Miss Peggy et le mythe de la dominatrix : réflexions d’une peggeuse anonyme

Mon amant-désormais-amoureux et moi utilisons parfois XConfessions, une application érotique que l’on pourrait qualifier de « Tinder à désirs ». Celle-ci nous suggère une panoplie étonnante de pratiques sexuelles, que l’on peut individuellement swiper à gauche ou à droite, selon notre envie de l’essayer. On obtient ensuite un match fantasmagorique si on est tou·te·s deux partant·e·s pour explorer un même plaisir. Avec un partenaire qui souhaite autant que moi approfondir sa sexualité, c’est la formule parfaite pour découvrir de nouveaux terrains de jeux.

Un beau matin, j’ai ressenti l’envie de me laisser inspirer par quelques suggestions audacieuses. J’ai donc ouvert l’application, et aussitôt, le mot « pegging » est apparu sur l’écran de mon cellulaire. 

Je n’avais aucune expérience en la matière, mais j’avais toujours fantasmé à l’idée d’avoir le gros bout du bâton (ou, du moins, d’avoir un bâton tout court). J’avais associé le pegging au renversement des pouvoirs établis entre la personne qui pénètre et la personne pénétrée. Subjuguer. Soumettre. Asservir. C’est ce que j’en retirais de mes vidéos pornos favorites. Je m’imaginais que « pegger » me transformerait directement en femme fatale dominatrix, et ça piquait franchement ma curiosité.

Contrairement à tous mes précédents partenaires qui ne partageaient pas cette envie, mon copain avait déjà mentionné son désir d’explorer le plaisir anal sous toutes ses formes.

C’est donc sans grande surprise, mais avec beaucoup d’excitation, que nous avons obtenu un match.

Mon copain m’a par la suite avoué qu’il stimulait sa prostate lorsqu’il se masturbait depuis déjà quelques années. En découvrant le plaisir qu’il pouvait ressentir de cette façon, il avait voulu expérimenter avec une partenaire. Mais c’était la première fois qu’il rencontrait quelqu’un pour qui ce désir était réciproque.

Si, à la base, l’application ne nous servait que de divertissement, elle nous a finalement permis d’ouvrir une discussion sur les envies que nous partagions. Mais un peu comme sur Tinder, un match n’en attendait pas un autre. Face à l’inventaire des plaisirs à expérimenter à grands coups de lichettes et d’exercices d’index, l’idée du pegging est passée en second plan. Mais elle n’était jamais bien loin, gravée dans un coin coquin de mon hippocampe.

Le strap on de Miss Peggy

Quelques mois plus tard, en zieutant innocemment les nouveautés de ma boutique érotique favorite, je l’ai soudainement vu. Une apparition qui ne pouvait pas relever du hasard. Dix sangles aux attaches dorées, en cuir rouge véritable, ajustables à la perfection pour embrasser chaque ondulation de mon corps (et, avec un peu de recul, à l’allure quelque peu clichée). Le harnais de mes rêves! 

Je visualisais déjà la scène. J’allais apparaître dans un écran de fumée, lubrifiant à la main, dildo au bassin, prête à faire passer un délectable mauvais quart d’heure à mon concubin. Ce harnais allait me donner la tête de l’emploi pour incarner mon alter ego femdom : appelez-moi Miss Peggy.

J’ai envoyé un lien vers l’objet de mes désirs à mon copain, question de tâter le terrain. Il ne me fallut pas plus qu’un enthousiaste émoji aux yeux en cœur en guise de réponse. C’était déjà affaire conclue.  

Je devais maintenant choisir un dildo à attacher au harnais. Devant l’étendue des combinaisons possibles de taille, de forme, de diamètre, de matériaux et de réalisme, je me sentais moins d’attaque. J’ai consulté mon copain pour être certaine que nous allions tou·te·s les deux être à l’aise avec le modèle choisi. Je ne voulais pas débarquer avec un monstre de jelly pourpre bien veiné s’il préférait un gode semi-réaliste de 5 pouces en silicone.

