Lettre à mon agresseur : je ne suis pas ta chienne

Résumé

Récit de la reprise de pouvoir d’une victime à la suite d’une agression sexuelle.

Avant que tu me lises, je veux juste que ce soit clair. Je suis le genre de personne qui couche avec un gars différent chaque soir. Ce n’est pas rare que j’aie deux dates dans une même journée ou que je baise avec des inconnus. Juste parce que. 

Maintenant que c’est dit, on peut parler de toi. On peut parler des limites que t’as franchies. Transgressées. Violées.

Je sais ce que tu penses à ce moment précis : « Elle l’a cherché. C’t’une salope. » C’est ce que disent les agresseurs pour se déresponsabiliser. Pour leur permettre de dormir le soir, ils se racontent qu’à courir dans tous les sens, les filles comme moi finissent par frapper leur mur. Le truc, c’est que je n’ai jamais pensé que ce serait toi, mon mur.

Ce soir-là, je ne sais pas pourquoi, mais j’étais off. Notre date venait de commencer et je ne le sentais pas. Ça ne feelait pas comme d’habitude. Est-ce que c’était moi ou le fait que j’étais fatiguée? Je n’avais pas de réelles raisons de vouloir crisser mon camp. Reste que l’idée m’a habitée toute la soirée. Je nous préparais à souper, pis ça me travaillait en dedans. Pour aucune raison spécifique.

Ils disent que ça se sent, ces choses-là. 

À plusieurs reprises, je me suis dit : « OK, je pense que c’est mon cue. » Mais en même temps, je ne pouvais pas te ghoster de même. La dernière fois, t’avais payé le resto; c’était la moindre des choses que je reste. Je te le devais bien. J’ai pris sur moi.  

C’est la violence avec laquelle t’as empoigné ta chienne qui m’a troublée au début, je crois. La femelle labrador de six mois avec laquelle tu cohabitais était pas mal énervée. Tu le devenais toi aussi. Elle se tapait des sprints à travers ton trois et demie de demi-sous-sol de Saint-Jérôme, pis ça te tombait gros sur les nerfs. 

Ça, ou peut-être que c’était les remarques désobligeantes sur mon mode de vie pis mes (autres) amants. Ton complexe d’infériorité que tu camouflais sous une couche épaisse de sarcasme. Tes critiques acerbes que tu prenais soin d’enrober de rires. 

C’était probablement toutes ces choses-là en même temps. 

Éventuellement, t’as mentionné que, la dernière fois, on n’avait pas mis de capote (parce que oui, on avait déjà baisé ensemble). Habituellement, je me protège. J’étais donc assez surprise que tu abordes le sujet, mais tu étais dead serious

Pour tout te dire, j’étais trop arrachée pour me rendre compte de quoi que ce soit lors de notre dernière rencontre.

Ça aura contribué plus tard à setter des standards. J’avais créé, malgré moi, un précédent et, avec toi, des attentes; celles qu’on couche ensemble à nouveau.

Mais je dois avouer qu’avant de me présenter devant ta porte, je ne sentais pas cette pression-là. Pas venant de toi. Tu m’avais même dit plus tôt qu’on pouvait se voir juste pour jaser, se faire à souper et se coller. Pis j’étais all-in pour toutes ces choses. J’aurais même été partante pour plus, si…

Les red flags ne sont pas toujours criants. On les contemple après coup, avec un peu de distance, pis on se dit que finalement, tous les ingrédients étaient réunis pour que ça vire mal.

Je repasse la scène dans ma tête. 

On a bel et bien jasé devant le feu. On s’est collés. T’as attendu ton moment pour prendre mes mains et les poser sur ton pénis déjà en érection. Je les ai retirées doucement et tu les y as remises, en appuyant plus fermement. Sur le coup, je me suis laissée faire. Parce que quand on dit oui souvent, on a parfois l’impression que dire non, ce n’est plus une option.  

