La fois où j’ai failli vomir sur Marie Laberge devant ma mère

  • Hey hey you. J’espère que tu vas bien. Scuse de te déranger avec ça… mais mon médecin vient de m’appeler pour me dire que j’ai une gono dans l’cul… J’pense que tu devrais aller te faire checker toi too. Sorry. Prends soin de toi x

Le texto me fait l’effet de la première grosse descente du Goliath, minus le fun pis la photo souvenir. J’ai un immense vertige et l’impression d’avoir trois cents petits diablotins mauves qui serrent mes tripes de leurs mains griffues et insatiables. 

Tu me fucking niaises. 

Le texto provient d’un gars que j’ai rencontré au Piknic Électronik et avec qui j’ai eu un fling de trois semaines. Je passe rapidement en revue les relations sexuelles qu’on a eues ensemble. C’est surtout lui qui me pénétrait. Toujours avec un condom. J’ai souvenir de lui avoir léché un peu l’anus. Lui mangeait le mien comme un melon gorgé d’eau avant de m’enculer sur le dos. On se faisait aussi des fellations, sans condom obvi. Sorry à tou·te·s les sexos out there, mais honestly, je connais pas grand monde qui met un condom pour sucer, saveur de banane ou pas. Sue me.

Je relis le texto. Puis le relis encore et encore. Je me couche sur mon lit et fixe le luminaire poussiéreux de mon appartement de Villeray. Gonorrhée. Ça sonne tellement mal. On dirait que la gravité gutturale du « g » suivi du « h » muet épouse les formes d’un champignon toxique, purulent, mortel. Hell no.

Avec un nom de même, je suis sûr que mon pénis va finir en chou-fleur caramélisé dans quelques jours. 

Le Gono Google gate

Je me ressaisis et fais ce que tou·te·s jeunes adultes de mon âge feraient dans la même situation : j’écris « gono » sur Google. 

« La gonorrhée occupe le deuxième rang parmi les infections transmissibles sexuellement en Amérique du Nord. Elle est provoquée par la bactérie Neisseria gonorrhœae. Elle peut entraîner une infection des muqueuses du vagin, du col de l’utérus, du pénis, du rectum, de la gorge et des yeux » (Gouvernement du Québec, 2017).

Je me dis trois choses : 

1) Je serai jamais capable de mémoriser comment épeler ce mot du diable.

2) Ne plus jamais écrire « gono image » sur Google.

3) Neisseria gonorrhœae serait un fucking bon nom de drag queen.

Bon, deuxième rang parmi les ITSS. Ça veut dire que ce qui m’arrive n’est pas exceptionnel ou obscur. Esti que chu content d’être commun sur ce coup-ci. Je poursuis ma lecture. 

« Quand une personne a des symptômes, ils apparaissent généralement de 2 à 7 jours après la transmission de la bactérie.

Les symptômes de la gonorrhée peuvent être les suivants :

  • pertes vaginales anormales; 
  • saignements vaginaux après les relations sexuelles et entre les menstruations;
  • écoulements anormaux par le pénis ou l’anus;
  • picotements ou sensation de brûlure en urinant;
  • douleurs aux testicules ou dans la région de l’anus;
  • maux de gorge » (Gouvernement du Québec, 2017).

Je ressens rien de tout ça, mais je me concentre tellement sur mes parties intimes que je commence à m’imaginer une brûlure dans l’urètre, pis plus j’y pense plus ça brûle.

Fuck shit fuck. Non clairement, c’est Pompéi dans ma graine. Somebody call 911. 

« La gonorrhée se traite avec des médicaments gratuits. Les traitements guérissent complètement l’infection » (Gouvernement du Québec, 2017).

Hallelujah. Faisant partie des personnes qui croient fermement en la vertu d’une pilule une petite granule, je suis soulagé de voir que ma sentence se règle avec des médicaments bien chimiques. 

Mais là, je snap back to reality. Depuis quelques semaines, je fréquente un nouveau garçon que j’aime beaucoup beaucoup et avec qui j’ai beaucoup beaucoup de sexe. Techniquement, lui aussi devrait se faire checker… L’affaire, c’est que je ne veux tellement pas lui faire peur. T’sais comme quand un chat un peu farouche s’approche de toi et que tu ne veux pas faire de mouvement trop brusque pour tout effacer les efforts de séduction… Je veux pas le turn off avec mes affaires de bibittes… Je veux pas avoir l’air sale…  

C’en est trop. Je me mets à pleurer. Je braille tellement que j’ai le nez aussi rouge qu’un cul de mandrill.

Girl, get a grip. 

Je prends mon courage à deux mains, prends la décision de ne pas aller à mon cours de Philosophie de la littérature l’après-midi et texte ma nouvelle flamme pour savoir si je peux passer le voir « pour quelque chose d’urgent ». 