Puis est enfin arrivé le moment tant attendu d’essayer notre nouvel attirail. 

J’ai enfilé mon accoutrement vermillon pour la première fois. Enfin, j’essayais… Une attache à la fois… De peine et de misère… Mon copain est venu à ma rescousse…On y était presque…

Avec le recul, il aurait été judicieux de trouver le juste milieu entre look et confort, pour ne pas avoir l’impression de devoir lire un manuel d’instructions chaque fois que vient le moment de l’enfiler. 

Une fois bien entortillée, j’ai incanté Miss Peggy, cette insatiable dominatrix en moi. J’ai finalement senti… que je ne savais pas pantoute ce que je faisais!

Miss Peggy s’adoucit

On a commencé tout en douceur avec une petite session de rimming. J’ai ensuite inséré mon index dans l’anus de mon partenaire, puis mon majeur. Jusqu’ici, nous étions en terrain connu. Par contre, c’était la première fois que mon copain allait expérimenter avec autre chose que des doigts dans cette région. Lorsqu’il m’a dit qu’il était prêt, j’ai agrippé la bouteille de lube et j’en ai appliqué une bonne quantité sur la verge de silicone. 

Même si je croyais savoir à quoi m’attendre, j’ai tout de même eu un petit vertige à la traversée du pont entre le fantasme et la réalité. C’était la première fois que je voyais un homme nu, en chair et en os, les deux miches écartées devant moi. Et même si j’adore ses miches, j’ai eu un petit moment de gêne.  

D’abord, disons simplement qu’avec des terminaisons nerveuses en plastique pour éclairer mon chemin, je ne m’enlignais pas du tout tiguidou-dans-l’trou. On a donc dû s’y reprendre à quelques reprises pour atteindre notre cible. Mais en faisant preuve de patience pour trouver le bon angle et enfoncer progressivement le dildo, nous y sommes parvenu·e·s sans que mon copain ne ressente d’inconfort.

C’était le moment de me faire aller le bassin : my time to shine! Mais l’inversement des rôles, aussi simple que cela puisse paraître, m’a fait perdre mes repères. Je flottais dans le cosmos de la nouveauté en scaphandre de cuir. Laissez-moi vous dire que Miss Peggy a pris le bord en une fraction de seconde.

Les positions que nous adoptions au quotidien m’ont soudainement semblé étrangères. Pour essayer de me les réapproprier et de les rendre plus familières, j’ai essayé d’imiter, sans grande conviction, les gestes et l’attitude que j’associais à la personne qui pénètre. C’est une chorégraphie que j’avais intériorisée sans m’en apercevoir. Comme ma danse au spectacle de fin d’année scolaire de 2003 que je peux performer live si on me met une toune de Lorie.

J’ai été confrontée à l’image que j’avais malgré moi intégrée de la masculinité au lit : ce dont un homme devrait avoir l’air quand il fait l’amour, les gémissements qu’il devrait pousser, l’attitude qu’il devrait adopter. Ce n’est pas des concepts qui se déconstruisent le temps d’une baise, mais je me suis sentie privilégiée de partager cette expérience avec lui pour la première fois. Je sentais que mon partenaire se montrait vulnérable, ce qui me rendait vulnérable à mon tour. J’éprouvais le besoin de lui poser beaucoup de questions, de m’assurer qu’il était confortable et enthousiaste.

Finalement, mon malaise s’est graduellement estompé pour laisser place à la découverte. J’ai réussi à sortir de ma tête et à me laisser porter par cette nouvelle expérience.

Comme pour beaucoup de premières fois, ce n’était pas parfait. Mais nous en avons quand même retiré du plaisir, tant physique qu’émotionnel. On venait de partager un moment intime, nouveau et quand même très chaud.

Nous avons bien vite eu envie de retenter l’expérience. Encore et encore.

Miss Peggy et les 1001 pegs

Maintenant, le harnais rouge fait partie de notre quotidien. Il a sa place dans notre garde-robe, bien accroché sur son propre cintre, au milieu de nos chemises.

