Sexe et drogue : deux ex-adeptes du chemsex témoignent

Résumé

Le « chemsex », ou « Party and Play » (PnP), est de plus en plus répandu, particulièrement dans les communautés gaies des grandes villes comme Montréal. Deux ex-adeptes ont accepté de nous faire part de leur expérience avec cette pratique.

« Prendre du crystal meth, ça enlevait toute une couche de jugement et de honte sur ma propre sexualité. Tout à coup, je pouvais la vivre comme je le voulais, sans complexes, sans insécurités. Mais j’ai failli y perdre ma vie. »

Pendant presque neuf ans, Éric a consommé des drogues, principalement du crystal meth, pour amplifier ses relations sexuelles. Jusqu’à plusieurs fois par semaine, iel s’adonnait à des marathons de sexe avec des hommes sous l’influence de substances psychoactives. C’est ce qu’on appelle le « chemsex » ou « Party and Play » (PnP), une pratique de plus en plus répandue, particulièrement dans les communautés gaies des grandes villes comme Montréal.

Aujourd’hui âgé·e de 39 ans et sobre de toute substance, Éric se souvient comme si c’était hier de son premier contact avec le crystal meth dans un sauna gai de la métropole. 

« Ce soir-là, ç’a été un trip d’à peu près une journée et demie à ne pas dormir et à avoir une sexualité débridée avec plusieurs partenaires », raconte-t-iel.

« Quand je suis retourné·e chez moi, j’ai tout de suite su que j’étais dans la marde. J’avais beaucoup trop aimé ça. »

Ivresse sexuelle

Lorsqu’iel consomme, Éric se sent invincible, excessivement désirable; son plaisir sexuel est décuplé et iel devient, dans son esprit, l’amant·e parfait·e. Mais lorsque les effets de la drogue s’estompent, la dépression est aussi vive que l’euphorie sexuelle des jours précédents.

Au fil des années, Éric tente constamment de cesser de consommer, en vain. L’appel de la Tina est trop fort.

« Mes années de consommation ont été faites de problèmes de santé physique et mentale, d’ITS, de trips sexuels avec du consentement vraiment flou, de moments où j’ai été sur le bord de la psychose, où j’ai commencé à entendre des voix, où j’ai eu peur de mourir, confie-t-iel. Je me souviens d’une fois où j’ai perdu connaissance dans un sauna et je me suis réveillé·e plusieurs heures plus tard, seul. J’aurais pu overdoser là et ne jamais me réveiller. »

La dépendance d’Éric ébranle sa carrière dans le domaine culturel, mais aussi ses relations. « Le chemsex, c’est tellement intense qu’en comparaison, la sexualité intime, one-on-one, dans une forme de relation amoureuse, ça ne m’excitait plus », dit-iel.

« Tous mes fantasmes, tout mon univers sexuel étaient faits d’images de chemsex, ce qui venait aussi avec une consommation extrêmement intense de pornographie. Et je vivais trop de honte pour être capable d’être intime avec quelqu’un à jeun. »

La honte, c’est ce qui empêche Éric de parler de sa dépendance à son entourage. À l’époque, très peu de gens parlent du chemsex; Éric se sent seul·e au monde. Mais un jour, iel entend parler de Crystal Meth Anonymes et décide d’intégrer un groupe de soutien.

« À partir de là, j’ai su qu’il y avait des gens qui réussissaient à arrêter le crystal, que c’était possible, dit-iel. J’ai rencontré des gens en rétablissement là-bas, j’ai participé à un projet de vidéos sur le rétablissement, j’ai écrit une pièce de théâtre sur le sujet. À partir du moment où je me suis mis à en parler, ç’a commencé à aller mieux. »

Maximiser le plaisir

Félix, 26 ans, a aussi essayé le crystal meth pour la première fois dans un sauna montréalais. Il lui arrivait déjà de consommer de la kétamine, de la coke ou de la MDMA, mais dans des partys plutôt que dans un contexte de chemsex. Cette première expérience a été suivie d’environ quatre mois de consommation sexualisée.

