Prelib

Plus de partenaires, plus de chances d’avoir des ITSS?

Résumé

Être slutty, ça ne rime pas forcément avec ITSS. C’est plus nuancé que ça. En réalité, le nombre de partenaires sexuel·le·s serait  plutôt un facteur de risque et il faut se pencher sur les pratiques et les contextes pour mieux comprendre pourquoi.

Cet article est présenté par Prelib.

On pourrait être porté·e à croire que plus on a de partenaires sexuel·le·s, plus on aura une grande collection d’infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS; Balfe et al., 2010). Ceci rejoindrait la croyance selon laquelle une personne peut contracter une ITSS parce qu’elle est « immorale » ou « irresponsable » (Balfe et al., 2010; Shepherd et Gerend, 2014). 

Pourtant, au cours des dernières années, on observe une baisse relative du nombre de partenaires sexuel·le·s chez les jeunes adultes (Twenge et al., 2015, 2017), mais… une augmentation du taux d’ITSS (Blouin et al., 2023). 

Ça s’explique simplement par le fait que le lien qu’on trace entre nombre de partenaires et taux d’ITSS n’est pas aussi simple qu’il en a l’air.

Il ne s’agit pas d’une relation de cause à effet : le nombre de partenaires sexuel·le·s serait plutôt un facteur de risque. Tout comme le fait de n’avoir eu qu’un·e seul·e partenaire sexu ne signifie pas que tu n’as pas d’ITSS, le fait d’avoir ou d’avoir eu beaucoup de partenaires ne signifie pas que tu vas avoir une ou plusieurs ITSS, mais ça augmente quand même les risques.

D’ailleurs, combien de partenaires doit-on avoir pour que ce soit officiellement considéré comme « beaucoup »? 

Plutôt que de penser que « plusieurs partenaires » rime avec « ITSS », il serait plus judicieux de réfléchir aux pratiques et aux contextes qui peuvent expliquer pourquoi la multiplication des partenaires est considéré comme un facteur de risque.

Entre autres, ces pratiques et contextes incluent : 

1. Ne pas utiliser de condom ou l’utiliser de manière inconstante

Au-delà de l’abstinence sexuelle totale, c’est-à-dire de n’avoir aucun contact sexuel avec une autre personne (qu’il implique ou non une pénétration), ce qui offre le plus de protection contre les ITSS sont les méthodes de protection dites « de barrière », qui incluent le condom externe (« masculin » ou traditionnel) et interne (« féminin ») et le carré et les gants de latex.

Cependant, même si on sait que les condoms et cie sont une stratégie de protection efficace contre les ITSS, on est plusieurs à ne pas les utiliser ou à ne pas le faire de manière adéquate. Selon les données d’un sondage du Club Sexu, 44 % des personnes qui n’étaient pas en couple ont rapporté ne pas avoir utilisé de protection contre les ITSS lors de leurs dernières relations sexuelles (ce chiffre monte à 74 % chez les personnes en couple). Les données de l’Institut national de santé publique du Québec (2017), qui présentent des résultats semblables, montrent également que, parmi les jeunes de 17 à 29 ans ayant utilisé un condom lors de leur dernière relation sexuelle, 20 % ont effectué une pénétration avant de sortir le condom de son emballage. Oups.

Mais, si on sait que les condoms sont efficaces, pourquoi sommes-nous autant à ne pas les utiliser? Selon le Canadian Community Health Survey, auquel plus de 11 000 jeunes ont participé, 47 % ont dit ne pas utiliser de condom parce qu’ils ou elles sont en relation monogame, et 47 % parce qu’une autre méthode de contraception est utilisée (on parle donc de contraception hormonale, ce qui n’offre aucune protection contre les ITSS; Rotermann et McKay, 2020). De plus, 24 % pensent ne courir aucun risque de contracter une ITSS, tandis que 22 % n’aiment pas la sensation des condoms.

