Désirs inégaux : la dérive amoureuse

Dépasser le million de minutes, c’est être en couple depuis déjà deux ans. Deux ans d’amour et de tendresse à sortir dans les bars avec les ami·e·s, à partir en camping les weekends, à se donner des becs jusqu’à tard dans la nuit et à faire l’amour avec passion. 

Avec passion? C’est là que le bât blesse. Gabriel n’est plus certain du qualificatif. En fait, ce n’est pas le qualificatif qui pose problème, mais bien l’acte en soi, ou plutôt… sa fréquence.

— Est-ce que ça te tente ce soir?

Ça fait dix jours qu’il n’a pas fait l’amour avec sa copine. C’est précisément cette pensée qui le préoccupe lorsqu’Élise vient le rejoindre sous la couette. Les trois dernières fois qu’il a tenté d’entreprendre des séances de tananteries, elle a décliné ses avances. Il est éperdument amoureux d’elle. Aucun doute là-dessus. 

— Pas vraiment. C’est-tu grave? répond Élise.

Gabriel marque une pause avant de répondre. Il détaille la chambre : la tente et les sacs de couchage de leur dernier séjour en camping attendent encore d’être rangés. Son regard se pose sur la boîte de condoms à côté du lit, recouverte d’une fine couche de poussière. Le cock ring dans le tiroir de la table de chevet est déchargé. Le bodysuit de lingerie est sans doute au fond du panier à linge sale, dans cette section qui n’a jamais le temps de se rendre jusqu’à la laveuse. 

Lui, il ferait l’amour quatre ou cinq fois par semaine, tandis qu’Élise est parfaitement satisfaite en faisant l’amour une fois par semaine en moyenne . Et parfois, le désir n’est tout simplement pas au rendez-vous. 

Sauf qu’il ne sait plus quoi faire. Il a envie d’elle, mais son désir n’est pas réciproque.

— Non, non, finit-il par répondre.

— Tu trouves-tu qu’on fait pas assez l’amour?

— Ben, non… répond-il plus par automatisme que par transparence. Est-ce que j’éteins?

— Tu peux.

Dans l’obscurité, Gabriel caresse le dos d’Élise à travers son t-shirt. Ses cheveux sont soyeux au toucher. Il glisse sa main sous le tissu. Ses doigts effleurent sa peau en toute légèreté. En plus, elle sent bon. Note mentale : racheter de l’huile à massage.

— C’est doux, chuchote-t-elle. J’aime ça quand tu fais ça.

Les caresses de Gabriel perdent de leur innocence et ses mains s’attardent de plus en plus aux fesses de son amoureuse. Il enfouit sa tête sans son cou, et dépose des baisers tout au long de sa gorge et derrière ses oreilles. 

Lorsqu’il se colle sur elle et qu’elle sent son érection contre sa jambe, elle se dégage. Gabriel reprend ses caresses et se rapproche à nouveau lorsqu’elle fait volteface.

— Voyons. Qu’est-ce que tu fais?

— Je sais pas… Je pensais que je pourrais te…

— Me faire changer d’idée?

— J’ai vraiment envie de toi.

— Je t’ai dit que j’avais pas envie ce soir.

— Ok, mais tu veux jamais faire l’amour, soupire Gabriel.

Élise se retourne et lui fait dos. 

— Tu me boudes-tu? demande Gabriel.

— Non, non.

— Est-ce qu’on est corrects?

— Non, on n’est pas corrects, rétorque-t-elle en rallumant la lampe de chevet. Chaque fois que j’ai pas envie, tu soupires pis tu me fais sentir comme d’la marde parce que j’suis pas dans le mood.

— C’pas vrai. Je soupire pas. J’ai rien fait pour que tu feel comme d’la marde. C’est juste que ça serait l’fun qu’on couche ensemble plus souvent.

— Je sais pas quoi te dire. J’ai cinq cours par session, pis je travaille les week-ends. J’suis complètement brûlée .

— Ben, moi non plus, je sais pas quoi te dire! J’trouve juste ça plate que tu veuilles jamais. Déjà qu’on passe pas full de temps ensemble.

Élise et Gabriel se sont redressés dans le lit. Ils se fusillent du regard.