Je n’avais pas spécialement envie ce soir-là, mais je me voyais mal refuser tes avances. Et y’a plusieurs raisons à ça. La première étant que j’aime ces choses-là, moi. Habituellement. Je suis supposée, en tout cas. J’ai déjà fait pire, non? J’avais même fait pire la veille, avec un autre que toi. Pis ça, tu t’en doutais, pis ça te gossait. Tu me l’as fait sentir toute la soirée. Bon, j’avais peut-être juste besoin de me mettre dedans, de t’embrasser pour trouver mon excitation. Fek on a commencé à frencher sur le divan et ça a fonctionné. J’ai mouillé quand tu m’as touchée.

Pis après, tu m’as replacée, de façon à ce que mon visage arrive au niveau de ta queue. Tu l’appuyais de plus en plus fort sur ton sexe pour me laisser savoir, sans trop de délicatesse, que t’avais envie que je te suce. T’avais aimé ça la dernière fois et t’en voulais encore. Je le comprenais. Mais ce soir-là, j’avais juste pas le goût.

Tu devais y penser en appuyant ma tête près de ton ventre.

« Elle, c’est une petite pute, on peut faire ce qu’on veut avec. Je vais lui en mettre plein la bouche. Elle va tout me donner, la chienne. » La vérité, c’est que je t’ai donné plus que ce que je pouvais. Plus que ce que je voulais.

Tu continuais d’insister et je persistais à relever la tête. Je voulais te montrer, doucement, que je n’en avais pas envie. Tu m’as quand même demandé de te sucer. Plusieurs fois. T’as été plutôt explicite dans ta commande.

J’ai dit NON. Tu m’as demandé pourquoi. 

« J’ai mal à la gorge. Je suis malade, je te l’ai dit tantôt », ce n’était pas suffisant. 

« J’ai pas l’goût ce soir », toujours pas.

T’as poussé mon crâne plus fort, mais cette fois, en agrippant mes cheveux. Pis t’as continué. Tu t’es même mis à te crosser sur ma face et à cogner ta queue contre ma bouche fermée. J’avais été fine jusque-là. Docile, même. Mais je trouvais que tu dépassais sérieusement les bornes. La yes girl en avait assez.

J’ai décidé d’embarquer dans ton jeu. Tu voulais que j’embrasse tes parties; je me suis mise à licher tes couilles. T’as gémi. J’en ai aspiré une dans ma bouche. T’as eu un petit spasme.

Pis je te l’ai mordue. Fort. Avec mes dents d’animal. Y’avait pu de place pour la gentillesse. 

Tu m’as repoussée. T’étais fâché, en colère même. 

« DOUX, ON A DIT! » Parlais-tu à moi ou à ta chienne? 

Ma petitesse face à ta carrure imposante : les chances que j’en sorte vainqueure étaient presque nulles. Montrer que je n’avais pas peur était le seul moyen de m’en sortir à peu près correctement.

Je me suis redressée. Je te dominais de toute ma hauteur, à présent. C’est moi qui avais le dessus. Toujours agir comme si j’avais le contrôle. Faire croire, même dans la dérape, que JE tiens la laisse. Même si, réellement, je suis en position d’infériorité. On l’est toujours, nous autres.

J’ai repris mes vêtements. Je me suis levée et j’ai commencé à me rhabiller. C’était allé trop loin et tu le savais. T’as vu dans mes yeux que j’étais sérieuse. Tu ne voulais pas me laisser partir. Tu ne pouvais juste pas. Tu m’as arraché les vêtements des mains. Tu m’as plaquée sur le divan, m’as retournée sur le ventre pour retirer de force la culotte que je venais tout juste d’enfiler.

« T’es venue pour ça, non? Laisse-toi donc faire. »

T’as essayé de me la mettre. Toujours sans condom. J’ai eu peur. Je t’ai repoussé avec mon pied. Un bon coup ferme sur la poitrine, un acte de défiance. En guise de défense, surtout.

