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Mon avortement et moi : une histoire sans regrets

À noter : Mes expériences d’avortement ont été vécues en tant que femme blanche cisgenre qui n’est pas en situation de handicap, ce qui fait en sorte que je n’ai pas vécu de difficultés quant à l’accessibilité aux services d’interruption volontaire de grossesse. On constate de nombreux progrès quant au droit à l’avortement, mais nous ne pouvons ignorer l’existence de plusieurs barrières encore présentes pour certaines communautés marginalisées, telles que les personnes de la diversité culturelle, sexuelle et de genre et les personnes des communautés autochtones.


Le matin où le test de grossesse s’est avéré positif, j’ai pleuré un peu. Ce n’était pas des larmes de tristesse ou d’angoisse, mais plutôt de surprise; je ne m’y attendais vraiment, mais vraiment pas.

À l’époque, ma seule pratique de contraception était celle du pull out , alors bien que le risque de grossesse existait, je n’avais jamais réellement considéré l’idée que ça puisse m’arriver. C’était quelque chose qui pouvait arriver aux autres – je le voyais dans les films et les séries –, mais pas à moi.

J’avais 18 ans et je vivais ma première relation amoureuse. Une relation tumultueuse, entrecoupée de breaks, qui fut toxique jusqu’à la fin, mais que je ne regrette pas. Après avoir reçu la nouvelle sous la majestueuse forme d’un texto ressemblant à : « Allô, peux-tu me rappeler, je pense que je suis enceinte », mon copain de l’époque fut (plus ou moins) présent, tout en stipulant clairement qu’il n’avait aucune envie d’avoir un enfant. Fair enough. Après ce fameux matin, ç’a été un mois extrêmement difficile. J’avais mal au cœur, je vomissais, je pleurais, je regardais parfois mon ventre et étais dégoûtée par le fait que mon corps puisse être capable d’un tel phénomène, mais surtout… j’hésitais.

Au risque de paraître superstitieuse, voici un rapide portrait familial, côté maternel : mon arrière-grand-mère a eu ma grand-mère à l’âge de 19 ans, qui a ensuite eu ma mère à 19 ans, qui m’a ensuite eue à… 19 ans. J’étais donc familière avec la « tradition » (ou malédiction, ça dépend comment on voit ça) familiale qui court dans ma lignée matrilinéaire, et le calcul n’a pas été difficile à faire; j’allais avoir 19 ans dans 3 mois.

Alright, j’y suis, c’est mon tour.

Heureusement, ma mère m’a élevée dans un environnement où parler de sexualité n’était ni tabou ni gênant, et donc mon réflexe n’a jamais été de mentir à mes parents ou de leur dissimuler l’événement. Je me suis également dit qu’aucun des deux n’était en position de me juger, puisqu’ils m’avaient donné naissance exactement à cet âge. J’avais raison; il n’y a pas eu de cris, pas de pleurs, pas de déception, juste ma mère qui eut l’air à peine surprise, elle qui me répétait depuis mes 12 ans à quel point la protection et les condoms étaient importants. Oups. 

Avec mon père, j’ai eu une longue conversation au téléphone, dont je ne me rappelle pas grand-chose, à part qu’il était calme et compréhensif. Bref, j’ai vraiment été chanceuse de ce côté-là. 

Le rendez-vous

Je crois que j’ai attendu deux semaines avant de prendre mon courage à deux mains et d’appeler pour prendre rendez-vous à la clinique d’avortement. Malgré mon hésitation, je pense que je savais, au plus profond de moi-même, qu’interrompre ma grossesse était la seule issue possible. Je tentais par tous les moyens de me le cacher, de m’imaginer dans la situation utopique où j’avais les pleines capacités d’élever un·e enfant, même si c’était faux. Je n’étais pas prête (et je ne le suis toujours pas, des années plus tard), mais c’était un joli fantasme. 

Prendre un rendez-vous était easy-peasy, et après quelques questions sur mon cycle menstruel au téléphone, j’étais à la clinique à peine une semaine plus tard. À cette époque, je n’avais pratiquement aucune connaissance concrète sur l’avortement (également appelé interruption volontaire de grossesse [IVG]). Tout ce que je savais, c’est que j’allais vivre la première intervention chirurgicale de ma vie. Ce n’est que des années plus tard, en assistant à l’un de mes cours au baccalauréat en sexologie, que j’ai finalement compris c’était quoi, précisément, un avortement. 

Pour ma part, j’ai vécu une IVG chirurgicale , une pratique qui consiste à retirer le contenu de l’utérus à l’aide d’une technique appelée « dilatation-aspiration-curetage ». Des termes qui peuvent sembler intimidants, mais en réalité, c’est une intervention mineure et rapide qui dure généralement entre 10 et 30 minutes. 

J’ai également appris qu’il existait un autre type d’avortement, l’IVG médicale , qui consiste en la prise de deux médicaments, la mifépristone (qui arrête le processus de la grossesse) et le misoprostol (qui provoque des contractions musculaires et utérines qui vont permettre à l’utérus d’expulser son contenu). Ce sont des médicaments qu’on peut prendre à la maison à la suite d’un rendez-vous. 