— Hey, c’est pas vrai que je veux jamais. On l’a fait au chalet à ta fête y’a…

— Genre deux semaines! Wouhou, joyeux 23^e anniversaire.

— Ben wow, ça me fait plaisir de t’avoir amené en chalet en tout cas. Excuse-moi si ça me tente pas plus souvent, mais c’est certainement pas avec cette attitude-là que tu vas me donner le goût à soir.

— Fait que j’ai un problème d’attitude? T’as dit que ça te tentait pas à soir! Pis même si on en parle pas, ça te tente pas plus.

Les larmes aux yeux, Élise tend la main pour attraper la boîte de mouchoirs. Sa voix craque. 

— J’dis pas de pas en parler. J’dis juste que de me guilt trip into sex, c’est fucking drainant.

— J’te guilt trip pas into sex tabarnak, Élise.

— Pis tu me gaslight pas, j’imagine .

— Oh, tu gosses!

Gabriel se lève, attrape un sac de couchage au passage, et sort de la chambre en claquant la porte. Il s’échoue sur le sofa et se couvre. Maigre réconfort : le sleeping sent encore bon le feu de bois. Vite, vite : se changer les idées. Netflix? Bof. La PlayStation? Des plans pour passer une nuit blanche. 

Sur son téléphone, il fait une recherche par mots clés et retrouve des bribes de conversation datant du début de leur relation. La verve de leurs sextos d’antan contraste amèrement avec leur sexualité d’aujourd’hui, que Gabriel qualifierait de défectueuse. 

Oui, défectueuse.

Est-ce que ça se brise, une sexualité? Si oui, est-ce que c’est réparable? Il est où, le bouton reset? Est-ce qu’il faut accepter que c’est comme ça maintenant, accepter la « défaite »? On dirait que la lune de miel est finie et que le crash du désir est inévitable . 

Gabriel culpabilise : il a honte de se l’avouer, mais il est en train de se poser des questions sur sa relation. La question qui tue : est-ce qu’on continue? Une relation (presque) sans sexe, qu’est-ce que c’est ? 

L’inconnu, voilà ce que c’est. Avec une autre partenaire, est-ce que ce serait mieux? Est-ce que c’est correct de se poser ces questions-là? Il ne va quand même pas tromper sa blonde pour satisfaire ses envies… mais c’est vrai que la nouvelle barista au café à côté de la job est pas mal cute. 

Tant de questions, et personne vers qui se tourner. De toute façon, à qui en parler?

Lorsqu’il en a assez de ruminer en lisant des conversations qui n’auront plus jamais lieu, Gabriel ferme ses messages pour écrire dans le navigateur web le nom de son site porno préféré. Il glisse sa main dans ses boxers et commence à se toucher devant le petit écran sur lequel défilent sur demande des scènes plus bandantes les unes que les autres.

Après l’orgasme, un sentiment de honte et de culpabilité l’envahit. Il se sent sale. Il se trouve cave d’avoir été aussi insistant avec la personne qu’il aime le plus au monde. Il fait une petite boule avec ses boxers et les pose par terre à côté du divan. 

Mais pourquoi n’a-t-elle pas envie de lui comme il a envie d’elle? C’est tellement frustrant. Il voudrait juste que ça marche comme avant. Ce n’est pas la première fois qu’il part en trombe de la chambre à coucher, insatisfait et en colère, pour aller se toucher seul pendant qu’Élise… Que fait-elle au juste ? 

Est-ce qu’elle l’aime encore? Est-ce que ce serait mieux ailleurs? Ces questionnements s’entassent dans la tête de Gabriel. Qu’est-ce que ses amis penseraient de lui s’ils savaient qu’il n’a pas de sexe avec sa blonde chaque semaine? Est-ce qu’on n’est pas censé le faire deux ou trois fois par semaine « comme tout le monde »? 

***

Les écarts de désir représentent l’un des problèmes les plus courants au sein des couples. Mais que peut-on faire quand nos désirs ne s’accordent pas? Comment Gabriel et Élise auraient-ils pu communiquer plus efficacement, et surtout, avec plus d’empathie? 

À suivre.