Pourquoi les hommes devraient-ils se sentir concernés par le droit à l’avortement?

Résumé

Plusieurs hommes disent ne pas vouloir s’exprimer sur l’avortement parce que ça ne les concerne pas, mais les études démontrent que l’avortement a des effets directs et indirects sur leur vie.

À ce sujet, notre collaborateur Charles-Étienne s’est penché sur le mythe que l’avortement concerne uniquement les personnes ayant un utérus.

Biologie 101 : on s’en souvient, l’ovule et le spermatozoïde forment un œuf fécondé qui deviendra un embryon. L’opération se fait généralement à deux. Or, la personne qui produit le spermatozoïde est plutôt discrète dans le débat sur le droit à l’avortement.  

C’est que récemment, il s’est passé beaucoup de choses en lien avec ce droit. 

En effet, on se souviendra de l’été dernier comme de celui qui marque le renversement de l’arrêt Roe v. Wade, qui protégeait jusqu’alors le droit constitutionnel à l’avortement à l’échelle nationale aux États-Unis. Une décision qualifiée d’« erreur tragique » par le président américain Joe Biden. Par conséquent, le droit à l’avortement n’est plus protégé par la loi depuis juin dernier, ce qui laisse la liberté aux États d’encadrer individuellement la pratique (lire d’en restreindre l’accès ou pire, de la criminaliser). À date, treize États ont décidé de proscrire l’avortement.

Une multitude de femmes ont pris la parole pour dénoncer ce retour en arrière historique : manifestations, articles, partages de témoignages sur les réseaux sociaux, etc.

Mais très peu d’hommes – à ma connaissance – ont fait de même, possiblement parce qu’ils ont l’impression que ce débat ne les concerne pas.

Pourtant, c’est loin d’être le cas. 

Je me suis entretenu avec plusieurs hommes sur le sujet; voici ce qu’ils avaient à dire.

1. Parce qu’au moins une femme que tu connais a eu (ou aura) un avortement, même si elle ne t’en parle pas.

Au Canada, on compte annuellement entre 75 000 et 100 000 personnes qui ont un avortement. On estime qu’une Canadienne sur trois aura un avortement au cours de sa vie. Vite de même, j’ai envie de te demander : combien de femmes connais-tu?

« J’ai eu une partenaire qui s’est fait avorter. Pas dans le cadre d’une relation sexuelle entre nous. Mais j’ai quand même vu ce parcours-là de loin. C’est tellement… Je pense que les personnes, du moins les personnes anti-choix, sous-estiment l’impact que ça peut avoir sur une vie, pis à quel point c’est des décisions qui sont – même si tu sais ce que tu veux faire – déchirantes pour plein de raisons », m’a partagé un homme préférant conserver son anonymat. 

Même si ton corps fait en sorte que tu n’auras jamais à te poser la question, c’est très probable que des gens près de toi aient eu à vivre au moins un avortement. Même si tu n’en as pas la moindre idée.

2. Parce que devenir père sans le vouloir, ça pourrait hypothéquer ta vie.

L’arrivée d’un·e enfant ne perturbe pas que la vie de la mère. Ce qui attend les parents non préparés : un avenir de précarité financière à conjuguer avec un horaire soudainement plus chargé que jamais et la responsabilité d’un petit être vivant qui dépend de toi. On estime à 280 000 $ le coût d’élever un·e enfant jusqu’à ses 18 ans au Canada; ça équivaut à un bon 300 $ par semaine.

« Dans le monde des médias, de la musique et du showbizz, la moitié d’entre nous n’auraient pas eu de carrière si on avait eu à assumer la responsabilité de tous les enfants avortés qu’il y a eu dans nos vies, a mentionné Billy. J’aurais des enfants plus vieux que mon boss! Je trouve ça un peu fucked up que les gars aient pas envie de plus se prononcer là-dessus, que ça leur tient moins à cœur. »

La liberté de choisir de mener ou non une grossesse à terme permet également de choisir de terminer ses études, d’atteindre un objectif professionnel, bref, d’exercer un contrôle sur son propre futur. Vraiment, les raisons sont infinies. Mais personne ne devrait avoir besoin de se justifier. 

3. Parce qu’un recul du droit à l’avortement ouvre la porte à la contestation d’autres droits reproductifs et sociaux, comme le recours à la contraception ou le mariage entre conjoint·e·s du même sexe.

En plus de l’avortement, d’autres droits sont menacés, incluant l’accès à la contraception, les relations sexuelles entre personnes du même sexe et le mariage pour tou·te·s. Le juge Clarence Thomas de la Cour suprême américaine a laissé entendre qu’il était grand temps de revoir ces droits (ouch…). 

Je suppose que les extrémistes de la droite ont vu la criminalisation de l’avortement comme une victoire et voient le potentiel d’aller encore plus loin. C’est sûr que lorsqu’on se base sur une constitution datant de 1787 pour déterminer quels droits sont garantis, on passe à côté de pas mal de concepts qui n’existaient tout bonnement pas à l’époque… Est-ce même légal de posséder un téléphone intelligent? Bref, c’est une pente glissante vers un retour en arrière beaucoup trop abrupte pour se taire.

Le combat pour le droit à l’avortement est l’affaire de tout le monde.

Propriétaire d’utérus ou non, il est impératif de se prononcer pour revendiquer le droit à l’autonomie corporelle et pour lutter contre celles et ceux qui croient détenir une morale supérieure leur donnant le droit de dire au monde comment gérer son corps.

Illustration: Clémence Langevin
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