2. Ne pas se faire dépister ou ne pas le faire régulièrement

Bien que les jeunes adultes soient particulièrement touché·e·s par les ITSS (Blouin et al., 2023), les recherches montrent que la plupart ne se font pas dépister régulièrement (Boudewyns et Paquin, 2011; Martin-Smith et al., 2018). Dans un échantillon de Québécois·es âgé·e·s de 17 à 29 ans et sexuellement actif·ve·s, seulement 31 % des hommes et 42 % des femmes ont déclaré avoir fait un test de dépistage au cours des 12 derniers mois (Lambert et al., 2017). 

Il va de soit que, si on ne se fait pas dépister, surtout si on y va mollo avec les condoms, la probabilité de contracter et de transmettre une ITSS peut augmenter d’un·e partenaire à l’autre et, dans certains cas, même d’une relation monogame à l’autre (Ott et al., 2011).

Encore une fois, les raisons évoquées pour ne pas se faire dépister abondent. Entre autres, au-delà d’un manque de connaissances générales liées aux ITSS et au processus de dépistage (McDonagh et al., 2018), les gens : 

  • ne se perçoivent pas à risque de contracter une ITSS;
  • ont peur ou honte de recevoir un diagnostic positif et de devoir en parler avec leurs anciennes flammes;
  • s’inquiètent du jugement des autres – incluant celui des médecins – pour avoir eu des relations sexuelles non protégées ou pour avoir eu « trop » de partenaires (McDonagh et al., 2018).

Bref, on a peur d’être vu·e comme irresponsable et comme ayant trop divergé de la fameuse monogamie.

3. Éviter les discussions franches et ouvertes à propos de sa santé sexuelle

C’est tout à fait correct d’abandonner le condom ou la digue sexuelle après un certain temps de fréquentation. Le problème est qu’on a tendance à le faire pour des raisons peu valides sur le plan sanitaire. 

Par exemple, on laisse tomber la protection : 

  • quand on souhaite que la relation devienne « sérieuse » (Skakoon-Sparling et Cramer, 2020); 
  • lorsque, dans des relations hétérosexuelles, la personne qui a un utérus commence à prendre une méthode de contraception hormonale ou à porter le stérilet (Morroni et al., 2014); 
  • ou encore lorsqu’on se sent à l’aise et en sécurité avec l’autre personne, même quand on a aucune information sur sa santé sexuelle (Sparling et Cramer, 2015).

Au lieu de décider de ne pas utiliser de condom pour ces raisons, il est préférable d’avoir une discussion ouverte avec sa, son ou ses partenaire·s au sujet de sa santé sexuelle. Plutôt que de demander des questions du genre « As-tu une ITSS? » ou « Es-tu clean? », il est beaucoup plus utile de poser les questions suivantes : 

  • « C’est quand la dernière fois que tu t’es fait dépister? » 
  • « Quels étaient les résultats? » 
  • Si les résultats étaient positifs : « As-tu pris ton traitement au complet? »
  • Si les résultats étaient négatifs : « As-tu eu d’autres partenaires sexuel·le·s depuis? »

4. Le contexte relationnel dans lequel ont eu lieu les relations sexuelles

Si on est plusieurs à penser qu’avoir beaucoup de partenaires sexuel·le·s mène forcément à contracter une ou plusieurs ITSS, on est donc plusieurs à croire que la monogamie peut nous protéger des ITSS. Pourtant, la recherche peint un portrait bien plus nuancé…

Selon un sondage mené par le Club Sexu auprès de ses abonné·e·s en 2021, les personnes en relation non monogame (couple ouvert, polyamour, etc.) et les personnes en couple monogame rapportent des taux comparables de diagnostic d’ITSS au cours de leur vie. Oui oui, tu as bien lu! Les résultats de la seule étude scientifique existante à ce sujet (à ma connaissance) pointent dans la même direction (Lehmiller, 2015).

