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Résumé
De plus en plus de personnes confient la gestion de leurs applications de rencontres à des assistant·e·s en dating virtuel dans l’espoir d’obtenir plus de succès. Notre collaboratrice est allée à la rencontre de deux personnes qui ont déjà géré les applis d’un·e membre de leur entourage.
Sur papier, ou plutôt à l’écran, ta date s’annonçait être tout ce qu’il y a de plus normal. Jusqu’à ce qu’entre deux gorgées, ton nouveau match t’annonce qu’il fait affaire avec un·e assistant·e en dating virtuel. Surprise! C’est avec cette personne que tu échangeais sur l’application de rencontres quelques jours plus tôt.
Ce qui peut sembler absurde et qui soulève de nombreuses questions éthiques, à commencer par « est-ce correct de se faire passer pour une autre personne? », est pourtant vrai. Plusieurs organisations et individus offrent maintenant leurs services aux personnes en quête de bons moments d’intimité ou d’amour, mais qui n’ont pas forcément le temps, les capacités ou le doigté assez entrainé pour passer des heures à swiper.
Scott Valdez, le PDG de VIDA, explique d’ailleurs dans cet article de Vice que bien qu’il reconnaisse que son entreprise travaille dans une « zone grise éthique », il est persuadé que les services qu’elle offre fait plus de bien que de mal. Et en un sens, si la demande est aussi grande, il ne doit pas avoir tort. La preuve : il suffit de taper les mots-clés « virtual dating assistant » dans n’importe quel moteur de recherche pour se rendre compte qu’il en existe une foule aux spécialités infinies.
Mais est-ce qu’avoir recours à un·e assistant·e en dating est pire que de mentir sur nos profils? C’est la question que je me suis posée après avoir consulté une étude du Pew Research Center qui suggère que près de 7 personnes sur 10 qui utilisaient les applications de rencontres en 2019 pensent que c’est très commun de mentir pour être plus désirables. Je vous laisse tirer vos propres conclusions.
De manière générale, les assistant·e·s en dating, ou assistant·e·s en matchmaking, gèrent le profil de leur clientèle et entretiennent des relations virtuelles en respectant les paramètres qu’on leur donne. Ces spécialistes peuvent créer un profil, faire le tri dans les candidatures, envoyer des messages et entretenir une conversation avant de proposer une date aux personnes qui intéressent la personne derrière le compte.
La plupart du temps, les personnes qui ont recours à ce genre de service ont toujours accès à leurs profils et échangent avec l’assistant·e avant de passer à la prochaine étape, soit une date physique. Mais cette configuration peut bien évidemment varier d’un cas à l’autre.
Dans le même article de Vice, Scott Valdez souligne que sa clientèle est majoritairement composée d’hommes qui manquent de temps à investir dans les applications de rencontres ou, tout simplement, qui n’ont pas les succès espérés. Mais cette clientèle est loin d’être la seule.
Si on part de l’idée que les applications de rencontres ne sont pas accessibles à tout le monde, on comprend rapidement que plusieurs personnes peuvent bénéficier d’un coup de main pour naviguer sur celles-ci.
Et parmi toutes ces personnes, on retrouve des personnes neurodivergentes et d’autres qui ne sont tout simplement pas familières avec le numérique (rappelons-nous que ça ne fait pas SIIIIII longtemps que ça existe!).
C’est d’ailleurs la raison qui a poussé Jérémy* à demander à Renaud* de gérer ses applis. Et qui a incité Paola* à filer un coup de main à sa mère pour qu’elle rencontre l’amour dans un monde numérique où elle n’avait jamais mis les pieds… ou les doigts.
Renaud gère depuis près de deux ans les applications de rencontres de Jérémy. Il consacre environ vingt minutes par jour à cette pratique en échange d’un petit salaire.
Jérémy, atteint du syndrome d’Asperger, a toujours éprouvé de la difficulté à entrer en contact avec des personnes via les applications de rencontres.
