L’homme (bi) invisible: mythes et préjugés sur la bisexualité

Résumé

Les hommes bisexuels sont particulièrement invisibilisés, encore aujourd’hui. Mais pourquoi? On en parle avec deux hommes bisexuels qui nous partagent leur expérience avec une absence de modèles et des préjugés qui persistent, mais qui ont su naviguer l’exploration de leur identité malgré les embûches.

Apparemment, les personnes bisexuelles, et particulièrement les hommes, ont encore la lourde tâche de devoir prouver qu’elles existent.

« J’ai peut-être eu de la misère à assumer [ma bisexualité] ou à en parler à du monde parce qu’on en parle peu ou qu’on connaît peu d’hommes bisexuels out », me raconte Simon, un homme bisexuel, lorsque je lui demande de me parler de son coming out.

« La conversation est plus facile à avoir avec les personnes de ton entourage qui ne pensent pas que c’est un mythe, la bisexualité. » 

Pourtant, au Canada, environ 161 200 hommes de plus de 15 ans s’identifient comme bisexuels (Statistique Canada, 2021). Concrètement, ça veut dire que les hommes bisexuels canadiens pourraient remplir 7,85 fois le Centre Bell à eux seuls… Alors pourquoi fait-on encore comme s’ils n’étaient pas là?

Une absence de modèles

Quand je lui demande ce qu’il pense des représentations d’hommes bisexuels dans la culture populaire, Simon, un réalisateur, affirme qu’il en manque cruellement. C’est d’ailleurs par cette volonté de rendre son vécu visible que Simon a produit son film Ami d’ami, inspiré de sa première expérience sexuelle avec un homme.

« Je voulais combler un vide et parler de certaines difficultés qu’on peut vivre en tant qu’homme bisexuel, mais je ne voulais pas non plus faire un film queer mélodramatique », explique-t-il.

Quand la bisexualité est représentée, l’accent est souvent mis sur le questionnement douloureux que peuvent vivre les hommes bi par rapport à leur orientation sexuelle, ou encore sur les violences 2SLGBTQIA-phobes. 

« [J’ai fait le film] pour que d’autres personnes qui en sont témoins aient un peu plus d’aisance à assumer leur orientation et leur désir », ajoute Simon.

Avoir accès à des modèles positifs permet de mettre des mots sur son vécu et de se sentir validé·e, en constatant que ce que l’on vit ou ressent est normal. 

Andy* , un jeune homme pansexuel, confie en ce sens : « Je pense que j’aurais aimé [avoir accès à] plus de modèles pour savoir que j’existais. Quand j’étais petit, je me sentais vraiment comme un extraterrestre parce que je ne voyais personne qui était comme moi. Ça n’existait comme pas. »

Étant d’origine sud-américaine, Andy peine encore aujourd’hui à trouver des modèles à qui s’identifier. « Je pense juste à Frank Ocean, comme homme de couleur ouvertement bisexuel. Pis je me reconnais bien en lui, parce que c’est à travers ses chansons qu’on remarque la fluidité dans sa sexualité. »

Des mythes qui persistent

Plusieurs idées préconçues et mythes entourent la bisexualité. Bien qu’ils soient à l’aise avec leur sexualité, Simon et Andy disent avoir eux-mêmes déconstruit certains stéréotypes au fil de leur expérience. 

« C’est juste une phase »

Quand il a commencé à se questionner sur sa sexualité, Andy croyait qu’il devait choisir entre son attirance pour les hommes et pour les femmes. « Un peu comme tout le monde, j’ai fait des recherches en ligne parce que j’étais un peu perdu à savoir si je devais vraiment trancher ou pas, raconte-t-il. Pis finalement, non. »

Et il n’est pas le seul. Encore aujourd’hui, certains mythes continuent de nier l’existence de la bisexualité, comme celui selon lequel la bisexualité n’est qu’une phase d’expérimentation sexuelle (Burke et LaFrance, 2018) ou celui voulant que les personnes bisexuelles soient en déni de leur homosexualité (Maimon et al., 2019). 

C’est d’ailleurs ce que s’est fait dire Simon lorsqu’il a décidé de dévoiler son orientation sexuelle à ses parents. « Quand j’en ai parlé à mon père, il m’a dit : “T’sais, Simon, j’ai déjà eu un trip à trois avec deux filles, mais ça fait pas de moi un gigolo! C’est pas parce que tu as couché avec un gars que ça fait de toi un bisexuel!” »

D’une part, réduire la bisexualité à une simple phase invalide le vécu des hommes bisexuels. D’autre part, ça leur impose de choisir le genre envers lequel ils seraient « réellement » attirés, ce qui n’est ni réaliste ni souhaitable. La bisexualité s’éloigne des concepts binaires traditionnels de l’orientation sexuelle. Et ça, beaucoup de gens ont de la misère à l’accepter.

Plus d’options = plus d’infidélités

Pour plusieurs hommes bisexuels comme Andy et Simon, l’exploration et l’acceptation de leur sexualité nécessitent un espace pour se découvrir et expérimenter. Surtout que beaucoup d’hommes bisexuels qui n’ont pas ou peu d’expériences avec d’autres hommes ont un sentiment d’imposteur. 

