Guide Apprendre à nous écrire

Liberté, égalité, diversité : quand l’écriture inclusive fait couler beaucoup d’encre

 

« Ma réaction est souvent celle de la surprise et par la suite, de l’euphorie. Je me sens vu·e, au sens intime, personnel. Que peu importe mon enveloppe corporelle, mon identité, mon genre et j’en passe, j’existe dans ces mots. Je me vois dans ces mots. Je me sens compris·e dans ces mots. C’est une forme de validation qui ne prend pas trop de temps lors de la rédaction, mais qui change beaucoup la perception pour plusieurs. »

— Shania Candale (iel/y), étudiant·e, queer et féministe. Extrait de Apprendre à nous écrire : guide et politique d’écriture inclusive.

Le masculin [ne] l’emporte [plus]

Parmi les règles de grammaire qu’on apprend au primaire, « le masculin l’emporte sur le féminin » est une de celles qui continue de marquer les esprits. Pendant de longues années, j’ai écrit comme on m’avait appris à le faire : selon une règle aléatoire, pas mal plus politique que purement linguistique et profondément sexiste, adoptée au 17e siècle. Absurde, me direz-vous? C’est là que l’écriture inclusive entre en jeu.

« Quand on parle d’écriture inclusive, on fait référence à tout un système qui regroupe différentes méthodes pour atteindre une rédaction sans discrimination et qui vise à inclure toutes les personnes à qui on fait référence. Personnellement, je la divise en trois types : l’écriture épicène, la féminisation et l’écriture non binaire », m’explique Magali Guilbault Fitzbay, vice-présidente et consultante linguistique pour Les 3 sex*, un organisme de bienfaisance qui lutte pour les droits sexuels et la santé sexuelle en mobilisant la population autour des enjeux sexologiques (et ami du Club Sexu). Également candidate à la maîtrise en linguistique, Magali s’intéresse tout particulièrement à l’application de l’écriture inclusive en français et à l’expression des genres dans les langues du monde.

Magali m’explique qu’à la base, elle a proposé aux 3 sex* de créer conjointement un outil d’écriture inclusive pour leur équipe de révision linguistique, puis de le rendre disponible à d’autres organismes communautaires, en guise de contribution au milieu. 

« Pour la petite histoire, Les 3 sex* partage un bureau avec Le Club Sexu. Un jour, on a parlé de notre projet à Geneviève Bergeron, la cofondatrice du Club, et elle a tout de suite accroché, surtout que le Club avait également envie de créer un outil similaire. On s’est dit que ça serait pertinent d’unir nos forces et de concevoir conjointement un guide que toutes les personnes, tous les organismes, toutes les agences intéressées pourraient se procurer. C’est comme ça que notre guide d’écriture inclusive est né », ajoute Magali, qui ne s’attendait pas à ce que le projet connaisse un tel succès.

Apprendre à nous écrire

Je me souviens qu’enfant, au primaire, je m’étais demandé pourquoi le masculin l’emportait sur le féminin. « Parce que c’est comme ça », me répondait-on, sans jamais trop développer. Au secondaire, au cégep et même à l’université, j’ai continué de suivre la fameuse règle, comme la majorité des gens.

Plus tard dans la vingtaine, alors que je commençais à fréquenter des milieux plus féministes, je suis tombée pour la première fois sur des petits points savamment placés à la fin des mots dans le programme d’un événement culturel : « Vous êtes invité·e·s », « Vous êtes les bienvenu·e·s », « Les artistes sont heureux·euses de vous accueillir ». Je n’avais jamais entendu parler de l’écriture inclusive de ma vie, mais je me souviens de l’émotion que j’ai ressenti : un mélange de soulagement, de joie et de questionnements.

« L’écriture inclusive porte effectivement un propos politique. Un des buts est de tendre vers la démasculinisation de la langue et de la non-essentialisation du genre », affirme Magali au bout du fil.

« C’est une réflexion en constante évolution sur la manière dont la langue peut être utilisée comme vecteur d’identité de genre et de conscience féministe. Ça vise à diminuer et même à enrayer les inégalités de genre qui se reflètent dans le langage. »

« Au fil du temps, j’ai remarqué que de plus en plus de gens s’approprient l’écriture inclusive, et ce, à l’extérieur des cercles militants et féministes, souligne-t-elle. Autour de moi par exemple, de plus en plus de gens écrivent ”les ami·e·s” pour faire allusion à un groupe composé d’hommes, de femmes, de personnes de la diversité de genre. Avec le temps, je me suis même rendue compte que je texte en écriture inclusive et qu’il m’apparaît de plus en plus bizarre de ne pas le faire. ”Salut, les amis” si j’écris à des gens de genres confondus? Non, ça ne marche plus dans ma tête! »