Une fois chez mon boy du moment, je lui explique « l’imbroglio gono » en pleurant. Je lui dis que je ne suis vraiment pas un courailleux et que c’est la première fois que ça m’arrive. Sa maturité a été déconcertante. On a pris un rendez-vous pour moi le lendemain matin, dans une clinique près de l’UQAM et il m’a même proposé de m’accompagner si je voulais. C’était tellement soulageant de partager le poids de mes inquiétudes avec un si beau garçon. 

C’est un peu bizarre, mais c’est comme si l’authenticité et l’intimité administrative de ce qui venait de se passer nous avaient excités tous les deux et on s’est mis à faire l’amour sur son divan fuchsia. Je l’ai pénétré avec un condom alors qu’il me tendait sa croupe affamée. On s’est couchés tôt, car mon rendez-vous de dépistage était le lendemain à 8 h, juste avant ma date avec ma mère au Salon du livre. 

L’infirmière, la mère et la crevette

C’était tellement simple à la clinique. On m’a posé quelques questions sur ma santé et ma vie sexuelle. « Combien de partenaires? » « Quelle fréquence? » « Protection ou non? » « Orientation sexuelle? » Puis on m’a passé un Q-tips dans différents orifices et fait une prise de sang. La médecin m’a dit qu’il y avait tellement de cas de gonorrhée et de chlamydia dernièrement qu’elle me prescrirait déjà les médicaments pour les traiter, avant même que les tests de laboratoire reviennent. Easy, breezy, beautiful.  

Je passe à la pharmacie avec mon ordonnance, la jeune pharmacienne avec des cheveux à la Dora l’exploratrice me tend ma prescription et me met en garde contre de possibles nausées. Je l’écoute à moitié, car mon téléphone vibre au même moment. 

« Allô?! Je suis à la gare. Où es-tu? » 

Le chiore. Mon rendez-vous ayant eu du retard, ma mère poireaute toute seule à la gare de Montréal. Elle a fait tout le chemin des Cantons de l’Est jusqu’à Montréal pour qu’on se pavane devant des kiosques littéraires à la Place Bonaventure. Je pop mes pills et saute dans le métro. 

J’arrive presque une heure en retard à la gare. Je n’ai pas envie de raconter ma mésaventure de gonorrhée à ma mère donc je prétexte une panne de métro.

On se dirige ensuite vers un petit resto vietnamien que je veux montrer à ma mère pour leur délicieux pad thaï aux crevettes. Mais là, je commence sérieusement à feeler funné. Je les trouve pas comiques les crevettes dans mon sauté. Tout le repas, j’écoute à peine ma mère qui souligne mon teint pâle et ma mauvaise mine. 

On paie l’addition et on se dirige vers la Place Bonaventure. Je commence à avoir très très très mal au cœur et à la tête. J’ai une folle envie de me coucher sur le plancher du Salon du livre et d’y dresser campement pour l’éternité. Ma mère est un peu irritée par mon état et sous-entend que j’ai peut-être une gastro. 

Le dégueulis de mots Québec Amérique

Alors qu’on fait la file pour que ma mère fasse dédicacer son dernier Marie Laberge, c’en est trop : je dois me vider. Maman est la prochaine à passer devant la grande romancière et moi, je cours vers une poubelle près du stand de Québec Amérique.

Je vomis l’entièreté de mon pad thaï à côté de Guylaine de Trois-Rivières pâmée devant sa dédicace illisible de Michel Tremblay. 

Ma mère quitte la file (elle ne rencontrera jamais sa romancière préférée à cause de moi) et exige des explications sur mon état. Je fonds en larmes et lui explique tout en un souffle. Gars d’un show, gonorrhée dans l’cul, clinique, pilule, mal de cœur. Elle me frotte le dos. J’ai tellement peur qu’elle se dise que les gais c’est des courailleux. C’est clairement pas mes deux frères straight qui gâcheraient sa belle journée à Mourial pour une gono dans le cul. 

Elle me dit qu’elle comprend et que je dois me reposer. On écourte notre visite, non sans nous arrêter devant le kiosque des éditions du Noroît où elle m’offre un recueil de poésie de Geneviève Amyot. Je remets ma mère dans son autobus comme une petite patate dans sa papillote. La pauvre, tout ce chemin pour un moment écourté et inattentif. Elle m’embrasse et me dit qu’elle m’aime. Je l’aime moi aussi. Notre moment raté nous a beaucoup rapproché·e·s.

Dans le métro, en route vers chez moi, mes yeux parcourent un poème et je pleure doucement en me remémorant le dernier 24 h. 

« Je serai consolante berceuse si bonne

Travaillante

Je leur ferai des chambres bleues

Des boîtes de toutes sortes

De gros œufs durs antiques où tendre

l’oreille pour écouter la mer

Pour écouter la mer » 

Une gonorrhée dans le cul toé chose. 

Ah by the way les cuties, la clinique ne m’a jamais rappelé. Ce qui veut dire que je n’étais vraisemblablement pas porteur de l’infection! C’est toujours mieux de faire le test et d’avoir l’esprit tranquille, non?