Pour Andy, c’est sa première relation avec un homme qui lui a permis de valider sa bisexualité : « J’avais juste eu des relations amoureuses avec des femmes pis ça m’a remis beaucoup en question à savoir si je devais vraiment choisir entre [les hommes et les femmes]… C’était vraiment authentique avec les femmes, mais c’est ma première relation avec un homme qui m’a fait réaliser que ce que j’avais vécu avant, c’était vrai aussi, même si j’étais attiré par les hommes. »

Ce besoin d’explorer est parfois amalgamé à l’idée préconçue selon laquelle les hommes bi seraient plus disposés à l’infidélité ou à la promiscuité sexuelle (Burke et Lafrance, 2018).

Pour ces raisons, plusieurs hommes bi évitent ou anticipent de dévoiler leur bisexualité à de nouveaux ou nouvelles partenaires, par peur que ce soit un turn off

Selon une étude américaine réalisée auprès de 1 823 participant·e·s, les personnes gaies, lesbiennes et hétérosexuelles seraient en effet moins susceptibles de vouloir dater des personnes bisexuelles que des personnes qui ne le sont pas (Ess et al., 2023). 

Mais est-ce que les hommes bi trompent vraiment plus? À notre connaissance, aucune étude ne confirme cette hypothèse. Pourtant, il n’est pas rare que les hommes bisexuels doivent rassurer leurs partenaires au sujet de leur fidélité ou du fait qu’ils ne ressentiront pas de manque en se « contentant » d’une personne et d’un genre. 

Ce préjugé, autant Simon qu’Andy l’ont rencontré avec des partenaires qui avaient besoin d’être rassurées. « En général, ça va, mais j’ai eu une relation où la personne était mal à l’aise avec ma bisexualité parce qu’elle pensait que j’allais avoir besoin de plus ou que les hommes allaient me manquer, se souvient Andy. Et on a terminé [notre relation] à cause de ça. »

Simon a eu des expériences variées : « J’ai déjà eu peur que ce soit un turn off quand je rencontrais une nouvelle personne, mais ç’a plus souvent été un turn on, en fait. »

Gagner sa place dans sa communauté

Ce n’est pas toujours évident d’explorer son identité queer et sa place dans les communautés. Plusieurs hommes bisexuels rapportent que leur straight passing peut être un obstacle pour connecter avec les autres et se sentir à leur place au sein des communautés queers, qui ne sont pas à l’abri des préjugés envers les personnes bi (Matsick et Rubin, 2018). 

Pour Simon, ce sentiment d’imposteur s’est manifesté lors de ses premières participations à des évènements queers, où il n’était pas sûr d’avoir sa place. « J’ai eu l’impression qu’il fallait que j’acquière ma carte queer en ayant plus d’expériences [avec des hommes] parce qu’initialement, je me mettais plus en relation avec des filles. » 

Les deux hommes racontent que leur sentiment d’appartenance queer s’est développé avec le temps et au fil des expériences qui leur ont permis de tisser des liens avec d’autres personnes queers. 

Ces rencontres ont même mené Andy à explorer davantage sa sexualité et sa vision du genre. « C’est vraiment quand j’ai commencé à aller dans des shows de drag, que j’ai rencontré des personnes trans et d’autres personnes bisexuelles et pansexuelles que ça m’a fait réaliser que mon orientation était assez fluide, explique-t-il. Pour le moment, je dis que je suis bi, mais pan aussi. C’est vraiment par rapport à la personne, pas vraiment par rapport au sexe. »

Quant à Simon, son identité sexuelle s’est solidifiée au même rythme que son sentiment d’appartenance envers la communauté bisexuelle. « On m’a proposé de porter le drapeau bi à la fierté et je l’ai fait, donc je sens que je fais partie de la communauté, dit-il. Depuis que j’ai fait mon film, mon orientation est plus connue de tou·te·s, je tisse plus de liens avec les gens queers. Mais ce n’est pas comme s’il fallait que mon identité tourne beaucoup autour de ça. Je suis un homme bi parmi d’autres choses. Ça vient compléter mon identité, mais c’est pas quelque chose qui vient la définir nécessairement entièrement. »

  • Burke, S. E., & LaFrance, M. (2018). Perceptions of instability and choice across sexual orientation groups. Group Processes & Intergroup Relations, 21(2), 257-279. https://doi.org/10.1177/1368430216663019

    Ess, M., Burke, S. E., & LaFrance, M. (2023). Gendered anti-bisexual bias: heterosexual, bisexual, and gay/lesbian People’s willingness to date sexual orientation Ingroup and Outgroup members. Journal of Homosexuality, 70(8), 1461-1478. https://doi.org/10.1080/00918369.2022.2030618

    Maimon, M. R., Sanchez, D. T., Albuja, A. F., et Howansky, K. (2021). Bisexual identity denial and health: Exploring the role of societal meta-perceptions and belonging threats among bisexual adults. Self and Identity, 20(4), 515-527. https://doi.org/10.1080/15298868.2019.1624275

    Matsick, J. L., et Rubin, J. D. (2018). Bisexual prejudice among lesbian and gay people: Examining the roles of gender and perceived sexual orientation. Psychology of Sexual Orientation and Gender Diversity, 5(2), 143. http://dx.doi.org/10.1037/sgd0000283

    Statistique Canada. (2021). Les communautés LGBTQ2+ au Canada : un aperçu démographique. Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/210615/dq210615a-fra.htm