Mythes, réalités et critiques

« L’écriture inclusive, c’est vrai que ça peut faire peur au début », reconnaît Magali, bien consciente des différents enjeux, de lecture et de classicisme notamment, qui touchent la maîtrise des différentes techniques d’écriture inclusive. « Il y a des gens plus puristes qui disent que ça dénature la langue française. Mais ça ne sort pas de nulle part. Certains procédés proviennent directement du principe de féminisation, très présent dans les années 70, qui visait à féminiser les métiers : professeure, écrivaine, ingénieure. Donc, l’écriture inclusive pousse cet esprit plus loin à ne pas seulement chercher à inclure les femmes, mais aussi à défier la binarité de genre. »

Selon Magali, l’une des critiques que l’on entend souvent est que l’écriture inclusive allonge, voire alourdit les textes : « C’est vrai que quand on dit, par exemple, “les spectateurs et les spectatrices”, c’est plus long. Mais quand on utilise ce qu’on appelle un doublet tronqué et qu’on écrit “les spectateur·trice·s” c’est pas vraiment plus long. Ça inclut donc le masculin et le féminin, mais ça permet aussi de rendre symboliquement visible un troisième genre en incluant les personnes non-binaires dans la formulation. »

Au-delà de la féminisation par doublets (les spectateurs et les spectatrices) et la féminisation par doublets tronqués (spectateur·trice·s), il existe une autre technique inclusive : l’écriture épicène. « Ça consiste à trouver un mot neutre qui englobe tout », explique la candidate à la maîtrise en linguistique. « Dans ce cas-ci, on pourrait facilement dire “le public”. Il y a des mots comme “les gens”, “la foule”, “le corps professoral”, qui permettent d’inclure tout le monde. Ça peut être une manière d’aller droit au but de manière très fluide. » Elle ajoute du même souffle que Les 3 sex* et Le Club Sexu prônent justement la priorisation de l’écriture épicène lorsque possible. 

Qu’aurait-elle envie de répondre aux personnes qui jugent que l’écriture inclusive alourdit les textes? « Il faut y penser un instant et se demander ce qu’on affirme politiquement. De dire que c’est lourd, ça revient presque à nier les personnes qui revendiquent une place dans le discours, c’est-à-dire les femmes et les minorités de genre », croit Magali, qui ajoute que de faire le choix de ne pas pratiquer l’écriture inclusive parce que c’est lourd, ça envoie justement un message de non-inclusion.

Pour Magali, il est important de relever que l’écriture inclusive comporte toutefois des enjeux de lecture. En effet, certaines troncations (dont l’ajout de points dans les mots) ou certains néologismes (ex : auteurice, colleureuse, iel, ile, adelphe, etc.) peuvent être difficiles à comprendre de prime abord quand on les voit pour la première fois, ou alors par exemple, pour des personnes dyslexiques. « Je pense que c’est très important de parler des enjeux de lecture, mais je rejette l’idée que ça déforme la langue », affirme la linguiste. 

Défier la binarité

« Ça fait environ trois ans que je me définis comme une personne non-binaire », affirme Jess*, âgé·e de 24 ans. « Quand ce terme et ce concept sont arrivés dans mon esprit et mon vocabulaire, ça m’a enlevé un énorme poids. Ça m’a fait un immense bien de me reconnaître dans une identité que je pouvais partager avec une communauté. »

Quand je lui demande ce que l’écriture représente à ses yeux, iel prend le temps de peser ses mots.

« Pour vrai, ça change tellement tout, me répond Jess. C’est peut-être intense à dire, mais ça fait que je sens que j’existe, que j’ai une valeur, que j’ai le droit d’être là dans le fond. »

Jess compare le pronom « iel », qu’iel a choisi pour se définir face au phénomène des toilettes non genrées, qui a fait les manchettes il y a quelques années: « Les gens chialent parce que ça les bousculent dans leurs habitudes, mais au fond, ça change rien pour eux alors que pour moi, ça change tout. C’est un véritable enjeu identitaire », croit Jess. « C’est la même chose avec les pronoms : ça change rien pour ceux et celles qui se reconnaissent dans la binarité, mais ça change absolument tout pour moi qui se situe ailleurs sur le spectre des identités de genre. »

Magali Guilbault Fitzbay m’explique d’ailleurs que Les 3 sex* et Le Club Sexu ont pris la décision de réserver le pronom « iel » aux personnes non-binaires, et non comme une contraction des pronoms « ils » et « elles » : « On veut faire attention aux doubles sens et aux confusions, explique-t-elle. C’est le genre de choses auxquelles nous avons travaillé très fort dans le guide pour uniformiser nos pratiques. On sent qu’il y a déjà un bel engouement et on invite les gens à se plonger dans l’ouvrage si ils et elles ont envie de le faire. On a envie de créer un dialogue et on a très hâte que les gens y prennent part. »

*Un pseudonyme est utilisé pour préserver l’anonymat de la personne.


Les 3 sex* et Le Club Sexu offrent également une formation spécialement conçue pour les milieux de travail. Intéressé·e? N’hésite pas à contacter formations@clubsexu.com pour plus d’informations.