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Tenue vestimentaire au travail : est-ce que notre boss peut nous dire quoi porter?

Cet article est présenté par le bec, un OBNL offrant des ressources d’aide dédié aux travailleuses et aux travailleurs de l’industrie des comm marketing. La ligne d’aide gratuite et confidentielle est offerte 24 h/7.

Pour la première fois en deux ans, Anna enfile des pantalons. Pas des joggings ou un bas de pyjama. Des vrais pantalons.

Ce matin, Anna va travailler au bureau. Oui, son vrai bureau. Pas celui sur son sofa, ni celui de sa table de cuisine ou celui dans son lit, avec le laptop sur les genoux. Le printemps est arrivé; les feuilles sont à peine sorties de leurs bourgeons, et les tulipes couleur pastel remplissent les rues. L’air est parfumé et le soleil enveloppe les corps.

« On met quoi pour aller travailler en présentiel, déjà? », se demande la professionnelle des relations publiques en ouvrant sa garde-robe. 

« Ark, pas cette robe-là! Elle m’irrite sous les bras. Pas cette jupe-là : des plans pour ne pas respirer de 9 à 5. Ah, pas cette chemise non plus : elle me serre le cou pour mourir… »

Anna, légèrement anxieuse de retourner à l’agence, choisit de mettre son pantalon beige, celui qui a l’air d’un pantalon propre, mais qui est quand même un peu mou. Elle enfile un t-shirt, un pull full confo, des espadrilles, et la voilà qui saute dans le métro.

To bra or not to bra?

« Ouin, la pandémie t’a pas fait de cadeau, Anna! », lance Maryse, la stratège numérique avec le moins de tact ever. « J’ai un code promo pour mon cours de zumba virtuel, si tu veux. Tu vas voir, tu vas perdre 15 livres de même d’ici tes vacances en juillet. Bikini season, ma chum. »

Ouch! Le temps qu’Anna réalise ce qui vient juste de se passer, Maryse est déjà sortie de la cuisine du bureau. En la regardant s’éloigner dans le couloir, la trentenaire se demande comment sa collègue fait pour marcher avec ses talons aiguilles sans renverser son café. Celle qui avait l’habitude de grimper sur de pareilles échasses avant la pandémie apprécie désormais ses runnings sur un moyen temps. 

Anna s’installe à son bureau, qu’elle est tout de même contente de retrouver. Ça va être le fun de dîner avec de vraies de vraies personnes au lieu de se retaper des vieux épisodes de Friends en mangeant son sandwich au thon. 

À midi, Anna se dirige vers la salle commune. Le chauffage central de l’immeuble semble encore fonctionner malgré le temps doux. Elle enlève son pull et le dépose sur le dossier d’une chaise de la salle à manger commune. En prenant une bouchée de pâtes aux tomates, Anna remarque deux collègues qui la fixent avec un petit sourire en coin. 

« C’est quoi, j’ai-tu de la sauce dans face? », demande-t-elle, soudainement super self-conscious, en baissant les yeux vers son t-shirt pâle pour vérifier qu’il n’est pas taché.

Des rires gênés. On lui fait signe que non, que tout est beau, qu’il n’y a rien.

Les collègues la dévisagent de plus belle. Tout à coup, Anna allume; elle ne porte pas de soutien-gorge. Une habitude qu’elle a adoptée au début de la pandémie. If you know, you know. Avant le confinement, elle n’aurait jamais envisagé de ne pas porter de brassière au bureau, ni même dans la vie quotidienne. Ce matin, elle n’a même pas considéré en mettre une. Free the nipples, scande-t-on sur Instagram.

Anna avale son lunch en vitesse et retourne dans son bureau pour manger sa pomme loin des regards. Y’a toujours ben des maudites limites à se faire checker les boules à la job!

Collection printemps-bureau

Vers 16 h, Denis et Yasmine, les patron·ne·s d’Anna, entrent dans son bureau. C’était prévu, ils doivent discuter de la réunion de demain, celle avec des « client·e·s important·e·s » qui viennent à l’agence. Le meeting se passe rondement. Ça va tellement plus vite en personne, c’est fou.

Yasmine quitte la première, elle a un Zoom. « Maudit qu’on est pu capab’, des Zooms », se plaint-elle en sortant. 

« Je peux-tu me permettre un petit commentaire, Anna? De ma part et de celle de Yasmine », lance Denis, assis face au bureau de la trentenaire.

Anna fait signe que oui, un peu intriguée par le ton solennel de son patron.

« Demain, pour le meeting là, peux-tu… ben, je veux dire, ça serait mieux si… rien de grave, mais si tu pouvais juste te… »

Denis bafouille, cherche ses mots, évite le regard de son employée. 

« Ce que j’essaye de dire, c’est : peux-tu t’habiller comme du monde? Entre nous, c’est correct, on… s’adapte, dit-il en échappant un rire nerveux. Mais avec la clientèle, ça serait mieux si t’attirais pas l’attention sur tes… sur ta… enfin, je veux dire… Tu vois-tu ce que je veux dire? »

Anna opine, incrédule. 

« Avant le télétravail, t’étais toujours bien habillée, me semble, poursuit-il. T’sais, tes belles petites robes, tes belles petites chemises, tes belles chaussures. Il me semble que ce serait plus approprié pour notre clientèle. On voudrait pas passer à côté d’un beau contrat parce qu’ils nous trouvent sloppy. Allez, je te laisse travailler. À demain au meeting. »

Denis quitte la pièce. Anna n’en revient pas. Son boss vient concrètement de lui imposer un code vestimentaire pour ne pas perdre un contrat. C’est quoi, ce raisonnement-là? Si elle se faisait agresser en pleine rue, Denis penserait-il que c’est à cause de son outfit?

Anna, en bonne millennial, consulte Google :

Mon boss peut-il m’obliger à porter une brassière au travail?

Entre des sites web de droit du travail et des sites de porn (ah oups, ben oui, hein!), Anna ne trouve pas de réponse claire. Elle épluche les résultats de sa recherche, lit en diagonale, s’exaspère. Elle quitte le bureau, brûlée.

Le lendemain matin, Anna se lève en pleine forme. Elle prépare son café en écoutant la radio selon son rituel matinal. Puis, elle se dirige vers sa chambre et ouvre le premier tiroir de sa commode, celui où elle range ses sous-vêtements. En posant les yeux sur les bralettes en dentelle et les soutiens-gorges à armatures, une boule se loge au creux de son ventre. 

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