Le lièvre et la tortue du désir sexuel : prendre son temps lors des premières dates

Résumé

Est-ce correct de vouloir attendre avant d’avoir des rapprochements avec quelqu’un·e? Est-ce normal que le désir sexuel puisse prendre du temps à se développer?

  • Écoute, JP, je ne sais pas si tu aimerais m’embrasser ou si tu pensais le faire, mais, j’ai besoin que tu saches que je ne t’embrasserai pas ce soir. C’est rien de personnel. En fait, c’est parce que j’aimerais te revoir. Si on s’embrasse ce soir, ça va créer un précédent; ça va ouvrir la voie à l’attente qu’on s’embrasse la prochaine fois. Et je sais que, pour moi, la pression sera assez forte pour que je décide de simplement arrêter de te fréquenter. Donc, comme je veux continuer à passer du temps avec toi, je ne vais pas t’embrasser ce soir. Comment est-ce que tu te sens par rapport à ça?

  • Ben, puisqu’on est honnêtes, sache que, oui, j’ai envie de t’embrasser. Mais, je comprends tout à fait ton appréhension. Prends tout le temps dont tu as besoin. Quand tu seras prête, fais-moi signe. Je veux que tu saches qu’il n’y a aucune pression.

Cet échange est-il bizarre ou hors de l’ordinaire pour une date? Est-ce une conversation que personne ne voudrait avoir? Ou, au contraire, est-elle trop belle pour être vraie? 

Et si je vous disais que c’est un échange que j’ai déjà eu? (Oui, oui, pour vrai!)

Nous étions sur notre troisième date, en train de partager des moules au vin blanc et à l’ail, chacun·e avec une pinte de bière à portée de la main. En faisant part de mon souci à ma fréquentation, je me suis libérée d’un poids énorme : la pression des attentes implicites lors des premières dates.

Je voulais éliminer cette pression, qui, selon moi, existe à l’échelle culturelle.

La pression générée par la croyance selon laquelle l’absence d’une composante physique « assez tôt » lors de fréquentations ​​– minimalement un baiser – signale nécessairement un manque d’intérêt romantique ou sexuel.

Si une personne perçoit qu’il n’y a pas d’intérêt, son espoir qu’il y ait des rapprochements s’estompe et elle mettra fin à la fréquentation. 

Cette croyance erronée me positionne entre l’arbre et l’écorce : d’une part, si je souhaite continuer à fréquenter une personne et à apprendre à la connaître, il y a une pression énorme de communiquer un intérêt de manière physique ou sexuelle, de lui donner une lueur d’espoir afin de conserver son intérêt. 

D’autre part, je sais aussi que si on s’embrassait à la première, à la deuxième ou même à la troisième date, ça serait beaucoup trop vite pour moi. Ça établirait un précédent : « Si elle m’a embrassée la dernière fois, elle serait sûrement down pour m’embrasser cette fois-ci. »

Avec un seul baiser, la proximité physique et potentiellement sexuelle serait désormais sur la table. 

Quand « désir sexuel » rime avec « amour »

Vous vous demandez peut-être si je ne fais que réprimer mon désir; si, au fond, j’aimerais bien embrasser l’autre personne, ou même me retrouver sous la couette avec elle, mais que je fais preuve de retenue. Nope. Si seulement c’était aussi simple que ça!  

D’abord, je ne tombe pas facilement amoureuse. Pour moi, le processus impliqué dans le développement de sentiments amoureux est lent comme de la mélasse en hiver. Ça peut me prendre de plusieurs mois à un an. 

C’est la même chose pour l’attirance sexuelle. Je peux trouver une personne physiquement de mon goût tout en trouvant l’idée de coucher avec elle – ou même de l’embrasser – hyper malaisante. 

Pour moi, l’amour et le désir sexuel vont main dans la main. Ça ne m’arrive pas de vivre du désir sexuel pour quelqu’un avant de bien la connaître, d’aimer qui elle est, de la trouver intéressante, de me soucier de son bien-être et de vouloir passer du temps avec elle. 

