort, le coming out demeure un geste essentiellement clandestin, caché, risqué, mortel et donc, à la fois de l’ordre de l’aveu et du secret conservé. Il doit demeurer ainsi s’il ne veut pas mettre en danger les survivant·e·s de ces violences atroces. Dans de nombreux endroits du monde, encore aujourd’hui, le placard demeure pour plusieurs l’endroit le plus sécuritaire où vivre son identité.  

Je comprends également que la ligne très claire entre un avant et un après que trace le coming out, comme si on scellait notre identité dans le discours et dans la parole, permet d’officialiser un état d’être et une posture identitaire. Le coming out permet d’accéder à une certaine forme d’acceptation de soi et peut être lu comme une manière d’embrace son identité et sa différence en la présentant frontalement, fièrement, aux autres et, de facto, à soi.  

Et pourtant. Même s’il se déroule dans l’harmonie, même s’il ne finit pas en drame et en rejet, le coming out demeure un geste politique. Il sous-entend tout un jeu de pouvoir entre dominant et dominé, entre norme et marginalité, entre eux et moi, entre identité escomptée et identité vécue. Le coming out est politique parce qu’il ébranle la structure hétéronormative, il met en danger tout un édifice de pensées et de contrôle des corps, des désirs, des existences.

 À qui dois-je faire mon coming out? Aux straights, bien entendu. Puisqu’au sein des communautés marginalisées, je n’ai pas à cérémonieusement avouer quoi que ce soit, je n’ai pas à prendre mon courage à deux mains, je n’ai pas de comptes à rendre, je n’ai rien à « baigner de lumière », je n’ai qu’à exister, je ne suis pas pensé comme cet « autre ». C’est la raison pour laquelle plusieurs personnes marginalisées trouvent refuge auprès d’une communauté. 

Dans son essai La pensée straight, l’écrivaine américaine Monique Wittig écrit : « Il n’y a pas de sexe. Il n’y a de sexe que ce qui est opprimé et ce qui opprime. C’est l’oppression qui crée le sexe et non l’inverse. » En parlant de l’emprise des hommes blancs hétérosexuels sur les femmes, elle ajoute : « Cette pensée [straight] est la pensée dominante. Cette pensée affirme qu’il existe un “déjà-là” des sexes, quelque chose qui précède, précède toute société. Cette pensée est la pensée de ceux qui gouvernent. » 

Pour rebondir sur Wittig – pas littéralement, je veux pas lui sauter sur la bédaine – je dirais qu’il en va de même pour la tradition du coming out. C’est l’oppression qui, selon moi, crée la tradition du coming out. La pensée du coming out affirme qu’il existe un état identitaire qui précède la société et qui serait l’hétéronormativité gouvernante. 

Diesel & allumettes

Vous rappelez-vous ce passage du film (mi-kétaine, mi-attendrissant) Love, Simon, dans lequel le personnage principal imagine un monde où les hétérosexuel·le·s feraient leur coming out? « Mom, dad, I have something to tell you… I’m straight (cries)»

Cette hilarante satire sonne évidemment comme une incongruité : personne n’attend de confession de la part des hétérosexuel·le·s, ils et elles ne devront jamais effectuer ce rite identitaire gênant et éprouvant en lien avec leur orientation sexuelle : ils et elles sont le modèle universel, les corps désirants modèles. Ils n’ont pas besoin du placard, car ils ont déjà le living room, la cuisine, les chambres, les salles de bains… toute la maison Sims pimpée avec le code « motherload ». C’est des farces.

Je crois que mon nerf de la guerre est le suivant : tant et aussi longtemps que nous approcherons la différence comme un état d’être exigeant une cérémonieuse confession, un coming out, nous continuerons de traiter ces états d’être comme des étrangetés, des big deal, des fautes qui doivent être confessées, voire pardonnées. 

Imaginons un monde où un jeune homosexuel, sans flafla, sans cérémonie, sans «  sortie du placard », raconte simplement à sa mère qu’il a rencontré un garcon, qu’il aimerait qu’il vienne souper à la maison, juste comme ça, forcément avec les petits papillons, les mains moites, la petite gêne que crée une conversation sur son désir avec un adulte, mais sans build up, sans angoisse, sans drame : naturellement. 

Je vous laisse réfléchir à tout ça, pendant ce temps, je vais aller chercher un peu de diesel et des allumettes : j’ai un garde-robe à crisser en feu. 

Si cet article te parle, il y a un épisode de notre balado À quoi tu jouis? consacré entièrement au coming out.