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Promenade dans la tête et le cœur de deux personnes non binaires

Blake, Mathieu et moi portons la robe à l’occasion. Pourtant, je suis la seule des trois qui n’a jamais choqué personne ou qui ne s’est jamais fait poser de questions parce qu’on retrouve ma robe entre une paire de jeans et mon pull prèf dans ma garde-robe.

Blake et Mathieu sont des personnes non binaires. Pandémie oblige, Google Meet m’a permis de les rencontrer entre deux croquées de sandwich pour jaser de coming out, de sexualité et de leur façon de vivre la non-binarité au quotidien.

« Le jour où j’ai compris que je n’étais pas obligé·e de m’identifier aux deux genres que l’on connaît, j’ai compris que peu importe comment je me sentais, je demeurerais toujours la même personne : moi. » – Blake

Passage obligé : le coming out

Le 16 octobre 2020 a tout eu d’extraordinaire pour Blake, qui a pris la parole sur sa page Facebook pour faire son coming out. Blake a profité de l’exercice pour dévoiler son nouveau prénom, qu’iel a qualifié d’« unisexe » dans son message de quelques dizaines de mots qui, rapidement, a suscité des centaines de réactions. Chantal Montpetit, conseillère pédagogique du Département de communication de l’Université de Sherbrooke, a profité de cette publication pour partager le lien qui lui permettrait éventuellement de changer de prénom sur sa carte étudiante et dans le système universitaire.

De son côté, Mathieu, qui porte encore le prénom qu’on lui a donné à la naissance, a fait son premier coming out il y a près de cinq ans. Depuis, son prénom et son apparence physique poussent les gens à assumer son genre. Mathieu doit donc souvent faire ce qu’iel qualifie de mini-coming out

« La plupart du temps, je le fais à la blague. Si quelqu’un m’appelle “il” de manière répétée, c’est mon genre de lui envoyer un mème juste pour lui faire comprendre que je suis non binaire. » – Mathieu

Pour Mathieu, la non-binarité est loin d’être un bloc monolithique clair, elle se vit de manière différente tous les jours. Mathieu s’identifie aujourd’hui comme personne non binaire et queer, mais reconnait que ses expériences de vie et son éducation de garçon font d’iel une personne qui a pas mal de réflexes qu’on attribue souvent au genre masculin. 

« Quand je me sens moins en confiance, j’ai tendance à me réfugier dans des attributs qu’on considère plus masculins. C’est pas pour rien que je porte la barbe, il y a des privilèges qui viennent avec ça. » – Mathieu

Blake, pour sa part, se dit une personne non binaire et trans, de par le fait qu’iel ne s’identifie pas forcément au sexe (masculin) qui lui a été attribué à la naissance, sans non plus se reconnaître complètement dans le genre féminin. 

« Mon corps et moi, on a appris à cohabiter et à vivre ensemble. Aujourd’hui, je n’ai plus envie d’avoir de barbe et j’aimerais avoir des seins; pour le reste, je me pose des questions tous les jours. » – Blake

Comment vivent-iels leur sexualité?

Blake se dit une personne bisexuelle de par le fait qu’iel est attiré·e par les femmes ou les hommes, sans avoir aucune expérience avec les personnes qui ne se disent ni l’un ni l’autre ou un peu des deux, comme c’est son cas. Pour Blake, l’idée d’avoir des relations sexuelles avec des hommes et des femmes cisgenres qui incarnent les stéréotypes masculin et féminin a longtemps été une façon d’instaurer une certaine normalité à travers les changements qui se passaient dans son dedans. Aujourd’hui, Blake se dit ouvert·e à l’idée de partager sa sexualité avec des personnes qui, comme iel, ne sont pas cisgenres.