Ça ne m’a tout de même pas empêchée d’avoir du casual sex. Beaucoup, même (sorry, mom and dad!). C’est que le désir sexuel n’est pas une condition essentielle aux relations sexuelles. Une personne peut très bien s’adonner à des relations sexuelles sans ressentir de désir. Le corps s’adapte bien en absence de désir. Mouiller, ça se fait souvent de manière réflexive.

Le plaisir que j’éprouvais lors de ces relations sexuelles était beaucoup plus d’ordre psychologique que physique : je trippais surtout sur le fait d’être désirée, d’avoir été « choisie ».

Ces relations sexuelles n’étaient pas forcément déplaisantes, juste… ordinaires. Mécaniques. 

De plus, je n’ai jamais eu d’orgasme lors d’une relation casual. J’ai simulé tous mes « orgasmes » dans ces contextes. Les fois où le casual sex était plus agréable, c’était généralement avec des personnes que je connaissais – surtout des amis. On aimait passer du temps ensemble. Je les aimais bien et je me sentais à l’aise avec eux.

Établir clairement ses limites

Mon désir sexuel ne dépend pas uniquement de mon appréciation de l’autre personne et de mon confort en sa compagnie. J’ai aussi besoin qu’elle s’intéresse à moi, qu’elle me connaisse, qu’elle apprécie qui je suis, qu’elle aime passer du temps avec moi, qu’elle me fasse confiance, et surtout, qu’elle me voie comme une personne à part entière. J’ai besoin qu’elle me voie comme beaucoup plus qu’un simple corps. 

Je ne veux pas être juste un trou, un orifice, un objet avec lequel se masturber.

Parce que dans notre société, c’est si facile de voir une femme comme un objet sexuel et de faire abstraction de ses désirs. Le moindre doute qu’on m’objectifie est suffisant pour étouffer mon désir bourgeonnant. 

Quand j’ai commencé à fréquenter JP – cet étranger que j’avais rencontré sur OkCupid –, c’est donc avec tout ça en tête que j’ai voulu me donner le luxe de prendre mon temps. Ça ne me tentait pas de fréquenter quelqu’un juste pour baiser. Et si on allait coucher ensemble, je voulais que le sexe soit bon.

Je voulais m’offrir la possibilité de ressentir du désir, de suivre sa trajectoire naturelle. Je voulais des orgasmes. Je voulais être certaine qu’il ne me voyait pas comme une chose à fourrer. Je voulais être pleinement authentique et dans le moment présent plutôt que dans ma tête. Je ne voulais pas coucher avec un étranger.

Tout vient à point à qui sait attendre

Un mois après mon moment de transparence radicale avec ma fréquentation – un mois de dates et d’échanges quotidiens par texto –, je commençais à être curieuse à propos de sa façon d’embrasser.

Je n’éprouvais pas encore ce fameux spark, et donc pas encore de désir comme tel, mais j’étais curieuse. 

Une curiosité mélangée à la peur : la peur de découvrir qu’il embrasse comme un pied, mais aussi, qu’il me perçoive comme une agace étant donné que je n’avais pas de crush sur lui alors que je soupçonnais qu’il en avait un sur moi. Est-ce qu’un baiser de curiosité valait le risque de le blesser ou de mettre fin à notre fréquentation?

On s’est rencontré·e·s à L’Amer à boire pour une pinte et des grignotines. J’étais déterminée : notre premier baiser allait avoir lieu ce soir. Puisque la balle était dans mon camp, je me sentais nerveuse. 

Comment allais-je aborder le sujet? Devais-je d’abord m’asseoir plus près de lui? Devais-je le surprendre? J’étais tellement prise dans ma tête qu’au moins le tiers de ce qu’il me disait entrait par une oreille et sortait par l’autre.

Il m’a offert de me raccompagner chez moi.

On a marché sur Saint-Denis vers Sainte-Catherine. Il avait le hoquet. On a continué à jaser. Une petite neige s’est mise à tomber doucement. 

J’avais l’impression que mon estomac faisait des backflips tellement je me sentais agitée d’anticipation. Je voyais cependant le temps s’écouler. Notre premier baiser n’aurait peut-être pas lieu ce soir-là, finalement. Je serais plus courageuse la prochaine fois. 