« C’est une sexualité avec des sensations maximisées, très intenses, décrit-iel. Il n’y a plus d’insécurités : je n’étais plus self-conscious comme je pouvais l’être parfois avec la sexualité. Au départ, t’as l’impression de partager un moment, une connexion avec l’autre, mais en vérité, on est juste chacun·e tourné·e vers notre plaisir charnel à soi. »

« J’ai essayé des affaires, sexuellement, que je n’aurais jamais faites si je n’étais pas sur cette drogue-là; c’est comme s’il n’y avait plus de barrières, ajoute-t-iel. Je voulais toujours aller plus loin pour maximiser le plaisir. »

Félix fait rapidement une première psychose, puis une deuxième : iel rentre au travail sans avoir dormi depuis cinq jours et réalise qu’iel entend des voix. « Ç’a m’a vraiment traumatisé. Honnêtement, j’approche les cinq ans de sobriété de cette substance, et j’ai l’impression que ma santé mentale commence juste à se stabiliser. D’une certaine façon, tant mieux si ça m’a fait peur, parce que c’est ce qui m’a motivé·e à arrêter. »

Mettre fin à la honte

Pour Éric et Félix, le chemsex se situe à l’intersection de plusieurs enjeux vécus par les communautés gaies, notamment l’homophobie et la transphobie intériorisées.

« Je pense que ça en dit beaucoup sur les maux de la communauté qu’une grande partie des gens aient besoin de se geler pour pouvoir se laisser aller et apprécier un moment d’intimité » , souligne Félix.

« Et je ne suis pas en train de juger les gens qui consomment, loin de là. Ce que je dis, c’est que dans le meilleur des mondes, on n’aurait pas besoin de la consommation pour avoir accès à une sexualité où on se sent bien avec soi et avec l’autre. »

« Il y a aussi tout le côté de l’identité de genre, mentionne Éric. Moi, j’ai toujours eu un malaise avec l’espèce de masculinité que je sentais qu’il fallait que je dégage dans ma sexualité gaie. Je n’avais jamais l’impression d’être à la hauteur, d’être assez masculin. Mais avec le chemsex, tous ces barèmes-là disparaissent. »

Selon Éric, beaucoup de chemin reste à faire pour que les membres de la communauté gaie « apprennent à entrer en relation intime les uns avec les autres de façon saine ».

« J’ai des amis qui essaient d’avoir une sexualité sobre, mais ils vont sur Grindr et ils font face à tellement de violence! Ils se font ghoster, c’est raciste, c’est homophobe, c’est grossophobe. Si t’essaies d’affronter ça sobre, c’est tough en maudit. »

« Je n’ai rien contre toute cette sexualité libre, la multiplication des partenaires, les rencontres d’un soir si ça te tente, précise-t-iel. Mais comment on traite les autres, comment on entre en relation les un·e·s avec les autres, on est beaucoup à avoir de l’apprentissage à faire de ce côté-là. »

Heureusement, de plus en plus de personnes comme Éric et Félix s’ouvrent publiquement sur leur expérience avec le chemsex, et davantage de ressources sont disponibles pour soutenir les personnes qui consomment, qu’elles souhaitent arrêter ou non.

« Sans aide, je suis convaincu·e que je ne serais pas arrivé·e à m’en sortir, alors c’est super de voir qu’un dialogue s’ouvre sur ces questions-là », se réjouit Éric.

« Le plus grand obstacle à ce que quelqu’un demande de l’aide, c’est la honte, poursuit-iel. Alors à partir du moment où plus de gens en parlent, où on permet aux gens de se sentir légitimes, fiers de qui ils sont malgré leur consommation, peu importe leur identité de genre ou leur orientation sexuelle, plus les gens vont se sentir libres d’en parler à leur médecin, à leur intervenant·e, à leur entourage. Et plus ils vont être capables de s’en sortir. »

Pour en savoir plus sur la pratique du chemsex, consulte notre article informatif sur le sujet.