Depuis notre première expérience, mon rapport à la pratique et au strap on est en constante évolution. Mais mon apprentissage le plus marquant, c’est certainement le fait que le pegging n’équivaut pas nécessairement à la domination et que je n’ai pas à faire appel à un alter ego pour qu’on passe un bon moment. Sorry, Miss Peggy!

En fait, avec un peu de pratique et en questionnant mon partenaire sur ses préférences, je me suis vite aperçue que, tout comme il y a 1001 façons de faire l’amour, il y a aussi 1001 façons de « pegger ». Ça peut être lascif, kinky, acrobatique, gourmand, discipliné. Je nous surprends toujours à découvrir ensemble de nouvelles possibilités de dynamiques, de positions et de sensations.

Récemment, alors que mon copain se laissait aller on top et que je portais le strap on, ses gémissements en synchronisme mélodique à mes coups de bassin m’ont fait atteindre un nouveau sommet. La friction du cuir contre mon sexe m’a fait jouir à en sortir de mon corps. Un orgasme de plus à ma liste personnelle de jouissances insolites, ex aequo avec la fois où je suis venue juste en me serrant les cuisses (mais ça, c’est une autre histoire).

Je peux désormais affirmer que le pegging a instauré une dynamique beaucoup plus souple dans nos ébats.

Nous adoptons une plus grande variété de pratiques sexuelles, au-delà de notre sexe ou de nos rôles de genres, et osti que ça fait du bien! Ne pas avoir à se soucier des rôles et juste suivre le flow de nos corps, ça a révolutionné ma vie sexuelle principalement hétéronormative. 

Et celle de mon copain aussi! Il m’exprime souvent le bien que ça lui fait d’avoir une partenaire à qui il peut faire part de ses désirs et avec qui il peut les explorer sans jugement. Cette ouverture se répercute au-delà de notre sexualité, en renforçant aussi la confiance et la transparence qui lie notre relation émotionnelle.

Cette fluidité augmente le champ des possibles de notre plaisir. Quand vient le temps de se mettre à nu, on se transforme en protagonistes d’un livre dont vous êtes le héros ou l’héroïne : chaque étreinte influence la prochaine et nous mène à une conclusion orgasmique inédite.

Avec le recul, je dirais que lorsqu’on dédramatise le pegging et sa représentation dans l’imaginaire collectif, on s’aperçoit bien vite qu’il s’agit simplement d’une façon de prendre son pied parmi tant d’autres. Associer systématiquement la pénétration anale masculine à une forme de domination finit probablement par rendre la pratique encore plus taboue. Don’t get me wrong, c’est totalement possible et excitant d’explorer les dynamiques de pouvoir! Ce n’est simplement pas obligatoire.

Parfois, je prends plaisir à demander à mon copain de m’enfiler le harnais. Il doit attacher les fermetures une à une, en commençant par celles des hanches, puis celle des cuisses. Je lui fais lécher lentement le dildo. Je lui enfonce mes doigts dans le creux de ses joues. Je lui permets ou non de se toucher pendant que je le pénètre. Miss Peggy fait son apparition, mais seulement quand ça nous chante.

  • Aguilar, J. (2017). Pegging and the heterosexualization of anal sex: An analysis of Savage Love advice. Queer Studies in Media & Popular Culture, 2(3), 275-292.

    Branfman, J., Stiritz, S., & Anderson, E. (2018). Relaxing the straight male anus: Decreasing homohysteria around anal eroticism. Sexualities, 21(1-2), 109-127.

    Wignall, L., Scoats, R., Anderson, E., & Morales, L. (2020). A qualitative study of heterosexual men’s attitudes toward and practices of receiving anal stimulation. Culture, health & sexuality, 22(6), 675-689.

Pour en savoir plus sur la pratique du pegging et peut-être même l’essayer toi-même, consulte notre article Pegging 101.

Si la lecture de cet article a titillé ta curiosité, on a un épisode de notre balado À quoi tu jouis? qui aborde le plaisir anal.