Prelib
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Témoignage d’une personne séropositive : quand le secret pèse plus lourd que le diagnostic

Cet article est présenté par Prelib.

Au printemps, le Club Sexu a publié un appel à témoignages de personnes vivant avec le VIH. Un jeune homme dans la trentaine nous a contacté·e·s, nous disant qu’il souhaitait humblement partager son vécu avec nous.

Quelques jours plus tard, je me suis entretenue avec lui au téléphone. Notre échange a duré plus d’une heure. Je ne connais pas son nom, je ne sais pas où il vit, ce qu’il fait dans la vie ni à quoi il ressemble. Je sais par contre que nous avons vécu un moment d’une grande humanité. Ce fut une conversation bouleversante, lumineuse, sensible et remplie d’émotions, dont je vais me souvenir longtemps.

En voici quelques fragments.

Jonathan* est aujourd’hui dans la mi-trentaine. Il a été diagnostiqué séropositif lorsqu’il avait près de vingt ans, en 2005. 

Après avoir discuté avec lui une première fois off the record, j’entame cette seconde conversation en lui demandant de me raconter le moment précis où il a appris la nouvelle. Son ton est à la fois calme et fébrile, posé et émotif. Je l’écoute attentivement, honorée qu’il me raconte ce moment de sa vie, dont il a très peu parlé à ce jour.

« Tout a commencé avec un simple test de dépistage de routine », se remémore Jonathan, concentré, précis. « Ça faisait seulement quelques mois que j’avais une vie sexuelle homosexuelle. Je venais juste de commencer à me permettre de rencontrer d’autres hommes. J’y allais à tâtons. Lors de ce test, j’avais reçu un diagnostic positif pour une chlamydia. J’avais vu ça comme un avertissement. Je m’étais dit “je dois faire full attention, je dois prendre ma santé sexuelle en main, être vigilant”. 

Cette même fois, j’avais aussi fait un test de dépistage pour le VIH, mais le résultat était plus long à rentrer. Après avoir été traité pour la chlamydia, j’ai été rappelé par le médecin, qui souhaitait me voir à son bureau. C’était le lendemain de la St-Valentin, je m’en souviens, je trouve le symbole vraiment puissant. »

« Je me rappelle avoir reçu la nouvelle avec un si grand choc que je me suis instantanément mis à saigner du nez. Ça s’est mis à couler, couler. On m’a tendu une boîte de mouchoirs pour que je puisse m’essuyer. Il y avait ce sang-là qui coulait, qui sortait de mon corps et qui devenait tout à coup extrêmement dangereux à mes yeux. Je ne me rappelle pas comment je suis rentré chez moi. »

Laïma : Mon dieu, c’est tellement puissant symboliquement, on dirait presque une scène de film. 

La conversation dure depuis seulement 10 minutes et je suis déjà extrêmement émue par les paroles de Jonathan. Derrière chacun de ses mots, qu’il pèse avec attention, je ressens son émotion. Je reste concentrée et poursuis.

Laïma : Si on se replonge à cette époque de ta vie, que vis-tu, que ressens-tu, que vois-tu?

« Je me souviens avoir vécu beaucoup de solitude et beaucoup de tristesse », affirme mon interlocuteur, avec beaucoup de douceur dans la voix. « Dans les semaines suivant le diagnostic, le CLSC m’a mis en contact avec une personne séropositive plus âgée que moi. On a eu deux ou trois rencontres, au cours desquelles il m’a parlé de son vécu et on a discuté de ce que ça allait être pour moi dans les prochaines années. J’étais heureux de voir quelqu’un qui était en vie, qui était heureux, épanoui. » 

« Malgré tout, c’est là que j’ai commencé à avoir peur de mon corps pour la première fois de ma vie. Et ça, c’est resté jusqu’à tout récemment. »

Laïma : Avoir peur du corps dans lequel on « habite » tous les jours de sa vie, j’imagine que ça doit être extrêmement bouleversant?

« Tellement, répond d’emblée Jonathan. Je suis en train d’apprendre à laisser tomber cette peur-là, cette dangerosité-là qui est dans mon corps. Au moment où on se parle, je suis sous traitement depuis plus de dix ans et j’y réponds très bien. Ma charge virale est indétectable depuis le début du traitement. Je précise que les médecins ont attendu quelques années avant de me traiter, c’était comme ça à l’époque. »

Laïma : Dans les premières années qui ont suivi ton diagnostic, avant que tu ne commences la médication, ta vie ressemblait à quoi sur le plan physique?