Il a demandé à Renaud de gérer ses applis dans le but de rencontrer des femmes avec qui partager de doux moments, qu’on appelle communément des one nights.
« Au début, j’ai refusé. Je n’étais pas d’accord avec l’idée de me faire passer pour une autre personne », explique Renaud. Il a changé d’idée quand Jérémy lui a expliqué qu’il faisait déjà affaire avec une entreprise pour naviguer dans le monde des applications, mais qu’il préférait maintenant payer une personne qu’il connaissait personnellement.
De son côté, c’est Paola qui a proposé à sa mère de prendre gratuitement les rênes de son Tinder. Sa mère, qui n’avait jusque-là jamais rencontré d’hommes depuis son divorce avec le père de Paola, a accepté sa proposition un peu à reculons. « J’ai commencé par lui faire un profil Tinder et je lui ai montré comment ça fonctionnait, raconte Paola. À partir de là, c’est elle qui gérait ses matchs. »
Mais parce que la mère de Paola n’avait encore jamais texté de sa vie, plusieurs subtilités du langage numérique
lui ont vite échappé. Rapidement, elle s’est lassée des applications de rencontres. Paola lui a donc offert de gérer son Tinder à sa place.
« Ma mère n’avait à ce moment-là pas beaucoup d’estime d’elle et elle avait tendance à projeter ça dans les messages qu’elle recevait. Mais quand moi, je lisais ces messages, je ne voyais pas du tout la même chose qu’elle. » Avec un peu de temps, la maman de Paola a embarqué dans le jeu.
Les rôles de Renaud et Paola se sont naturellement dessinés. Ils consistent (ou consistaient!) à swiper les profils des gens, à amorcer la discussion et à passer à la prochaine étape, soit la proposition d’un premier rendez-vous.
« C’est super important pour moi que les relations de Jérémy soient vraies. Je fais juste liker et envoyer quelques messages rapidement », explique Renaud. Il estime qu’il a échangé avec environ 100 femmes et qu’il envoie entre deux et trois profils par semaine à Jérémy. Autrement dit, il occupe un rôle d’entremetteur. À une nuance près : les personnes avec qui il échange pensent parler avec Jérémy.
De son côté, Paola explique qu’elle connait tellement bien sa mère que les conversations qu’elle entretenait avec des « messieurs » étaient très fidèles à ce qu’elles auraient été si sa maman avait été de l’autre côté du cellulaire. Et à quelques reprises, Paola a booké des premières dates avec l’accord de sa mère.
« Ma mère était contente. On allait même magasiner pour lui acheter du nouveau linge. Mais elle finissait toujours par chocker ses dates. Je pense que ma mère était juste pas prête finalement. »
La mère de Paola a depuis décidé de prendre une pause des applications de rencontres. Mais elle n’exclut pas l’idée d’y retourner un jour.
Jérémy sait qu’il a de la difficulté à connecter avec les autres; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il paie Renaud pour s’occuper de ses applications de rencontres. La maman de Paola est une femme très bubbly qui parle à n’importe qui et qui a de la facilité à tisser de nouveaux liens avec les personnes qu’elle rencontre. Elle n’arrive simplement pas à traduire tout cela à l’écrit.
C’est pour aider Jérémy à jouir d’une vie sexuelle et intime épanouie que Renaud a accepté le rôle d’intermédiaire. Quant à elle, Paola a voulu aider sa mère à se « remettre sur le marché » alors qu’elle n’avait aucune idée du fonctionnement des applications de rencontres. Bien que leurs histoires soient différentes, les deux personnes qui ont occupé, en quelque sorte, le rôle d’assistant·e en matchmaking, s’entendent sur une chose : elles ne l’auraient fait pour personne d’autre.
* Pour préserver l’anonymat des quatre personnes intéressées, leur nom ainsi que les informations qui permettraient de les reconnaitre ont été modifiés.
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