« Je n’aime pas que mon ou ma partenaire se masturbe » : sexualité en solo et relation amoureuse

« Je n’aime pas que mon chum se masturbe, ça me fait de la peine », me confie d’emblée Audrey*, une vingtenaire qui se définit comme cisgenre et bisexuelle.

« Ça fait presque un an qu’on est ensemble, poursuit-elle. […] Un jour, on parlait de sexe en général et il a dit que ça lui arrivait de se masturber en regardant de la porn. Pas chaque jour, mais certainement toutes les semaines. Je suis devenue super inconfortable, j’avais du mal à nommer mes émotions, puis j’ai fini par admettre que je me sentais “trahie”. Pourquoi il a “besoin” de ça, t’sais? » 

« Mon chum s’est montré super à l’écoute; il a dit qu’il m’aimait et qu’il me désirait, mais qu’il aimait se masturber aussi. Que pour lui, ça n’avait rien à voir. J’ai de la misère à comprendre. »

La situation décrite par Audrey est loin d’être unique. En effet, de nombreuses personnes ressentent de l’inconfort, à divers degrés, à l’idée que leur partenaire ait une sexualité en solo. 

On en a discuté avec Sara Mathieu-C., membre du CA du Club Sexu, chercheuse en santé sexuelle et conceptrice de Club Solo, une application web qui permet de cartographier spatiotemporellement les séances de masturbation sur une carte interactive.

C’est quoi, la sexualité en solo?

« Quand on parle de sexualité en solo, on fait référence à un moment que l’on prend avec soi-même, où il y a une autostimulation plaisante des zones érogènes de son corps et/ou de son imaginaire érotique, avec ou sans orgasme, avec une intention sexuelle », explique Sara Mathieu-C.

« Ça se fait dans l’intimité, seul·e, avec ou sans porno, avec ou sans jouet. Les actions posées varient d’une personne à l’autre, mais pour une majorité de gens, ça implique une stimulation des organes génitaux. »

Pour comprendre en quoi la sexualité en solo peut être difficilement vécue par un·e partenaire, Sara propose d’abord de poser une loupe sur les rôles de l’auto-érotisme.

« La masturbation répond à une constellation de besoins beaucoup plus vaste que le plaisir », rappelle celle qui nous a longuement parlé des fonctions de la « branlette » dans le deuxième épisode de notre balado À quoi tu jouis?. « Ça peut servir à se détendre, à relâcher des tensions, à favoriser le sommeil, à explorer des sensations, à nourrir son imaginaire érotique et à mieux connaître son corps. »

Es-tu plus complémentaire ou compensatoire?

Au-delà des fonctions et des rôles que joue la sexualité en solo, Sara nous propose de jeter un coup d’œil à la place qu’on lui accorde dans notre vie, de manière générale.

« Certaines personnes voient la masturbation comme complémentaire à leurs autres activités sexuelles, c’est-à-dire comme une activité érotique à part entière, dans le répertoire des possibles, fait valoir la chercheuse. D’autres personnes vont plutôt voir cette pratique comme compensatoire, c’est-à-dire pour combler un manque ou contrebalancer une insatisfaction. »

Sara illustre son propos en expliquant que, dans les cas des personnes qui s’inscrivent dans un schème compensatoire, on observe inévitablement une transformation du rapport au plaisir solo lorsque l’on a accès à un·e partenaire. En d’autres termes, quand on est en relation, la masturbation risque d’être reléguée au second plan, voire aux oubliettes. 

En contrepartie, si l’on se trouve dans une approche de type complémentaire, la masturbation continue de faire partie de notre éventail d’activités, puisque celle-ci n’est pas là pour combler un manque ni compenser une insatisfaction.  

« On observe même une augmentation de la fréquence masturbatoire chez certaines personnes quand elles sont en relation, raconte l’experte. C’est comme si leur sexual self était activé, donc la masturbation va venir se nourrir d’une excitation décuplée par leur sexualité partagée et vice versa. »

En revanche, dans certains cas, la masturbation peut constituer une stratégie pour compenser un écart de désir dans le couple.

Il est également à noter que notre rapport à notre sexualité en solo peut varier en fonction de nos partenaires. 

Tu te masturbes, moi non plus

« Au début de ma relation avec ma blonde, on a rapidement parlé de nos habitudes de masturbation, de nos jouets, de nos fantasmes et de nos keywords préf », explique Sofia, une trentenaire qui se définit comme cisgenre et lesbienne. 

« On n’habite pas ensemble et quand on est chacune chez nous, je trouve ça cool de savoir que ma blonde se touche, qu’elle prenne ce genre de moments pour elle, ajoute-t-elle. Et je fais la même chose. Je trouve important que cette vie érotique chacune de notre bord continue d’exister, même en étant en relation. Ah pis aussi… je trouve ça excitant de l’imaginer se faire jouir dans son lit! »

Pour Sara Mathieu-C., évoquer ouvertement ses habitudes auto-érotiques en début de relation est une avenue à considérer. Évidemment, ce n’est pas une obligation : on peut se garder un  jardin secret, et c’est aussi correct si on ne se masturbe pas. L’idée est d’ouvrir un dialogue dépourvu de jugement.

« Si, en début de relation, notre partenaire dit quelque chose comme “Ark la porno!” ou déprécie la masturbation, il y a de fortes chances que l’on se permette moins de s’adonner à des plaisirs solitaires ou que l’on ressente une forme de honte », précise Sara.

Par ailleurs, les études sur la satisfaction sexuelle chez les femmes montrent que celles qui ont une attitude positive face à la masturbation quand elles sont en relation éprouvent plus de plaisir quand elles ont des activités sexuelles avec leur·s partenaire·s. 

« Les attitudes plus ouvertes envers la sexualité et ses différentes expressions sont souvent le gage d’une plus haute satisfaction », fait valoir la chercheuse en santé sexuelle, qui valorise la communication.

« Le fait de discuter et le fait d’ouvrir un discours franc sur la masturbation, la consommation de pornographie et l’utilisation de jouets, ça aussi, c’est associé à une plus haute satisfaction. »

Sexu partagée et sexu solo : pas une compétition

Au fil des explications de Sara Mathieu-C., une question me taraude : et si notre partenaire consomme beaucoup de porno et se masturbe abondamment, et qu’il ou elle nous témoigne moins, voire plus du tout de désir?

« Dans un cas comme celui-là, la masturbation est interprétée comme le problème, explique la chercheuse. Lorsque ça fait longtemps qu’on n’a pas eu de rapport sexuel satisfaisant ou pas de rapport tout court, ça peut être très confrontant et même tabou de tomber sur l’historique de porno de notre partenaire. On perçoit alors la masturbation comme une menace, presque dans une dynamique de compétition ou de jalousie. »

Dans un scénario pareil, Sara préconise encore une fois la communication. « Pourquoi ne pas intégrer la masturbation pour raviver une flamme dans le couple et entamer des échanges sur le désir? », propose-t-elle.

Pour conclure, la chercheuse affirme qu’il n’est jamais trop tard pour ouvrir un dialogue sur les pratiques auto-érotiques de son ou sa partenaire. « On peut utiliser une scène dans un film ou dans une série pour essayer de jaser de ses propres pratiques et en apprendre plus sur les pratiques de l’autre. Parce que dialoguer, particulièrement quand ça va bien dans le couple, c’est toujours une bonne idée. »

*Prénom fictif

Si la lecture de cet article a titillé ta curiosité, il y a un épisode de notre balado À quoi tu jouis? consacré entièrement à la masturbation.