« Je me rappelle que dans le temps des fêtes, juste avant que je reçoive mon diagnostic à la St-Valentin, je ressentais une immense fatigue. Je n’ai jamais été fatigué comme ça. 

Sinon, ma peau est fragile de nature, mais j’ai eu deux fois le zona, j’étais plus sujet à des infections fongiques, à des infections cutanées, je me suis mis à faire de l’impétigo. Des maladies de garderie ou de vieillards », ajoute Jonathan en riant de bon cœur, pour la première fois depuis le début de notre échange. Je partage ses éclats de rire, ça nous fait du bien à tou·te·s les deux. Il reprend.

« Je me souviens aussi qu’à cette époque-là, j’avais encore de l’acné post-adolescence. J’avais donc des lésions sur le visage et je trainais des pansements de manière presque obsessive.

Même si ma médecin de l’époque me disait que ce n’était pas nécessaire, j’avais toujours de l’eau de javel à portée de main, je désinfectais tout. J’étais obsédée par le risque de répandre le virus autour de moi.  

À un moment donné, mes CD4 (un des guerriers du système immunitaire) ont dropé, je me suis retrouvé avec un compte trop bas. Il y avait un danger de me retrouver avec un compte de moins de 300, ce qui peut être dangereux, alors il était temps que je commence à prendre de la médication. »

Laïma : Et sur le plan interpersonnel?

« Au moment où j’ai reçu mon diagnostic, je venais de commencer une formation et je me préparais à voyager pour mon projet professionnel. Je rêvais de partir, je voulais m’ouvrir, découvrir le monde, être libre. Quand le diagnostic est tombé, je me suis retrouvé à devoir subir des contrôles médicaux, l’obligation de dévoiler mon état aux gouvernements étrangers, aux compagnies d’assurances. Tout ça m’a fait extrêmement peur et je n’étais pas capable de dealer avec cette surcharge d’informations. J’ai tout annulé et c’est comme si tout, tout venait de s’écrouler. » 

Jonathan s’interrompt. Je laisse le silence se déployer au bout du fil. Des sanglots résonnent dans le combiné. 

« Je suis désolé », lance doucement Jonathan, au bout de plusieurs secondes. 

« C’est tellement correct, prends le temps qu’il te faut », dis-je, les yeux humides et avec toute la bienveillance dont je suis capable. « Je te fais un câlin dans ma tête, je ne sais pas si tu le sens… »

« Oui, je le sens », répond-t-il, presque inaudiblement. Il respire, puis reprend, l’émotion dans la voix. 

« C’était comme si mon futur venait de disparaître. Ça a été comme ça pendant plusieurs années. Avant mon diagnostic, j’avais une vision d’un futur tellement plein de potentiel, de permissions, de possibilités. Et tout à coup, cette vision a disparu. Et je me suis senti comme ça jusqu’à tout récemment. En fait, je commence à peine à me permettre d’apprivoiser ce que c’est, avoir un futur, construire un avenir. Cela dit, tout ça m’a ramené dans le moment présent, dans une espèce d’obligation de savourer chaque seconde. »

Laïma : C’est souvent dans les épreuves qu’on prend conscience de l’importance du moment présent, c’est tellement vrai. Et qu’en est-il de ta vie amoureuse et sexuelle à cette époque-là?

« Au début, je pensais que je n’aurais plus jamais de vie amoureuse et sexuelle, se souvient Jonathan. Je pensais que c’était fini pour moi. Rapidement, la vie a fait que j’ai rencontré quelqu’un avec qui j’ai été en amour pendant plusieurs années. Quand on avait des relations sexuelles, on mettait toujours un préservatif, de manière extrêmement rigoureuse. Je me souviens qu’une fois, avant que je sois sous traitement, le préservatif s’est déchiré et ça nous a causé beaucoup d’inquiétudes, puisque ma charge virale était contagieuse. On s’est tout de suite rendus au CLSC et mon partenaire de l’époque s’est fait prescrire la prophylaxie post-exposition (PPE).

C’est au cours de cette relation amoureuse là que j’ai commencé à prendre ma médication. Cela dit, la peur que je ressentais à l’idée de transmettre le virus ne s’est pas amenuisée. Je m’informais énormément, je lisais beaucoup sur le VIH et mon copain me soutenait vraiment là-dedans. Tranquillement, on a appris à vivre avec ça à deux. Ça me rassurait qu’il s’implique autant. Encore aujourd’hui, je suis hyper reconnaissant. On était vraiment une équipe et il a été très important dans cette période extrêmement charnière. »

Laïma : Après cette relation-là, tu as eu une période de célibat. Comment ça se passait? Parlais-tu ouvertement de ton statut?

