Les Sims m’auront permis de réaliser bien des fantasmes : crisser une assiette à terre, recréer toute la fratrie Dion, faire crac-crac en public, alouette. 

Mais si je suis aussi reconnaissant envers eux, c’est surtout pour cela : ils ne font pas tout un fromage de l’homosexualité.  

Non, ils s’en sacrent comme de l’an 40, de l’homosexualité. Je dirais même qu’ils font mieux que s’en sacrer : ils ne font aucune distinction entre entre les hétéros et toute autre orientation sexuelle… 

Rétrospectivement, je réalise que cette normalisation a eu l’effet d’un baume sur mon jeune cœur queer.

Quand j’étais enfant, les Sims m’ont offert une oasis de répit, une distraction aussi douce que la moquette du bureau de mon père, dont je monopolisais le PC pendant des heures.

Une vie « normale »

Certes, ce jeu emblématique des années 2000 ne couvre pas toutes les nuances de la sexualité humaine, et je passe sous silence certaines actions plutôt wacks que nos Sims peuvent accomplir (genre toucher les fesses d’un voisin qu’on ne connaît ni d’Ève ni d’Adam). 

Cela dit, Les Sims auront toujours le mérite de permettre aux couples homosexuels de vivre une vie aussi normale que celle de leurs compatriotes hétéros (c’est-à-dire une vie rythmée par les maisons qui brûlent et les échelles de piscine qui se volatilisent).

Imaginez le contraire. Imaginez si les développeurs et développeuses du jeu avaient décidé de proscrire l’homosexualité, ou pire encore, de mettre des bâtons dans les roues aux couples du même genre.  

Imaginez si les Sims « hétéros » avaient eu le choix entre ces différentes actions lors d’un contact avec un Sim « homo » :

Conception par Benjamin Bouvier et illustration par Valaska

J’en ai des frissons dans le dos. 

Des ‘tites nuances

Pour reprendre une expression à la mode, j’ai « fait mes recherches » et j’ai découvert qu’il existe de petites distinctions entre les Sims homos et hétéros. 

(À l’époque, ces distinctions m’étaient complètement passées sous le nez, trop occupé que j’étais à créer une romance entre un Sim à mon effigie et un autre censé représenter Benjamin de MixMania.)

Dans le premier jeu, les couples du même sexe ne peuvent pas se marier. L’option « emménager » est disponible, mais pas moyen de descendre l’allée si t’es gai. 

Dans Les Sims 2, une forme d’union est possible pour les couples homosexuels (l’option s’appelle « joined union »), mais le mariage est encore hors d’atteinte. Il faudra attendre Les Sims 3 pour que le tir soit rectifié.  

Côté homosexualité, le troisième jeu pousse les choses encore plus loin : l’extension « Into the future » permet aux couples du même genre de concevoir un bébé grâce à la science (!).

Dommage que cette option n’ait pas été disponible à l’époque. Je me demande de quoi aurait eu l’air mon enfant avec Benjamin de MixMania

Cher bébé que je ne connaîtrai jamais : je te souhaite d’avoir hérité des compétences en « charisme » de Benjamin et de mes aptitudes en « nettoyage ». 

Dans les bureaux de Maxis

Ce qui m’intéresse le plus, c’est ceci : dans les premiers jeux, les Sims peuvent avoir des interactions romantiques avec n’importe qui, peu importe leur genre.

Comment expliquer la bisexualité intrinsèque des Sims? Comment s’est déroulé le meeting ayant abouti à cette décision?

J’ai essayé de m’imaginer la scène. 

Nous sommes dans les bureaux de Maxis en 1999, quelques mois avant la sortie des Sims. Le chef d’équipe interpelle un jeune développeur :

 

  • Pis? Avez-vous commencé à conceptualiser les relations amoureuses?

  • Ouais, justement, on avait une p’tite question…

  • Shoot.

  • On se demandait si… comment dire…

  • Embraye stp, j’ai un meeting avec le gars qui va composer notre délicieuse musique jazz aux accents new age.

  • On voulait savoir si les Sims pouvaient se mettre un couple avec quelqu’un du même genre.

  • Pourquoi pas? On veut que le jeu soit réaliste, non?

  • Dans ce cas-là, comment fonctionne leur orientation sexuelle? Est-ce qu’on programme un système binaire hétéro-homo? Ou est-ce qu’on élabore une échelle plus nuancée pour déterminer leurs préférences?

  • Ouin. Euh, je sais pas trop… Arrangez-vous pour que ça soit réaliste.

  • Réaliste… Donc vous aimeriez que le jeu montre toutes les nuances de l’homosexualité, incluant la marginalisation encore trop fréquente de cette communauté?

  • Avez-vous fini de modéliser la Grande Faucheuse?

  • Non.

  • Concentrez-vous là-dessus.

Et le septième jour, il fut décidé que tou·te·s les Sims allaient être fondamentalement bisexuel·le·s. 

Amen.

Merci aux Sims, merci pôpa

Je veux donc remercier la personne qui a programmé la sexualité des Sims. T’es quelque chose comme un ange gardien.

Ah, et je veux aussi remercier mon père, qui a eu la clémence de m’acheter une copie du jeu au Costco.

Ce jour-là, mon père rendait un immense service à son homosexuel inavoué de fils. 

D’ailleurs, je soupçonne mon patriarche d’avoir toujours su que j’étais 💫 gai 💫. 

Il ne ratait jamais une occasion de m’éduquer « subtilement » sur l’homosexualité. C’était bien intentionné, son affaire. Il voulait me montrer que c’était normal, que ça faisait partie de la vie. Il préparait le terrain au cas où je le sois. 

Bref, mon bienveillant père me tendait constamment des perches pour que je m’ouvre à lui… mais il s’y prenait crissement mal.

Exemple : il m’a amené voir C.R.A.Z.Y. au cinéma, pensant probablement que le film allait m’ouvrir les yeux sur mon identité. 

Je ne sais pas s’il s’attendait à un coming out de ma part au terme du film, mais c’est pas les tourments de Zachary Beaulieu et son pèlerinage à Jérusalem qui allaient me convaincre d’afficher mes couleurs. Au contraire, ça avait l’air un brin rushant, d’être gai, dans c’te film-là.

Mettons que je m’ennuyais de la bienheureuse indifférence qui règnait dans l’univers des Sims.

Non, le plus grand service que mon père m’ait rendu, c’est d’avoir installé le jeu.

Avec Les Sims, j’allais pouvoir assister à l’épanouissement de couples du même genre sans représailles ni stigmatisation – tout le contraire du sort réservé aux gais dans les films et les séries télé qui m’étaient alors disponibles! 

Bref, les Sims ont toute mon admiration. Comment dit-on « merci » en simlish? 

Ah, oui : sosoon !