Seule et solide : plaidoyer pour un célibat assumé

Je m’assois dans le café. La première gorgée de latté frette confirme que le printemps est débarqué. Que j’ai bel et bien traversé cette rupture de décembre, ce deuil de février, cette solitude de mars. Le soleil réchauffe ma peau pis je souris. Ce sera peut-être moins difficile de me réacclimater au célibat qu’il m’est arrivé de le penser durant les premières semaines de ma rupture. 

La caféine continue de se répandre dans mon corps. Le goût sucré du lait d’avoine réjouit ma bouche. Je célèbre les cinq heures de ménage que je viens de terminer. C’est la saison des remises à neuf.

Ça y est. J’ai fini de mettre de l’ordre dans le départ de mon ex, dans la conversion d’un appartement à deux en appartement pour une. 

Depuis 9 h, en ce samedi matin, j’écoute le balado Le cœur sur la table. Mon ami Pierre m’a recommandé ça. Il est chouette, Pierre. Il aime des bonnes affaires, d’habitude. 

Je ne suis pas la plus grande fan des baladodiffusions. Une histoire de capacité d’attention, je pense. En tout cas. Disons que je préfère normalement danser sur du reggaeton en balayant, moppant et récurant le plancher de ma cuisine. Mais, ce matin, je me suis dit : « why not, ma coconut? » pis j’ai pesé sur play

À force d’enchaîner les épisodes en torchant la terrasse pis en réorganisant mes pots Mason, j’en arrive à la conclusion qu’au diable le témoignage sur mon retour au célibat que j’avais commencé pour le Club Sexu. Je recommence. Pas le choix. Pas le choix de tout effacer. 

Parce qu’une question me tourne en tête depuis mon écoute du balado – qu’à l’instar de mon ami Pierre, je recommande d’ailleurs à tou·te·s – : pourquoi associe-t-on le célibat à une inévitable solitude

? Et, surtout, est-ce que j’interagirais différemment dans le monde si je pouvais déconstruire l’idée que je me fais de ma « condition » romantique?

Bienvenue, donc, dans mon essai politico-romantique sur le fait d’être tu-seule. Pis d’aimer ça.

Pour la gang qui n’a pas écouté Le cœur sur la table, ce que l’animatrice Victoire Tuaillon y explore, c’est l’idée d’une révolution romantique. Un petit sujet, quoi! Elle nous propose, à travers des tables rondes et des entrevues, de réfléchir à comment – et à avec qui – nous entrons en relation. Pouvons-nous revoir la manière donc nous aimons dans toutes nos relations romantiques, amicales et familiales?

Si, depuis ma rupture, je m’interroge de façon plus assumée sur les structures polyamoureuses et d’anarchie relationnelle, je ne m’étais jamais encore arrêtée sur ce que l’étiquette de célibataire modifiait dans ma perception de moi-même. 

Collectivement, nous avons tendance à percevoir le célibat comme un entre-deux. Un état-transition entre deux relations : celle qui se termine et celle qui s’en vient inévitablement, un jour, quand tu ne chercheras plus, tu vas voir, tu vas trouver chaussure à ton pied, la prochaine flamme sera la bonne, tu brûleras d’amour jusqu’à la fin de tes jours.  

Personne ne veut être célibataire, non?

Comment peut-on vouloir être seul·e?

Le problème, c’est que si « être célibataire », ce n’est, finalement, qu’attendre d’embarquer sur le prochain vol d’Air Romance, on n’est jamais en train de profiter pleinement des moments que l’on vie pendant ce temps. Et qu’il ne pourra jamais être agréable d’être célibataire dans cet état d’esprit; qui aime passer des heures en attente à l’aéroport? Personne. Right? Ceux et celles qui me connaissent savent que je voue un amour-haine profond aux adages, mais reste que « c’est pas la destination, c’est le voyage »… c’est pas une idée si folle que ça. 

Alors que je vois le printemps bourgeonner dans les arbres de ma ruelle, je me souris. Je suis célibataire et ça me fait du bien. Du vrai, gros bien. C’est mon état favori, en toute franchise.

Mon appréciation du célibat passe rarement bien. On le prend à la blague. C’est peut-être même pire quand j’annonce au monde que je ne veux pas d’enfants. Mais bon. On ne partira pas là-dessus, parce que ça prendrait un autre essai au complet sur la non-maternité. 

Tout ça pour dire que mon célibat et mon appartement nettoyé pis réaménagé pour y habiter seule, je refuse de les voir comme un vide à combler d’une nouvelle présence. Comme un trou. Comme un manque.

Le célibat, ce n’est pas un « sous-état ». Pas plus que la masturbation n’est du « sous-sexe ». 

Quand j’ai compris que me masturber, c’était pas quelque chose que je faisais en attendant d’avoir des partenaires sexuels, chaque masturbation est devenue un événement en soi. Une rencontre avec mes courbes, mes cicatrices, la chaleur de ma peau, la moiteur de mon sexe. Une relation que j’entretiens avec beaucoup plus de tendresse qu’avant. J’ai l’impression que j’ai un travail similaire – que plusieurs de nous avons un travail similaire – à faire avec nos états matrimoniaux. 

C’est peut-être juste parce qu’autour de moi prolifèrent un peu trop de hopeless romantics, mais j’ai souvent l’impression que soit t’es dans la gang du monde tout le temps matché ou bien tu l’es pratiquement jamais. Comme moi. Rarement en couple, rarement longtemps et sans désir viscéral de l’être.

Pourtant, j’avais souvent cette sensation bizarre, cette petite crampe dans le ventre, à l’idée de finir « ma vie toute seule ». 

D’où me vient ce sentiment de vide interstellaire, cette impression que je dérive dans le quotidien comme un objet célibataire non identifié? En réalité, je suis loin d’être seule. Entre les feux d’artifice de la cruise, les romances éphémères et les gouffres dans le ventre laissés par des fantômes que je pleure dans les bras de mes chummes, je suis rarement seule. En finissant de trier mes tupperwares par grosseur tantôt, je listais dans ma tête tous mes amours platoniques et mes amitiés avec bénéfices qui, au bout du compte, satisfont l’ensemble de mes besoins affectifs.  

Pourquoi ces relations, par leur étiquette, auraient-elles moins de valeur que mon couple monogame n’en avait? 

Après tout, en apprenant à être indéniablement bien dans notre célibat, on libère nos possibles futurs amours d’une énorme pression : celle de nous compléter.

En évitant de penser mon célibat comme une fatalité dont il faut me sauver, je pourrai aimer sans craindre la fin, puisque je saurai, hors de tout doute, que je suis entière. Célibataire ou pas.

Avec l’arrivée de l’été et des journées à se prélasser sous le soleil, j’ai envie qu’on se parle de ça au parc. C’est ce que je nous souhaite. Qu’on partage des vins natures à cœur ouvert pour se demander : qu’est-ce que l’amour, au fond? 

Parce que nous ne trouverons peut-être jamais une réponse singulière, mais que le simple fait d’être ensemble, à rire et à chercher le sens du monde dans notre rencontre avec l’autre, c’est un peu ça, l’amour, non?

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Si cet article te parle, il y a un épisode de notre balado À quoi tu jouis? consacré entièrement au célibat.