« J’ai effectivement eu une période de célibat, mais je n’ai pas rencontré énormément de personnes, admet Jonathan. Je me suis rigoureusement informé sur les protocoles de divulgation du virus, sur le plan éthique, juridique, légal, etc. Puisque ma charge virale était indétectable, je n’étais pas dans l’obligation de le dire à mes partenaires. La majorité des fois, je n’avais pas de rapports pénétratifs, mais si c’était le cas, on mettait systématiquement un préservatif. Je me suis assuré de n’avoir aucun comportement à risque. Malgré tout, je me sentais toujours en mode analytique, je m’observais constamment pendant les rapports. Je ne me sentais jamais vraiment libre parce que je savais qu’il y avait une partie de moi que je ne pouvais pas laisser aller. Je me sentais responsable de la santé de l’autre. 

Concernant les personnes qui se savent porteuses du VIH et dont la charge virale est active, je trouve que c’est profondément irresponsable de ne pas le dévoiler, qu’il·elle·s aient des relations sexuelles protégées ou non. Quand il s’agit de négligence volontaire, ça me choque. J’en appelle à la transparence, la responsabilisation et l’honnêteté, le plus possible.

De mon côté, puisque ma charge virale était indétectable, j’attendais de trouver une personne en qui je pouvais avoir confiance. Dans mon entourage, très peu de gens le savaient. Il y avait une amie très proche (à qui je l’ai dit parce que je m’étais coupé chez elle), mon ancien copain et les personnes au CLSC, c’est tout. Je m’assurais de garder ça le plus secret possible. »

Laïma : Quand tu as finalement rencontré un partenaire en qui tu avais confiance, comment s’est passé le dévoilement?

« J’ai rencontré un gars, on s’est vus quelques fois, mais on n’avait pas de sexualité pénétrative », raconte Jonathan, en me demandant s’il peut me livrer cette information de type « too much information ». Je lui confirme qu’il peut me donner tous les détails qu’il juge pertinents.

« Donc, on est chez lui dans sa cuisine et je lui dis que je veux lui parler de quelque chose. Je n’arrive pas à parler, je tourne autour du pot. Dans tous les non-dits, il a fini par comprendre… Contre toute attente, il n’est pas parti en courant. Ça m’a grandement soulagé et ça voulait surtout dire que je pouvais m’attacher à quelqu’un. 

Comparé à mon premier copain, il s’informait un peu moins sur les enjeux liés au VIH. C’est plus moi qui portais la charge. Une chance, les gens du CLSC étaient très rassurants et nous encadraient vraiment bien. C’est sûr que je ne partageais pas ma brosse à dents ou mon rasoir avec mon partenaire, mais on se sentait en sécurité. Avec le temps, je me sentais de plus en plus en confiance et j’apprenais à composer avec le virus.

Entretenir une relation avec le VIH dans une relation de couple, c’est pas évident. Je voulais donner une place à ça, mais sans que ça me définisse. Je pense que j’aurais aimé que ce partenaire-là soit un peu plus impliqué et qu’on partage un peu plus la responsabilité de notre santé. »

Laïma : As-tu un exemple?

« Ouais. Par exemple, c’est moi qui lui rappelais d’aller se faire dépister une ou deux fois par année, pour être sûr que tout était beau. Je sentais que ce n’était pas toujours évident de parler de ça, de tous les enjeux, des implications, des inquiétudes que ça peut causer, etc. Aujourd’hui, ce sont des discussions que j’ai de manière beaucoup plus ouverte et je sens que je ne suis pas le seul responsable de notre santé à tous les deux. »

Laïma: Justement, tu n’es plus avec ce partenaire aujourd’hui. Tu commences une nouvelle relation. Comment s’est passé le dévoilement?

« C’était encore dans une cuisine », réalise Jonathan, avant d’éclater de rire. 

Laïma : Très québécois, les party de cuisine! 

On rit, ça allège nos coeurs. Jonathan reprend son récit.

« Je me souviens qu’il faisait très chaud, j’étais extrêmement tendu, je pleurais beaucoup. On était très attirés l’un envers l’autre et j’attendais de savoir s’il allait être capable d’entendre ce que j’allais lui dire… »

« J’étais terrorisé, mais je me disais que je ne pouvais pas m’empêcher de vivre parce que j’avais peur. C’était une nouvelle étape dans mon acceptation. »

Laïma : J’ai envie de t’entendre sur la notion de tabous, de préjugés, de stigmas qui entourent le VIH et les personnes séropositives. Comment tu perçois tout ça et comment ça se manifeste dans ta vie?

