Je suis venue te dire que je ne suis pas venue : l’écart orgasmique expliqué

Bien que l’orgasme ne soit pas nécessairement le but principal des relations sexuelles, on ne va pas se le cacher, c’est vraiment le fun de l’atteindre.

Au début de l’année 2020, le Club Sexu a publié un sondage sur les réseaux sociaux, auquel 2 530 abonné·e·s ont participé. Selon les données du sondage, 88 % des hommes ont atteint l’orgasme lors des dernières relations sexuelles, contre seulement 53 % des femmes et 56 % des personnes 🌈! Si on trouve déjà que ces écarts entre les genres sont énormes, ils sont encore plus grands lorsqu’on tient compte du statut relationnel et de l’orientation sexuelle des gens (présentés dans le tableau ci-dessous).

En général, l’analyse de nos données montre que les personnes qui sont en relation rapportent plus d’orgasmes que les personnes célibataires. Ceci est tout à fait normal étant donné que plus on connaît une personne sexuellement, plus on sait comment s’y prendre et comment avoir du fun sous la couette.

Lors de ta dernière relation sexuelle, as-tu personnellement atteint l’orgasme?

CélibatairesHommesFemmes 🌈
Hétéro85 %43 %33 %
Bisexuel·le/Pansexuel·le67 %51 %48 %
Gai/Lesbienne79 %39 %50 %
En relationHommesFemmes 🌈
Hétéro94 %60 %60 %
Bisexuel·le/Pansexuel·le91 %61 %82 %
Gai/Lesbienne91 %82 %67 %

Nos résultats montrent également que, du moins chez les femmes et les personnes 🌈, être hétéro est moins gagnant en termes d’orgasmes. En effet, les personnes qui atteignent le plus souvent l’orgasme sont les hommes hétéros, et celles qui l’atteignent le moins souvent, les femmes et les personnes 🌈 hétéros. Cette tendance a également été documentée dans d’autres enquêtes (Frederick et al., 2018; Willis et al., 2018).

So what’s going on, here

Pourquoi y a-t-il des disparités orgasmiques si importantes? 

Une croyance populaire évoquée pour expliquer l’immense écart entre les femmes et les hommes hétéros est que les orgasmes des femmes sont généralement complexes et difficiles à atteindre, tandis que les hommes l’atteignent « naturellement » facilement.

Pourtant, comme le démontrent nos données ainsi que celles d’autres enquêtes (Frederick et al., 2018; Willis et al., 2018), les femmes lesbiennes en relation atteignent significativement plus souvent l’orgasme que les femmes hétérosexuelles et bisexuelles en relation. Ces résultats suggèrent que la « difficulté » de l’orgasme féminin est davantage rattachée au contexte qu’au fait d’être femme. Dit autrement, c’est le fait de jouer aux fesses avec un homme qui fait en sorte que l’orgasme est moins au rendez-vous chez les femmes. Strike one

Mais attends une minute! Les femmes lesbiennes n’atteignent-elles pas plus d’orgasmes que les femmes hétéros simplement parce qu’une femme est plus en mesure de bien comprendre le corps d’une autre femme et donc est plus susceptible d’être douée qu’un homme à lui donner du plaisir et des orgasmes?

Cette croyance populaire est logique, mais si elle était fondée, on verrait la même tendance chez les hommes, avec les hommes hétéros rapportant moins d’orgasmes que les hommes gais. Cependant, les données montrent exactement le contraire. Strike two

Bon, d’accord. Alors, qu’y a-t-il de particulier aux dynamiques hétéros qui gêne l’orgasme des femmes? Selon une étude menée par Malachi Willis et ses collègues (2018), l’écart d’orgasmes entre les femmes et les hommes hétéros serait dû, en partie, aux pratiques sexuelles moins variées et plus centrées sur la stimulation du pénis, notamment à travers la pénétration vaginale.

Il est important de noter que la pénétration vaginale n’est pas problématique en soi. Après tout, elle procure du plaisir chez la plupart des gens (mais pas tous), peu importe le genre. En revanche, ce qui est problématique est le fait qu’il s’agit de la pratique sexuelle la plus fréquente chez les personnes hétérosexuelles (Herbenick et al., 2010a) et ce, peu importe son (in)efficacité à produire l’orgasme féminin.

En effet, la pénétration vaginale à elle seule s’avère incompatible avec l’atteinte de l’orgasme chez les femmes dans la plupart des cas, étant donné qu’elle stimule le clitoris, le siège du plaisir sexuel chez ces dernières, de manière indirecte, voire pas du tout.

Ce qu’on voit au petit et au grand écran – des femmes atteignant facilement l’orgasme à travers la pénétration, et ce, en même temps que leur partenaire, comme par magie – est largement tiré par les cheveux. Plusieurs études soutiennent la rareté relative de l’orgasme « vaginal ». Par exemple, dans une analyse de 33 études réalisées sur une période de 80 ans, Elisabeth Lloyd (2006) a trouvé que seulement 25 % des femmes atteignent toujours ou presque toujours l’orgasme  par pénétration vaginale seulement. Selon une autre étude, seulement 47% des femmes ont déjà atteint l’orgasme par pénétration vaginale au cours de leur vie (Fugl-Meyer et al., 2006). 