« S’il y a vraiment un terrain où mon genre n’a pas d’importance, c’est dans ma sexualité. Mon corps est influencé par mon identité, oui, mais mes attirances sexuelles ou ma façon de vivre ma sexualité, elles, ne changent pas. » – Blake

De son côté, même s’iel n’a été en couple qu’avec des femmes cisgenres, Mathieu se dit pansexuel·le et très ouvert·e à l’idée de rencontrer des personnes qui ne sont pas cisgenres. Là où les deux se rejoignent, c’est dans l’idée qu’il est important de dissocier la sexualité de la personne.

Et les rencontres?

Blake et Mathieu possèdent tou·te·s deux un compte Tinder. L’application de rencontre prisée par notre génération permet à ceuzes qui l’utilisent de s’identifier au genre de leur choix et même de créer un nouveau terme pour le désigner.

Là où l’algorithme de Tinder n’est pas parfait, c’est qu’il affiche le profil de ces personnes à des gens qui ne sont pas forcément ouverts à rencontrer une personne n’étant pas cisgenre. Résultat : Blake ne compte plus le nombre de fois où iel a reçu des messages lui disant qu’on ne comprenait pas son genre, et Mathieu, de son côté, a déjà reçu des messages de personnes l’accusant de se prendre pour une femme. Notons toutefois que si les messages se sont rendus à leur destinataire (Blake ou Mathieu), c’est que leur auteur ou autrice a pris le temps de swiper à droite.

Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : les deux personnes intéressées insistent sur le fait que l’application leur a également permis d’avoir de superbes discussions et de très belles rencontres avec plusieurs personnes.

Viser la question plutôt que la réponse

« Une identité de genre, c’est comme n’importe quoi. T’as le droit de prendre une décision, puis de revenir sur celle-ci sans que ce soit grave. Changer de case, ça a tellement l’air d’être un gros pas, pis ce l’est, parce qu’il y a beaucoup de pression qui vient avec cela, mais il faut aussi laisser place à l’exploration, à l’évolution et à l’erreur. » – Mathieu

Cette discussion qui a rapidement débordé l’heure que nous avions prévue ensemble s’est terminée sur une conclusion qui ne se veut ni une réponse, ni même une certitude, mais bien une ouverture. Ensemble, on a déconstruit l’idée selon laquelle l’identité de genre, au même titre que l’orientation sexuelle, est quelque chose qu’on enferme dans une petite boîte fermée à clé. Si cela se trouve, cette boîte, on ne l’a jamais réellement fermée, elle est grande ouverte, et le couvercle qui servait à la fermer s’est perdu quelque part dans le monde.

« La non-binarité, pour moi, c’est un peu comme un super-pouvoir qui nous permet constamment de nous remettre en question. La remise en question, c’est une façon de devenir une meilleure personne. La réponse, on s’en fout un peu; l’important, c’est les questions qu’on se pose. » – Blake

Blake, Mathieu et moi portons la robe à l’occasion. Je ne partage pas leur super-pouvoir et je ne fais pas partie de cette communauté marginalisée à laquelle iels appartiennent, mais je ne peux que me sentir privilégiée d’avoir passé ce midi de novembre en leur compagnie. Au-delà de manger mon lunch dans leur face, j’ai appris à les écouter les yeux fermés, question d’apprécier pleinement ma promenade dans leur tête et leur cœur.

  • Dickey, Lore M., Stephanie L. Budge, Sabra L. Katz-Wise, et Michael V. Garza. 2016. Health disparities in the transgender community: Exploring differences in insurance coverages. Psychology of Sexual Orientation and Gender Diversity, 3 (3), 275–282.

    Éducaloi (2020) La loi, vos droits – Transition de genre : faire changer ses documents officiels. Récupéré sur https://educaloi.qc.ca/capsules/transition-de-genre-faire-changer-ses-documents-officiels/

    Interligne (s.d.) Interligne – Foire aux questions. Récupéré de https://interligne.co/foire-aux-questions/ 

    Rogers, B. A. (2019). “Contrary to All the Other Shit I’ve Said”: Trans Men Passing in the South. Qualitative Sociology, 42(4), 639-662.

Si cet article te parle, il y a un épisode de notre balado À quoi tu jouis? consacré entièrement au coming out.