« C’est une très bonne question », lance Jonathan, après avoir pris plusieurs secondes pour y réfléchir. « Je pense que le préjugé comme quoi on est responsables de notre propre sort est très lourd à porter. Comme si les personnes séropositives l’avaient bien cherché. De manière très personnelle, je suis encore en train d’essayer de déconstruire l’idée que les personnes séropositives ne méritent pas la compassion parce qu’elles l’ont cherché. » 

Laïma : Oui je comprends ce que tu veux dire, ça revient à un réflexe classique de victim shaming.

« Oui exactement. Si on pense au contexte de la crise du sida dans les années 80, les personnes homosexuelles étaient pas mal plus stigmatisées et le sida était tout de suite associé à la mort. On a vu tellement d’images de corps transformés, de corps émaciés. Et toutes ces images de corps malades, je les porte en moi. J’essaye de les effacer, parce que ça me génère une grande anxiété de vieillir. Comme si j’avais l’impression que j’allais m’en rapprocher. J’essaye de me libérer de ces images de corps souffrants et de corps mourants. J’aimerais qu’on dissocie VIH et sida et mort. Bien sûr, si ce n’est pas traité, c’est à ça que ça mène, mais il y a tellement d’autres trajectoires.

Pour parler de mon parcours personnel, je réalise que je parle parfois de VIH avec des gens (qui ne sont pas au courant de ma situation) et la majorité répond : « Oui, mais aujourd’hui, on peut en vivre. » Quand j’entends ça, ça me libère et c’est comme si tous secrets que je me suis imposés par rapport à ma propre condition, l’auto-isolement face à des personnes qui auraient pu me soutenir, proviennent en partie de moi. Je me rends compte que j’ai internalisé beaucoup de préjugés envers les personnes séropositives. 

Aussi, j’ai regardé la série Si on s’aimait et cette année, il y a un homme séropositif parmi les participant·e·s, et il en parle ouvertement. Ça, ça m’a inspiré à te contacter. Vraiment. J’ai encore énormément de mal à concevoir que des gens autour de moi puissent avoir cette information-là sur moi et qu’ils ne m’accoleront pas une étiquette de personne défaillante ou dangereuse ou contagieuse.  

Parallèlement, je pense qu’il reste beaucoup d’éducation à faire pour enrayer la peur des personnes porteuses du VIH.

Je me suis parfois retrouvé entouré de gens qui parlaient du VIH, je suis toujours resté silencieux et je m’en veux parce que je suis passé à côté de plein de moments où j’aurais pu, humblement, éduquer les gens. 

Et tous ces préjugés et ces perceptions ont des répercussions très concrètes. Par exemple, ça a un énorme impact sur la possibilité d’avoir une assurance-vie. Ce sont des démarches très compliquées. »

Laïma : Les trois hommes que tu as eus dans ta vie de manière significative, une amie proche et le personnel médical sont au courant de ta condition. Avec le temps, as-tu réussi à en parler à plus de personnes?

« Oui, je commence à le dire à certain·e·s ami·e·s », me confie Jonathan, manifestement soulagé d’en être arrivé là dans sa vie. « Et à l’automne dernier, je l’ai dit à ma mère. Il y a eu beaucoup de pleurs, il y a eu beaucoup d’amour. Je ne l’ai pas encore dit à mon père. C’est un homme très émotif et j’ai peur du choc que l’annonce pourrait provoquer. J’ai longtemps refusé d’en parler à mes parents parce que je sais qu’ils m’aiment beaucoup et je ne voulais pas générer chez eux de l’inquiétude et de la tristesse. Je pense que ce que ma mère a trouvé le plus difficile, c’est de réaliser que j’avais gardé ce secret si longtemps. Une quinzaine d’années », ajoute Jonathan, dont la voix laisse transparaître toute l’émotion que cette confidence lui procure.

« De savoir que des gens que j’aime et qui m’aiment partagent mon secret, ça me libère d’un énorme poids, ajoute-t-il du même souffle. Ça fait aussi en sorte que dans certains contextes, je ressens moins le besoin de me cacher, pour prendre ma médication par exemple. D’être moins secret, ça fait aussi que je suis plus assidu à la prise de ma pilule à la même heure. Ça fait aussi que je ne suis plus obligé de prétendre que je suis un surhomme, que je ne suis jamais malade. 