Voici quelques explications possibles. Premièrement, la monogamie telle qu’on la pratique aujourd’hui n’est pas une stratégie efficace de prévention contre les ITSS (Conley et al., 2020). La monogamie peut être interprétée de différentes façons et, dans sa version « pure » – soit avoir un·e seul·e partenaire toute sa vie –, la monogamie protège des risques associés aux ITSS à presque 100 %. Le hic, c’est que la plupart d’entre nous avons plus d’un·e partenaire dans notre vie et adoptons certains comportements qui nous exposent à plus de risques : 

  • Notre tendance à avoir des relations sexuelles avant d’être « officiellement » exclusif·ve·s ou sans avoir eu une discussion explicite à l’égard de l’exclusivité;
  • Notre susceptibilité d’arrêter l’utilisation des condoms ou des digues sexuelles quand

Deuxièmement, les personnes en relation non monogame sont plus susceptibles d’adopter des stratégies de prévention, comme l’utilisation du condom et le dépistage fréquent des ITSS que les personnes en couple monogame (Lehmiller, 2015). Une étude comparant ces deux groupes a aussi mis en lumière que les personnes en couple monogame prenaient moins de précautions pour limiter la transmission des ITSS avec leurs autres partenaires (pendant une infidélité; Conley et al., 2012).

Eh oui, l’infidélité, l’éléphant dans la pièce, est un comportement relativement commun et il introduit un risque de contracter une ITSS.

Selon une étude, 21,2 % à 31,8 % des femmes et 36,6 % à 52,8 % des hommes en relation monogame ont déjà pris part à des activités sexuelles comportant un risque de transmission d’ITSS (sexe oral, pénétration anale, etc.) avec une autre personne que leur partenaire de couple (Luo et al., 2010). 

Ainsi, ce qui nous expose à un risque de contracter une ITSS est davantage le fait de ne pas utiliser de protection que d’avoir plusieurs partenaires.

En récap…

Avoir plusieurs partenaires peut effectivement être un facteur de risque pour contracter une ITSS. Après tout, si on n’a aucun contact sexuel avec autrui, le risque de contracter une ITSS est presque zéro. Ce risque augmente avec le nombre de partenaires simplement parce que les chances de tomber sur une personne infectée augmente. 

Cependant, croire de manière absolue que plus de partenaires sexus signifie plus d’ITSS peut être un facteur de risque en soi, parce que cette croyance a comme effet d’augmenter ou de maintenir la stigmatisation des ITSS. Cela ne fait rien pour nous protéger des ITSS et augmente la probabilité qu’on évite d’utiliser le condom, d’aller se faire dépister et d’avoir une discussion ouverte sur sa santé sexuelle, ce qui peut… augmenter les taux d’ITSS.

Donc, plutôt que de perpétuer le slutshaming et la stigmatisation des ITSS en évitant de fréquenter des personnes qui ont eu ou qui ont plusieurs partenaires, il est plus efficace, d’un point de vue de réduction de la transmission des ITSS, de faire les choses suivantes : 

  1. Utiliser des méthodes de protection de barrière (condoms, carré ou gants de latex) de manière constante avec son ou sa partenaire. 
  2. En faire usage jusqu’à ce qu’on ait une discussion ouverte sur sa santé sexuelle. 
  3. En faire usage jusqu’à ce qu’on aille se faire dépister dans une clinique de dépistage comme Prelib.
  • Balfe, M., Brugha, R., O’Connell, E., McGee, H., O’Donovan, D. et Vaughan, D. (2010). Why don’t young women go for Chlamydia testing? A qualitative study employing Goffman’s stigma framework. Health, Risk & Society, 12(2), 131–148. https://doi.org/10.1080/13698571003632437

    Blouin, K., Lambert, G. et Perrault Sullivan, G. (2023, mai). Portrait des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) au Québec : année 2021 et projections 2022. Institut national de santé publique du Québec. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/2023-07/3364-portrait-itss-2021-projections-2022.pdf

