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À la découverte de sa sensualité : entrevue avec Eric Leong de Sticky Rice Magazine

Comment découvrir la sensualité de son corps quand on s’identifie queer et que l’on vient d’une famille asiatique où l’orientation sexuelle est un sujet tabou?

C’est la prémisse d’un texte provenant du dernier numéro du webzine Sticky Rice, qui aborde des enjeux entourant les identités asiatiques à Montréal. Cette nouvelle édition, sortie le 27 janvier, porte sur la représentation queer asiatique dans notre Québec du 21e siècle. Plusieurs plumes y partagent leurs expériences personnelles sur la question.

Le billet Owning your pleasure by embracing your sensuality d’Eric Leong a attiré notre attention, puisqu’il nous encourage à libérer notre plaisir sensoriel en explorant les multiples facettes de notre corps. Discussion avec son auteur.


An exploration of sensuality by Eric Leong captured by photographer Mary Chen. Art direction and styling by Olivia Chan. Co-art direction by Mary Chen. Lighting assistance by Feng 峰. Make-up by Shannie Beauty Artistry. Shot at Lucky Ho.
Une exploration de la sensualité par Eric Leong, photographié par Mary Chen. Direction artistique et stylisme par Olivia Chan, assistée par Mary Chen. Éclairage par Feng 峰. Maquillage par Shannie Beauty Artistry. Photographié à Lucky Ho.

CLUB SEXU : Ton billet s’articule autour de la découverte de notre corps et ce qui lui fait plaisir. Est-ce que cette exploration est un processus unique à chaque personne? 

ERIC LEONG : Absolument. Nos corps sont tous différents et nous sommes tou·te·s programmé·e·s de manière unique. Mais je crois qu’il existe des désirs universels chez l’être humain et que le plaisir en fait partie. Comment ça se traduit exactement? Chaque personne a sa propre définition de ce qui lui procure du plaisir, parce que nous sommes des êtres complexes. 

C’est pourquoi il est important d’expérimenter par soi-même pour vraiment comprendre ce que notre corps trouve sensuel.

CS : Dans ton texte, on apprend que tu as dû refouler ta sexualité pendant ton adolescence, au point où tu étais presque convaincu que tu étais asexuel. Peux-tu nous parler des conséquences de cette répression de ta sexualité dans ton cheminement personnel? 

EL : Je crois que d’avoir refoulé ma sexualité m’a ultimement donné envie de découvrir mon corps. Comme si, d’une certaine manière, je devais rattraper le temps que j’avais perdu. Je n’avais pas une vie de sœur religieuse, mais pendant mon adolescence et durant le début de ma vingtaine, je me suis vraiment retenu alors qu’on est normalement en pleine phase de découverte.

Cette énergie sexuelle s’est accumulée et elle est restée vivante même si je l’étouffais. Aujourd’hui, j’ai certainement envie de poursuivre cette exploration. Je suis plus mature et j’ai vécu plus d’expériences de vie, alors je comprends mieux mes désirs.

CS : La découverte de ce qui nous procure du plaisir, est-ce un processus graduel? 

EL : Oui, c’est une progression. J’ai expérimenté avec beaucoup de fétiches sexuels et de communautés différentes. Ce n’était pas toujours prévu, mais je me suis abandonné à ces expériences de vie. À travers ce processus, j’ai trouvé ce qui était agréable pour moi et graduellement, j’ai aussi compris pourquoi cela me procurait du plaisir.

Par exemple, j’ai découvert en premier que j’aimais toucher mon cou, puis avoir un collier autour du cou, puis porter un tissu serré sur mon corps qui recouvrait mon cou, et finalement me faire agripper par le cou et étouffer lors d’une relation consensuelle. C’est une évolution.

CS : Quel lien fais-tu entre l’empathie et la prise de conscience de son corps?

EL : Il faut prendre conscience de la manière d’aimer, sentir et regarder son corps. C’est encore un processus que je découvre : de m’observer comme je suis, sans jugement et non à travers le prisme des attentes de la société.

Parfois, je me regarde nu dans le miroir et immédiatement, je vois des choses qui me dérangent. Mais ensuite, je me détache de ces pensées négatives. Je deviens conscient de mon corps : je remarque mes cheveux, mon nez, mon visage, mes épaules… et je constate que je suis superbe.

Un aspect important de l’empathie, c’est l’amour de soi (self love). Ce n’est pas uniquement la manière de se regarder, c’est aussi la manière d’expérimenter le plaisir et la volupté. 

CS : En général, crois-tu qu’on est suffisamment empathique envers soi-même? 

EL : C’est clair que non! Les gens vivent beaucoup de difficultés avec leur santé mentale, l’anxiété et la dépression. Je peux uniquement parler pour moi, mais je pense que beaucoup de ces problèmes sont liés à cette idée de ne pas être à la hauteur. Pas à la hauteur par rapport aux autres ou aux standards de la société. 

Quand on réfléchit dans ce paradigme, on n’est pas empathique du tout avec soi-même. Au contraire, on devrait plutôt se dire : « Je SUIS à la hauteur. »

CS : Parlons plus globalement de la thématique du dernier numéro du magazine Sticky Rice. Selon toi, y a-t-il assez de représentation queer-asiatique dans nos médias et dans notre culture en général?

EL : Absolument pas, même s’il y a certainement une meilleure représentation qu’il y a 10 ou même 5 ans. En général, les modèles asiatiques qui sont présentés ont du succès financièrement. Mais il n’y a pas de représentation positive en termes de beauté, de dating, de relations amoureuses ou du développement personnel d’un être humain.

Imaginez la représentation comme si c’était une tarte. Cette représentation dans les médias et la culture est en grande majorité blanche et hétéronormative. Une petite pointe de cette tarte est queer, même si elle a grossi. Dans cette même portion queer, la présence asiatique est encore plus minuscule et pratiquement invisible.

CS : En tant que personne asiatique et homosexuelle, as-tu l’impression d’avoir dû franchir des obstacles additionnels pour embrasser ta sensualité? 

EL : Oui! (rires) En grandissant, il n’y avait pas beaucoup d’affection dans ma famille, et même dire « Je t’aime » était très rare. J’avais un besoin qui n’était pas comblé, mais je n’étais pas certain de savoir ce que c’était.

À 18 ans, je suis allé au Brésil pour un stage et j’ai découvert une culture complètement différente. Les gens s’embrassaient, se prenaient dans leurs bras, se tenaient proches l’un·e de l’autre. Il y avait de la sensualité dans le toucher et j’ai compris que c’était important pour moi.

Ceci dit, mon identité asiatique n’a pas inhibé mon plaisir, bien au contraire.

Il existe une multitude d’expériences sensuelles dans ma culture, notamment en ce qui concerne la gastronomie et l’éveil des sens.

Je cuisine beaucoup avec différents types de piments, d’épices et de fruits. C’est une expérience sensuelle complexe qui m’allume et je suis reconnaissant que ma culture m’y ait donné accès.

CS : Pour terminer, que dirais-tu à une personne qui a de la difficulté à découvrir sa sensualité, quelle que soit son identité ou son orientation sexuelle?

EL : Laisse-toi la chance de ressentir. Parfois, il est difficile de comprendre ses émotions, mais c’est correct ainsi. Il ne faut pas se mettre de pression. Je le dis spécialement pour les lecteurs et lectrices d’origine asiatique, lâchez prise et ressentez les choses. 

Chaque personne essaie de comprendre son corps et sa complexité. Ce n’est jamais noir ou blanc. C’est réellement à travers les expériences humaines qu’on découvre et qu’on libère sa sensualité.

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