Il y a aussi mon copain qui ressent le besoin d’en parler à des gens autour de lui. Et je le comprends. Je me rends compte que je ne veux plus que le cycle du secret et du silence imposé se répète.

Dans les derniers mois, j’ai aussi consulté un sexologue et un psychologue pour être capable de mieux composer avec tout ça et m’aider à verbaliser ce secret que j’ai porté pendant tant d’années. »

Laïma : Qu’est-ce que tu aurais envie de dire à une personne qui apprend que quelqu’un de son entourage vit avec le VIH?

Encore une fois Jonathan prend le temps de bien réfléchir, de peser ses mots. 

« Ça me touche beaucoup que tu poses cette question-là, Laïma », finit-il par répondre au bout du fil. « Je lui dirais de prendre conscience que c’est une épreuve pour la personne qui se livre comme ça, qui se présente à elle comme ça. Je pense que c’est important de reconnaître la marque de confiance dont cette personne nous témoigne.

Je dirais aussi de reconnaître la personne pour tout ce qu’elle est, dans sa globalité. Elle n’est pas là pour venir chercher de la pitié, elle est là pour se libérer d’un poids. Elle est là pour être honnête par rapport à qui elle est. Personnellement, les gens à qui je l’ai confié, je les ai choisis pour leur humanité. 

Je dirais aussi d’être attentif, à l’écoute et pourquoi pas, d’aller se renseigner, s’éduquer sur le VIH. Une personne avec le VIH, c’est pas une bombe atomique. La maladie devient une partie de ce qu’elle est, mais ce n’est pas tout ce qu’elle est. 

Un autre conseil : je dirais de ne pas banaliser la situation. Oui, on peut maintenant vivre avec le VIH avec une pilule par jour, mais c’est un diagnostic qu’on va porter toute notre vie et qui a des répercussions sur beaucoup de sphères du quotidien. C’est tout un travail qui consiste à normaliser sans banaliser. »

Laïma : « Normaliser sans banaliser », c’est tellement bien dit. Et dis-moi, pourquoi souhaites-tu partager ton vécu aujourd’hui? 

« Pour briser le silence, répond-il doucement. Dans mon cas, je peux affirmer que le silence a mené à mon diagnostic. Je ne vivais pas bien avec mon homosexualité à l’époque et je ne sentais pas que je pouvais en parler à qui que ce soit autour de moi. Et ça, ça m’a clairement amené à avoir des comportements à risque. Si mon témoignage peut éviter à une personne supplémentaire de passer par ce chemin-là, tant mieux. 

J’ai aussi envie de montrer que quand on est une personne séropositive et qu’on prend sa médication, c’est un peu le retour à la vie normale sur le plan immunitaire. Il faut apprendre à vivre avec, mais on peut très bien vivre. Ce qui laisse une trace, c’est surtout le choc. Je ne veux pas me dire que j’ai perdu des années, mais j’aimerais bien recommencer à me permettre de me projeter dans le futur. Et c’est exactement ce qui est en train d’apparaître en ce moment. 

Sinon, pourquoi je te partage mon histoire? Pour me permettre de l’accepter et de me libérer. Ça fait partie de mon cheminement, d’une certaine manière.

J’aimerais aussi que mon témoignage circule en dehors des grands centres. Parce qu’en région (peut-être plus qu’en ville), l’orientation sexuelle, la différence sont encore taboues et génératrices de violence et de peur. Et cette peur-là, ça génère de l’isolement et du silence. Ce cycle se perpétue encore trop souvent et je souhaite profondément que ça cesse.

J’ai aussi envie de transmettre de l’espoir, parce que je prends vraiment conscience qu’il ne s’agit pas d’un diagnostic de mort. Pour la première fois de ma vie, avec mon partenaire, je commence à me permettre de penser à « ce serait quoi adopter des enfants? », à me permettre d’aimer, d’être aimé, d’être pleinement moi-même et de m’inscrire dans un cycle de vie. De vie. »

Laïma : Je ne sais pas comment t’exprimer à quel point je suis honorée que tu aies eu cette conversation-là avec moi. J’ai pas les mots pour te dire à quel point ça me renverse, me bouleverse et me touche. Merci infiniment de m’avoir accordé cette confiance-là. 

« Laïma, je suis devant le fleuve en ce moment, je regarde l’infini et je n’ai pas de mots non plus pour te dire à quel point c’est précieux d’avoir partagé ce moment avec toi.

Merci. »