Comme on le mentionnait dans notre article sur la dépendance à la porno, de nombreuses croyances négatives circulent au sujet de la pornographie. Entres autres, on entend parfois que la porno détruit les relations amoureuses et encourage la violence faite aux femmes.
Étant donné que ce genre de discours n’a rien de nouveau et que la sexualité a historiquement été chargée de tabous, de croyances et de craintes non fondées (Horowitz, 2002), j’avoue être sceptique face à ces affirmations.
Mais ai-je raison de l’être? Qu’en dit la recherche?
La consommation de porno cause-t-elle des problèmes relationnels?
« Je n’arrive pas facilement à discuter de sexualité dans mon couple et à dire clairement ce que je voudrais (peut-être que je ne le sais pas tout à fait moi-même). J’ai consommé de la porno en cachette pendant quelques années (en couple) et je n’en garde pas un très bon souvenir. Nous avons eu une grande discussion quand ça s’est su. Ce mensonge a failli briser notre couple. »
Le discours avançant que la porno a des effets nocifs sur les relations existe lui aussi depuis longtemps, de même que les recherches ayant trouvé des liens entre la consommation de la pornographie et l’insatisfaction sexuelle et relationnelle, les difficultés sexuelles et le conflit.
The thing is, si l’on tient compte de l’ensemble de la recherche sur la pornographie, on constate que les résultats sont mixtes et non concluants. On y rapporte à la fois des effets négatifs et positifs. Ce serait en partie dû au fait qu’il y a un paquet de problèmes méthodologiques et conceptuels avec plusieurs de ces recherches (Campbell et Kohut, 2017). Par exemple :
- La porno n’est pas définie de la même manière d’une recherche à une autre et, la plupart du temps, tous types et contenus pornographiques sont confondus.
- La plupart des études sur la porno se concentrent sur le tort que celle-ci peut causer en supposant, en examinant et ensuite en confirmant que la pornographie nuit aux relations. Disons que ceci impose des limites importantes sur ce que l’on peut apprendre sur l’impact typique de la pornographie sur le couple, puisque les effets « neutres » ou « positifs » potentiels sont habituellement ignorés.
- La grande majorité de ces recherches récoltent seulement des données auprès d’un·e seul·e partenaire plutôt que des deux, ce qui a comme effet de camoufler le contexte relationnel dans lequel la pornographie est consommée.
- Enfin, les hypothèses de plusieurs de ces études, ainsi que le raisonnement qui les sous-tend, sont souvent bourrées de préconceptions stéréotypées sur le genre (par exemple, que les hommes hétéros aiment tous consommer de la porno, tandis que leurs partenaires ont toutes des attitudes négatives envers la porno et la consommation de leurs partenaires). Quand la structure même d’une étude est fondée sur un tel biais, on se ramasse avec des résultats peu valides et peu fiables (« garbage in, garbage out »).
Donc, qu’ont trouvé les études plus nuancées sur les effets de la porno sur le couple?
Selon une étude menée auprès de 430 personnes hétérosexuelles en couple, la plupart d’entre elles ont dit que la consommation de pornographie n’avait aucun impact négatif sur leur relation, et plusieurs ont indiqué que la porno avait un impact positif sur leur relation en soulignant, par exemple, qu’elle contribue à l’exploration et à la communication sexuelle (Kohut et al., 2017).
Seule une minorité de personnes a rapporté des effets négatifs (par exemple, que la porno crée des attentes irréalistes dans la chambre à coucher ou qu’elle mène à moins d’intimité et d’amour dans le couple). Les résultats d’une étude nationale menée en Norvège pointent dans la même direction (Koletić et al., 2021).
Dans une autre étude ayant collecté les données auprès des deux partenaires, les couples dans lesquels les deux partenaires consomment de la porno, comparativement aux couples dans lesquels seulement un·e partenaire en consomme, rapportaient une meilleure communication sexuelle et plus de proximité (Kohut et al., 2018).
Cela dit, il parait que le contexte moral dans lequel la pornographie est consommée est important à considérer. Dans une étude menée auprès d’un large échantillon hétérosexuel et ayant collecté les données auprès des deux partenaires de couple, l’équipe de recherche a trouvé que la consommation de pornographie est liée à une meilleure satisfaction relationnelle chez les hommes ayant une attitude acceptante envers la pornographie (Maas et al., 2018).
En ce qui a trait à la consommation de pornographie de la part d’un·e partenaire, cette étude a également trouvé que le fait d’avoir une attitude positive envers la porno était un facteur protecteur contre l’insatisfaction relationnelle, autant chez les femmes que chez les hommes.
La consommation de pornographie mène-t-elle les gens à développer des attitudes négatives envers les femmes et à les agresser sexuellement?