Mon avortement s’est très bien déroulé. Pour être honnête, ce n’était pas l’intervention en soi qui me terrifiait, mais plutôt le cathéter qu’on allait me planter dans le bras pour m’administrer le médicament soulageant la douleur. C’est assez comique quand j’y pense, qu’au final, ma phobie très intense des aiguilles ait été ma principale source d’anxiété tout au long du processus. 

Je me souviens de l’immense carte du monde au plafond, que je fixais en attente de la drogue qui allait me faire sentir bien.

Je n’avais pas peur, mais je me sentais vulnérable, allongée comme ça avec les jambes écartées. La seule chose à laquelle je pouvais penser était l’envie que ma mère soit à mes côtés, comme si j’étais de retour en enfance avec ce désir primaire de vouloir ma maman. 

L’intervention n’a pas été douloureuse et a été très rapide. 

Quinze minutes plus tard, la gentille infirmière m’a aidée à remettre mes sous-vêtements et je me suis retrouvée allongée sur un lit entouré de rideaux. J’étais encore un peu buzzée, j’ai raconté une blague dont je ne me souviens plus à l’infirmière. Elle a ri. 

J’ai mangé mes biscuits Breton, je suis partie chez moi et je n’ai jamais regretté cette journée.

Pas la seule

Après mon premier avortement, mes yeux se sont ouverts sur une réalité qui m’était jusqu’alors inconnue. Dès que j’abordais l’événement (ce qui n’était pas rare, puisque je n’ai jamais voulu le cacher), ce n’était jamais long avant qu’une personne me retourne la confidence, soulagée de trouver quelqu’un avec qui partager cette expérience sans tabou et sans jugement. C’est arrivé à des amies proches, à des connaissances, à des membres de ma famille, à des collègues. Ç’a été une révélation apaisante de comprendre que je n’étais pas un cas isolé, que je n’étais pas anormale, loin de là. 

En fait, après quelques recherches, j’ai appris que l’année où j’ai vécu mon avortement, on estime qu’un peu plus de 100 000 personnes au Canada ont pris la même décision que moi.

Ça peut faire du bien d’être simplement conscient·e de ces chiffres-là!

Je n’ai aucun regret par rapport à mes avortements (un deuxième étant survenu une année après le premier). Les personnes ayant recours aux services d’interruption volontaire de grossesse ne le font pas pour le fun, et les raisons derrière cette décision sont aussi valides les unes que les autres, que ce soit parce que :

  • Tu ne veux pas d’enfants
  • Tu as déjà des enfants et n’en veux pas d’autres
  • Tu es dans une situation socioéconomique défavorable
  • Tu as des raisons culturelles ou familiales 
  • Tu as vécu une ou des agressions sexuelles
  • Tu vis une grossesse qui comporte des risques pour toi ou le foetus
  • Ce n’est pas le bon moment pour toi, tout simplement!

Bien sûr, l’avortement n’est pas un moyen de contraception et il est important d’utiliser une méthode contraceptive fiable pour éviter les grossesses non désirées. Toutefois, aucune méthode n’est efficace à 100 %, et peu importe le raisonnement derrière l’avortement, ce dernier demeure un droit fondamental pour tou·te·s.

Privilégiée

Ce serait un mensonge de dire que rédiger cet article n’a pas ravivé certains souvenirs, positifs comme négatifs; je me suis glissée dans la peau de la moi d’autrefois afin de me replonger dans ce que j’ai ressenti et vécu. Ce n’est pas un événement qui a marqué ma vie de façon traumatique, mais j’y pense de temps en temps. Ça m’arrive de blaguer en constatant que si je n’avais pas pris cette décision, j’aurais peut-être un·e kid de 6 ans à mes côtés (non merci!). 

Au final, je crois avoir été chanceuse et privilégiée de vivre mon avortement de cette façon : je vis au Québec, où les services d’interruption de grossesse sont très accessibles, j’ai été bien entourée et je n’ai pas eu à cacher l’événement ni à le vivre seule.

Quand je pense aux endroits où l’avortement est illégal, tabou et pratiqué de façon dangereuse , j’ai le cœur qui fend et j’ai une envie d’hurler à la face des gens qui osent se proclamer maîtres de nos décisions et de nos utérus. 

Je partage ce texte avec l’espoir que mes mots contribueront peut-être à normaliser la décision de se faire avorter et ainsi à briser peu à peu la culture du secret qui l’entoure.

Ce n’est pas quelque chose de banal ou de facile, mais ce n’est pas pour autant épouvantable. Ça arrive. 

À tou·te·s celleux qui ont vécu un avortement, qui y pensent et qui hésitent, qui sont certain·e·s de leur choix, qui y ont pensé et qui ne l’ont pas fait, et à celleux qui n’ont peut-être pas cette option… 

Ce que vous ressentez est valide et vous êtes loin d’être seul·e·s.