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Résumé
Ça vous est déjà arrivé de fantasmer sur un personnage de fiction? Benjamin aussi. L’auteur nous dévoile les protagonistes qui peuplent sa fictosexualité.
J’ai toujours eu de la difficulté à fantasmer sur des gens que je connais réellement.
Je me tourne plutôt vers la fiction.
Exemple :
Je suis avec Hagrid, dans sa cabane.
Son vin chaud aux épices lui a délié la langue. Il talk shit contre le personnel de Poudlard.
Il me dit que ses collègues le regardent de haut. (Ce qui n’est pas peu dire : il est quand même très grand.)
J’interromps ses doléances avec un peu de renforcement positif :
— Pour vrai, Hag, y’a pas de sot métier. Moi, j’trouve ça noble, gardien des clés.
— J’veux ben. Mais… (Il regarde mélancoliquement par la fenêtre.) Quand est-ce que j’vais trouver ma serrure à moé?
Il se tourne vers moi.
Son œil reflète le feu qui brûle dans l’âtre, mais j’y vois apparaître une nouvelle flamme : celle du désir.
— Qu’est-ce que tu veux dire, ta serrure? dis-je avec un air innocent, même si j’ai très bien compris le symbolisme.
(Indice : mon anus.)
***
TOUT ÇA POUR DIRE : j’ose pas fantasmer sur des gens que je connais dans la vraie vie.
Même si ces gens m’inspirent du désir.
Pourquoi? Bonne question. C’est peut-être de la pudeur.
Ou la peur déraisonnable que ça finirait par se savoir.
Comme si ma conscience allait diffuser des ondes proclamant : HIER J’AI PENSÉ À TOI DE MANIÈRE OLÉ-OLÉ.
Ma réalité immédiate est donc bannie de mes fantasmes.
Ça va loin, mon affaire. Pour vous donner une idée, Claude Legault est congédié de mes chimères charnelles parce que je l’ai déjà croisé au Loblaws.
***
Mais des saynètes érotiques avec des personnages de fiction, j’en ai à la pelletée.
Elles prennent vie le soir, au moment où je pose ma tête sur l’oreiller.
Je ferme les yeux et je deviens Serge Denoncul.
C’est toute une salle de répétition qui prend vie derrière mes paupières.
Je donne des indications aux acteurs. J’ajuste les dialogues. Je fignole la scène jusqu’à ce qu’elle m’apparaisse aboutie…
… puis je n’y touche plus.
Parce que je suis trop occupé à me toucher.
Au fil des années, je me suis bâti un impressionnant Club Vidéo interne, exclusivement X.
Parfois, je réalise un nouveau film. D’autres fois, je parcours les tablettes et je me rabats sur une valeur sûre.
C’est comme ça que je m’endors. En me repassant mes fantasmes.
Pourquoi compter les moutons quand je peux coïter avec Ovila Pronovost?
Dans ma version à moi, c’est nous que les chevaux regardent.
***
Dans le fond, peut-être qu’il faut se tourner vers les astres pour comprendre mon penchant pour la fiction.
C’est connu : les Poissons ont beaucoup d’imagination.
Une vie intérieure riche, comme on dit.
Regardez-moi, tranquille dans mon coin pendant le 5 à 7.
Petit ange timoré. Complètement corpo.
Regardez l’innocence avec laquelle je tète mon Pét-nat.
Personne ne se douterait qu’hier, Ovila m’a plaqué le visage dans le foin, avant de glacer mon trou comme un chausson Pillsbury.
Curieusement, même si je suis plutôt réservé, j’attire les confidences.
Dès qu’ils ont un verre dans le nez, mes collègues s’ouvrent à moi.
Un par un, ils viennent me faire des aveux aussi croustillants que les Miss Vickies offertes par le comité social.
Janie peut pas blairer Maryse.
Maryse est pâmée sur Simon.
Simon, lui, me confie qu’il est dans un couple ouvert.
Un couple ouvert! La confession me surprend.
Honnêtement, je savais même pas que Simon était en couple.
On se parle rarement, même si, à ce que je sache, on est les deux seuls gais de la place.
Tout ce que je sais de Simon, c’est qu’il a complètement changé de style vestimentaire pendant la pandémie.
Pour vrai, il est passé de Pierre-Yves McSween à Bad Bunny. À croire qu’il s’est confiné dans l’entrepôt chez SSENSE.
Donc : Simon me parle de son couple ouvert, des défis que ça implique.
J’écoute à peine. Comme dirait Roxane Bruneau, ça me rentre dans un stretch pis ça sort de l’autre.
Je regarde les lèvres de Simon. Elles arrivent à la hauteur des miennes.
Je me demande sur quoi il fantasme.
Je me demande à quoi ressemble la programmation de son Cinéma L’Amour psychique.
Ou peut-être qu’il n’a pas ça, lui.
Peut-être que son couple le tient assez occupé.
Peut-être que la réalité le comble.
***
Vers 20 h, le concierge se met à flasher les lumières de l’espace commun.
Le message est clair : on doit sacrer notre camp.
Simon me propose de sortir prendre un verre.
Il est entreprenant. Ça fait mon affaire.
Au bar, on commande deux bières sûres aux framboises.
L’éclairage tamisé nous incite à la confidence.
J’avoue à Simon que je rêve d’ouvrir un resto-déjeuner qui s’appelle Oeuforia, inspiré par l’esthétique néon-trash de la série de HBO.
Simon, lui, m’avoue qu’il a envie de me frencher.
Je lui réponds que ce désir est partagé.
On se lève de table, aussi éméchés par nos bières sucrées que par le désir.
Dans la salle de bain, il me plaque contre une affiche de l’Espace Go.
Les yeux bleus de Julie Le Breton nous donnent leur bénédiction, et sans plus attendre, nos langues entrent en collision.
***
Il est passé 22 h quand je reviens à mon appart.
Seul.
Le frenchage était agréable, mais comme Simon doit se lever tôt, on a convenu de rentrer chacun chez soi.
En se quittant, on s’est fait la promesse de passer une nuit ensemble bientôt.
Je m’étends sur mon matelas en mousse-mémoire, la tête pleine de mon flirt de ce soir.
Simon et moi allons coucher ensemble d’ici la fin de l’automne : j’en ai la ferme conviction.
Je pourrais même imaginer la scène jusqu’au moindre détail.
Mais j’ai pas le temps.
Hagrid m’attend.
Karhulahti, V. M., & Välisalo, T. (2021). Fictosexuality, fictoromance, and fictophilia: A qualitative study of love and desire for fictional characters. Frontiers in Psychology, 11, 3693. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2020.575427
Motschenbacher, H. (2018). Language and sexual normativity. In K. Hall & R. Barrett (Eds.), The Oxford Handbook of Language and Sexuality. Oxford University Press.
Yule, M. A., Brotto, L. A., & Gorzalka, B. B. (2017). Sexual fantasy and masturbation among asexual individuals: An in-depth exploration. Archives of Sexual Behavior, 46, 311-328. https://doi.org/10.1007/s10508-016-0870-8