    Boudewyns, V. et Paquin, R. S. (2011). Intentions and beliefs about getting tested for STDs: Implications for communication interventions. Health Communication, 26(8), 701-711. https://doi.org/10.1080/10410236.2011.563353

    Conley, T. D. et Piemonte, J. L. (2020). Monogamy as public policy for STD prevention: In theory and in practice. Policy Insights from the Behavioral and Brain Sciences, 7(2), 181–189. https://doi.org/10.1177/2372732220943228

    Conley, T. D., Moors, A. C., Ziegler, A. et Karathanasis, C. (2012). Unfaithful individuals are less likely to practice safer sex than openly nonmonogamous individuals. The Journal of Sexual Medicine, 9(6), 1559–1565. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2012.02712.x
    Institut national de santé publique du Québec. (2017). Le condom. https://www.inspq.qc.ca/espace-itss/pixel/le-condom

    Lambert, G., Mathieu-Chartier, S., Goggin, P., Maurais, E. et the PIXEL research team. (2017, 19 septembre). Étude PIXEL – Portrait de la santé sexuelle des jeunes adultes québécois. Institut national de santé publique du Québec. https://www.inspq.qc.ca/publications/2307#:~:text=L’objectif%20de%20l’%C3%A9tude,et%20le%20bien%2D%C3%AAtre%20sexuel

    Lehmiller, J. J. (2015). A comparison of sexual health history and practices among monogamous and consensually nonmonogamous sexual partners. The Journal of Sexual Medicine, 12(10), 2022–2028. https://doi.org/10.1111/jsm.12987

    Luo, S., Cartun, M. A. et Snider, A. G. (2010). Assessing extradyadic behavior: A review, a new measure, and two new models. Personality and Individual Differences, 49(3), 155–163. https://doi.org/10.1016/j.paid.2010.03.033

    Martin-Smith, H. A., Okpo, E. A. et Bull, E. R. (2018). Exploring psychosocial predictors of STI testing in university students. BMC Public Health, 18(1), 1-9. https://doi.org/10.1186/s12889-018-5587-2

    McDonagh, L. K., Saunders, J. M., Cassell, J., Curtis, T., Bastaki, H., Hartney, T. et Rait, G. (2018). Application of the COM-B model to barriers and facilitators to chlamydia testing in general practice for young people and primary care practitioners: A systematic review. Implementation Science, 13(1), 1–19. https://doi.org/10.1186/s13012-018-0821-y

    Morroni, C., Heartwell, S., Edwards, S., Zieman, M. et Westhoff, C. (2014). The impact of oral contraceptive initiation on young women’s condom use in 3 American cities: missed opportunities for intervention. PloS One, 9(7), e101804. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0101804

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    Sparling, S. et Cramer, K. (2015). Choosing the danger we think we know: Men and women’s faulty perceptions of sexually transmitted infection risk with familiar and unfamiliar new partners. The Canadian Journal of Human Sexuality, 24(3), 237–242. https://doi.org/10.3138/cjhs.243-A2

    Starks, T. J., Pawson, M., Stephenson, R., Sullivan, P. et Parsons, J. T. (2018). Dyadic qualitative analysis of condom use scripts among emerging adult gay male couples. Journal of Sex & Marital Therapy, 44(3), 269–280. https://doi.org/10.1080/0092623X.2017.1359713

    Twenge, J. M., Sherman, R. A. et Wells, B. E. (2015). Changes in American adults’ sexual behavior and attitudes, 1972–2012. Archives of Sexual Behavior, 44, 2273–2285. https://doi.org/10.1007/s10508-015-0540-2

    Twenge, J. M., Sherman, R. A. et Wells, B. E. (2017). Sexual inactivity during young adulthood is more common among US Millennials and iGen: Age, period, and cohort effects on having no sexual partners after age 18. Archives of Sexual Behavior, 46(2), 433–440. https://doi.org/10.1007/s10508-016-0798-z