Comme il avait toujours le hoquet, je lui donnais plein de trucs pour l’aider à s’en débarrasser, mais rien ne fonctionnait. On riait. 

Une petite lumière s’est soudainement allumée dans ma tête.

« Attends, je sais ce qui va t’enlever le hoquet! »

« Ah oui? Quoi? »

J’ai doucement tiré sur sa manche pour l’inviter à ralentir le pas et je me suis tournée vers lui. Mon cœur battait la chamade. J’ai approché mon visage du sien, puis j’ai posé mes lèvres sur les siennes. Soulagement : il embrassait teeeeeellement bien!

Je me suis reculée pour découvrir son visage illuminé de joie et de surprise. 

Son hoquet avait disparu. 

***   

Merci infiniment d’avoir respecté mes limites et d’avoir accueilli mon appréhension avec bienveillance. Merci de ta patience et de ton acceptation. Merci d’avoir créé un espace favorisant mon authenticité, où je n’ai jamais eu à craindre les répercussions d’un refus. Merci de m’avoir donné tout le temps dont j’avais besoin pour laisser fleurir mon amour et mon désir pour toi.

C’est parce que le lièvre a pu attendre la tortue qu’on fête bientôt notre huitième anniversaire de couple. ❤️

  • Barrada, J. R., Castro, Á., Fernández-Del-Río, E. et Ramos-Villagrasa, P. J. (2021). Motives to have sex : Measurement and correlates with sociodemographic, sexual life, and psychosexual characteristics. Frontiers in Psychology, 12, 645493. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2021.645493

    Fiorini, M. S. (2022). Asexuality and demisexuality : Clinical implications of sexual identity (N° de publication 469) [Doctoral research paper, University of Denver]. Digital Commons @ DU. https://digitalcommons.du.edu/capstone_masters/469

    Garcia, J. R., Reiber, C., Massey, S. G. et Merriwether, A. M. (2012). Sexual hookup culture : A review. Review of General Psychology, 16(2), 161–176. https://doi.org/10.1037/a0027911

    Hille, J. J., Simmons, M. K. et Sanders, S. A. (2020). “Sex” and the ace spectrum : Definitions of sex, behavioral histories, and future interest for individuals who identify as asexual, graysexual, or demisexual. The Journal of Sex Research, 57(7), 813–823. https://doi.org/10.1080/00224499.2019.1689378

    Humphreys, T. (2007). Perceptions of sexual consent : The impact of relationship history and gender. Journal of Sex Research, 44(4), 307–315. https://doi.org/10.1080/00224490701586706

    Loughnan, S. et Pacilli, M. G. (2014). Seeing (and treating) others as sexual objects : Toward a more complete mapping of sexual objectification. TPM-Testing, Psychometrics, Methodology in Applied Psychology, 21(3), 309–325. http://www.tpmap.org/wp-content/uploads/2015/11/21.3.6.pdf 

    Palermo, A. M., Harkins, L. et Campbell, A. (2021). Do I really need to ask for a kiss? University students’ perspectives and expressions of sexual consent. Sexuality & Culture, 26(1), 249–267. https://doi.org/10.1007/s12119-021-09889-8

    Puranik, N., Sankeshwari, S. et Mulgund, A. A. (2020). Physiological basis of love – This is our brain on love : Physiology of love and its basis. International Journal of Current Research in Physiology and Pharmacology, 4(4), 5–8. https://doi.org/10.31878/ijcrpp.2020.44.02

    Reissing, E. et Wentland, J. J. (2014). Casual sexual relationships : Identifying definitions for one night stands, booty calls, fuck buddies, and friends with benefits. The Canadian Journal of Human Sexuality, 23(3), 167–177. https://doi.org/10.3138/cjhs.2744   

    Tsui, P. P. (2022). Erotic capabilities : A feminist analysis of sexual justice and pleasure in heterosexual sex partying. Sexualities. https://doi.org/10.1177/13634607211060507

    van Raalte, L. J., Bednarchik, L. A., Generous, M. A. et Mongeau, P. A. (2021). Examining rules in friends with benefits relationships. Archives of Sexual Behavior , 51(3), 1783–1792. https://doi.org/10.1007/s10508-021-02114-5