Selon Lili Boisvert (2017), journaliste et chroniqueuse québécoise, la disparité d’orgasmes entre les femmes et les hommes serait le résultat de trois choses mettant en valeur le vagin et la jouissance vaginale

  1. Le sexisme ordinaire. Puisque la plupart des hommes hétérosexuels atteignent l’orgasme à l’aide de la stimulation procurée à leur pénis lors des mouvements de va-et-vient dans le vagin, les femmes hétérosexuelles « devraient » alors également y retrouver le plaisir sexuel et des orgasmes. 
  2. L’enseignement prude de la sexualité reproductive. Au-delà des informations sur les infections transmissibles sexuellement et la grossesse, l’éducation à la sexualité dans notre société est habituellement limitée aux mécanismes impliqués dans la procréation. En termes de pratiques sexuelles, cela veut dire que ce qui est enseigné se limite généralement à la pénétration vaginale se terminant par une éjaculation dans le vagin. Le clitoris et le plaisir qu’il peut procurer à sa (ou son) propriétaire – incluant l’orgasme – deviennent alors secondaires, voire négligés dans l’éducation à la sexualité.
  3. Le romantisme naïf. L’emboîtement « naturel » du pénis et du vagin serait la « preuve » de l’union « parfaite » entre les femmes et les hommes et témoignerait de la complémentarité « inhérente » des sexes. Ouf. Plus il y a de guillemets, plus il faut se méfier de la légitimité de ce qui est dit.

Que faire avec toutes ces infos?

Les données ne peignent peut-être pas le meilleur portrait de l’hétérosexualité, mais la bonne nouvelle est que nous avons tou·te·s le pouvoir de la façonner à notre goût et de changer le jeu. Voici quelques points à prendre en note pour changer le discours sur le plaisir sexuel des personnes dotées d’un clitoris, améliorer la qualité des contacts sexuels hétéros et augmenter le plaisir sexuel de tou·te·s :

  1. D’abord et avant tout, si tu es propriétaire d’un vagin et que tu ne peux pas jouir par pénétration vaginale sans aucune stimulation clitoridienne, sache que tu es complètement normal·e. Si tu fréquentes une personne qui a un vagin et qui n’arrive que rarement ou jamais à atteindre l’orgasme à travers la pénétration, sache qu’elle est tout à fait normale;
  2. Il faut se rendre à l’évidence et accepter que la stimulation de la tête du clitoris

Pour résumer, l’écart orgasmique entre les hommes et les femmes hétéros serait surtout dû à un manque de variété dans le répertoire sexuel, à la négligence du clitoris pendant les rapports sexuels (le pauvre!) et à un manque de communication sexuelle, et non parce que les femmes seraient « naturellement » moins sexuelles ou sexuellement plus « compliquées » que les hommes.

N’oublions pas qu’il existe plusieurs façons d’expérimenter le plaisir sexuel et que la pénétration vaginale avec un pénis n’en est qu’une parmi plusieurs! Donner autant d’amour au clitoris qu’au pénis, diversifier les activités sexuelles et partager ouvertement ce qui nous fait plaisir avec notre partenaire contribuent à réduire l’écart orgasmique. 

Cela dit, n’oublie pas que c’est correct de ne pas jouir pendant le sexe! Les orgasmes sont plutôt comme du glaçage sur un gâteau ou une cerise sur un sundae. T’sais, le sundae est bon même sans la cerise. De la même façon, c’est le fun d’atteindre l’orgasme, mais ce n’est pas le seul but, ni même le but principal des relations sexuelles (Meston et Buss, 2007). Le sexe peut être très satisfaisant sans orgasme, tant qu’on y retrouve d’autres éléments qui nous tiennent à cœur comme l’intimité, l’exploration, l’empathie, la passion, etc.

Bref, l’orgasme ne mérite pas tout le spotlight!  

  • Boisvert, L. (2017). Le principe du cumshot : Le désir des femmes sous l’emprise des clichés sexuels. VLB éditeurs.

    Frederick, D. A., John, H. K. S., Garcia, J. R. et Lloyd, E. A. (2018). Differences in orgasm frequency among gay, lesbian, bisexual, and heterosexual men and women in a US national sample. Archives of Sexual Behavior, 47(1), 273-288. https://doi.org/10.1007/s10508-017-0939-z 

    Fugl-Meyer, K. S., Öberg, K., Lundberg, P. O., Lewin, B. et Fugl-Meyer, A. (2006). On orgasm, sexual techniques, and erotic perceptions in 18- to 74-year-old Swedish women. The Journal of Sexual Medicine, 3(1), 56-68. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2005.00170.x

    Herbenick, D., Reece, M., Schick, V., Sanders, S. A., Dodge, B. et Fortenberry, J. D. (2010a). Sexual behavior in the United States: Results from a national probability sample of men and women ages 14–94. The Journal of Sexual Medicine, 7(s5), 255-265. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2010.02012.x 

    Herbenick, D., Reece, M., Schick, V., Sanders, S. A., Dodge, B. et Fortenberry, J. D. (2010b). An event-level analysis of the sexual characteristics and composition among adults ages 18 to 59: Results from a national probability sample in the United States. Journal of Sexual Medicine, 7(s5), 346-361. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2010.02020.x 

    Lloyd, E. A. (2006). The case of the female orgasm: Bias in the science of evolution. Harvard University Press.

    Meston, C. M. et Buss, D. M. (2007). Why humans have sex. Archives of Sexual Behavior, 36, 477-507. https://doi.org/10.1007/s10508-007-9175-2 

    Willis, M., Jozkowski, K. N., Lo, W. J., et Sanders, S. A. (2018). Are women’s orgasms hindered by phallocentric imperatives?. Archives of Sexual Behavior, 47(6), 1565-1576. https://doi.org/10.1007/s10508-018-1149-z