Tu t’es éloigné, enfin. Tu ne comprenais pas ou peut-être que tu comprenais trop.

« On l’a fait sans, la dernière fois, on s’en crisse. » 

Est-ce que je devais vraiment être celle qui t’apprend qu’une fois n’est pas coutume? Apparemment, oui. 

« C’était juste des blagues – je te niaisais. » 

Ça s’arrêtait là. On n’avait plus rien à se dire. Je voulais partir. J’étais figée. Tu m’as pitché mon linge à la figure et t’es allé t’enfermer dans la salle de bain, frustré. Pis juste avant de claquer la porte, tu m’as jeté un regard de tueur. 

Là, c’était mon cue

Il m’a fallu quelques instants. Je suis restée un peu pantoise avant de me ressaisir, de rassembler mes affaires et de me sauver. Il faisait froid dehors, pis ça neigeait fort. La grosse tempête toé chose. Pas eu le temps d’enfiler mes bas dans mes espadrilles. Pas eu le temps de mettre de chandail sous mon manteau. J’étais glacée. 

J’ai couru vers ma voiture. Une fois à l’intérieur, j’ai verrouillé les portières. J’étais essoufflée. Je n’ai pas pris le temps de déblayer. Les vitres étaient givrées et on ne voyait presque rien. Tant pis. J’ai démarré et je suis partie. J’ai roulé beaucoup trop vite. Je filais à travers les rues étroites de banlieue. Je voulais mettre le plus de distance possible entre nous. 

Je voulais m’éloigner de la honte, de mon sentiment d’inconfort. 

Tu m’as appelée à de nombreuses reprises durant le court trajet qui sépare nos deux maisons. Je voyais tes textos rentrer un après l’autre. Je sentais ta rage de loin. Tes mots violents qui résonnaient dans ma tête. 

Je me sentais coupable. Tremblotante. J’avais envie de m’excuser. 

Qu’est-ce que je venais de vivre? Pourquoi je me sentais de même? J’aurais pas dû me coller. J’aurais dû être plus claire. J’aurais pas dû accepter de te voir, tout court. 

J’aurais donc dû. J’aurais donc pas dû. 

Je réagis pour rien au fond. Parce qu’il ne s’est rien passé. Pas vraiment, hein? Ça s’est déroulé tellement vite. Finalement, tu t’es arrêté. T’es pas allé jusqu’au bout et pourtant…

Je m’écœure. Il y a quelque chose de changé en moi. 

Mais à travers tout ça, je me raccroche à une vérité : je ne suis pas ton animal. Je ne suis pas une bête de cirque. Je ne fais pas des tours sur commande. Je ne suis pas une petite chienne. Je ne suis pas ta chose. Je ne suis pas une poupée dont on peut disposer comme bon nous semble. 

Tu ne peux ni me posséder ni manipuler mon corps comme tu l’entends. Je ne t’appartiens pas et ne t’appartiendrai jamais. Ce que je fais avec les autres ne te donne pas le droit de réclamer le même traitement. Ce que j’ai fait avec toi les fois précédentes ne te permet pas de demander que je recommence. Me payer à souper, ça ne veut pas dire que tu peux me baiser quand tu veux, comme tu veux. 

Ce soir-là, entre tes mains, t’as voulu me déposséder de mon corps. Mais je ne te laisserai pas tout avoir. Je ne te laisserai surtout pas refaire le même coup à d’autres. Parce que sans mon caractère combatif, la soirée aurait pris une autre tournure. Je fais partie des chanceuses, mais les autres filles, elles… Elles doivent être prévenues. Elles doivent savoir, pour mieux se protéger contre les gars comme toi. J’écris pour elles. Parce que si ce n’est pas moi, qui le fera? Je ne suis pas les autres et elles ne sont pas moi.

Je ne suis pas ta chienne. Je mords, moi.

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