« Des fois, il y a de la violence. Ça me cause de la culpabilité d’être excité par ça. »
Plusieurs personnes croient que la consommation de porno peut mener plusieurs consommateurs (on va se le dire, dans ce genre de discours, on parle exclusivement des hommes cisgenres et hétérosexuels) à réduire les femmes à des objets sexuels et à les agresser sexuellement, parce que la pornographie dégrade elle-même les femmes, fait d’elles des objets sexuels et promeut la violence envers les femmes en montrant des scènes dans lesquelles celles-ci subissent des actes de violence.
Dans le but de sensibiliser les gens à cet effet nocif, certains organismes, comme Fight the New Drug, citent même des études scientifiques démontrant que la pornographie mainstream est bourrée de représentations d’actes d’agression contre les femmes.
Mais (et oui, il y a un immense « mais »), en consultant ces recherches, on se rend vite compte que tout le monde ne partage pas la même définition des mots « agression » et « violence ».
Par exemple, en analysant 4009 scènes de pornographie mainstream hétéro, Fritz et ses collègues (2020) ont trouvé que 45 % de celles provenant de Pornhub et 35 % de celles provenant de XVideos contenaient des agressions physiques, lesquelles étaient notamment perpétrées envers les femmes. Les actes d’agression les plus répertoriés étaient la fessée (spanking), le bâillonnement (gagging), les gifles, le tirage de cheveux et l’étouffement (choking).
Une autre de ces études a trouvé des résultats semblables, en plus d’avoir trouvé que près de 50 % des scènes analysées contenaient de la violence verbale, surtout sous forme d’insultes et d’injures, et que les femmes y réagissaient surtout avec plaisir ou avec une expression neutre (Bridges et al., 2010).
Here’s the thing : si c’est voulu et consenti, eh bien… ce n’est pas une agression. D’ailleurs, I don’t know about you, mais plusieurs personnes sont allumées par ces types d’actes sexuels. Et, selon la recherche, il ne s’agit pas d’une minorité.
Selon une grande enquête nord-américaine, les fantasmes sexuels impliquant une forme de rough sex (par exemple, du ligotage, de la domination/soumission, de la discipline, du sadisme/masochisme, et des fantasmes de « viol ») sont les deuxièmes plus communs (Lehmiller, 2018). En fait, dans cette étude, plus d’une personne sur quatre a indiqué que c’était leur fantasme préféré, et la majorité des gens ont eu ce type de fantasme au moins une fois; seulement 4 % des hommes et 7 % des femmes n’ont jamais eu ce fantasme.
« J’aime les jeux de pouvoir et de domination, mais je ne suis jamais certaine si le consentement et les limites des acteur·trice·s ont bien été respectés dans la porno que je consomme et ça me rend mal à l’aise. Je ne voudrais pas encourager l’exploitation sexuelle sans le savoir. »
Cela dit, il est important de retenir que ce ne sont pas toutes les personnes qui souhaitent réaliser leurs fantasmes sexuels! Plusieurs préfèrent de loin les conserver dans leur imagination ou dans la porno qu’elles consomment (parce qu’on va se le dire, la porno, c’est des fantasmes sexuels en format littéraire, audio, visuel ou audiovisuel), là où ils peuvent être savourés dans l’intimité et en toute sécurité.
Et aussi, n’oublions pas que nos fantasmes ne nous définissent pas. Par exemple, aimer recevoir une bonne tape sur les fesses pendant le sexe ne veut pas dire qu’on aime être soumis·e ou être tapé·e dans notre vie en général. La sexualité et l’érotisme sont plus complexes que cela! Et aussi, context is everything.
Bon. Revenons à la question initiale : est-ce que consommer de la porno mène les gens à développer des attitudes négatives envers les femmes? Dans un large échantillon représentatif des États-Unis (plus de 25 000 participant·e·s!), les personnes consommant de la porno avaient des attitudes plus égalitaires que les personnes non consommatrices (Kohut et al., 2016). De plus, selon la même étude, les personnes consommatrices étaient aussi nombreuses que les personnes non consommatrices à s’identifier comme féministes.
D’accord, mais consommer de la porno mène-t-il les hommes hétéros à agresser les femmes?
Les recensions des écrits scientifiques s’étant penchés sur cette question n’ont soit trouvé aucun lien (Ferguson & Hartley, 2009), ou ont trouvé que la consommation de porno contribue à la violence sexuelle, mais seulement chez une minorité d’individus prédisposés à l’agression sexuelle (Fisher et al., 2013; Kingston et al., 2009).
Plus récemment, une étude a montré que les hommes ayant des attitudes hostiles à l’égard des femmes sont plus susceptibles d’avoir recours à la coercition et à la violence sexuelle quand ils consomment souvent, plutôt que peu fréquemment de la porno (Baer et al., 2015). Selon la même étude, ces hommes sont également plus susceptibles de consommer de la porno violente que de la porno non violente (et là, on parle vraiment de violence et non pas de rough sex ou de BDSM consensuel).
Donc, il semblerait que le problème ne soit pas la porno en tant que telle, mais bien le sexisme et la misogynie.