J’ai menti lors de mon rendez-vous de dépistage et je suis loin d’être la seule

Il y a près de 15 ans, j’ai mis les pieds pour la toute première fois dans une clinique de dépistage. Parce que les questions étaient pas mal plus intimidantes, intrusives et gênantes que ce à quoi je m’attendais, j’ai enfilé mensonge par-dessus mensonge. Suis-je la seule à l’avoir fait? Tara Zeagman, infirmière au Dispensaire, un centre de santé communautaire, et Katy Leclerc, infirmière à la Clinique (privée) Santé 360, affirment que non. 

« C’est normal de trouver ça stressant de raconter sa vie sexuelle à un·e inconnu·e un mardi matin alors que t’as les jambes écartées sous un gros néon dans une petite salle qui manque d’air », raconte Tara, qui explique que les personnes à l’aise avec le dépistage sont plutôt rares. 

On ne m’avait pas préparée à ce rendez-vous. J’y allais parce que ma petite maman d’amour tenait à ce que je me fasse dépister comme j’avais une vie sexuelle active depuis quelques années. L’infirmière, d’une cinquantaine d’années mon aînée, m’avait alors posé une trentaine de questions sur mes habitudes sexuelles et sur ma consommation de tabac et de drogues en supposant que j’étais à l’aise (erreur!). Je me suis littéralement sentie comme la personne qui, sur le banc des accusé·e·s, subit un interrogatoire. 

« C’est aussi tout à fait normal que ça ne te tente pas de dire à l’infirmière que le condom a pris le bord parce que t’as couché avec une personne que t’as rencontrée dans un party en état d’ébriété », ajoute-t-elle. 

Même si le but de notre échange n’a jamais été de me rassurer, cette entrée en matière m’a confortée dans mes mensonges. 

« Les personnes qui viennent se faire dépister ont souvent peur du jugement. Il est de notre devoir de les conforter. S’il y a plusieurs façons de rendre quelqu’un à l’aise, il est inévitable de rassurer les personnes qui se trouvent sur la table d’examen en leur expliquant qu’il n’y a aucun jugement et que malgré tout, leur gêne est légitime et commune », ajoute Katy. 

Le courage d’affronter le jugement

Aujourd’hui, je n’ai aucune honte à parler de mes habitudes sexuelles avec le personnel médical, mais je sais pertinemment que ce n’est pas le cas de tout le monde. Je n’ai qu’à revenir un peu en arrière. À 16 ans, quand tu viens d’une famille assez pudique et qu’une inconnue de 56 ans te demande combien de partenaires tu as eu·e·s dans la dernière année ou quelles drogues tu prends dans tes soirées entre ami·e·s tandis que ta propre mère l’ignore, c’est gênant. J’avais tellement peur que ces informations sortent du cabinet, même si l’infirmière m’avait assuré que c’était confidentiel, que j’ai menti. À plus d’une reprise. 

« Le [langage] non verbal des patient·e·s parle de lui-même et fait en sorte qu’on est parfaitement conscient·e·s quand des personnes nous répondent par des mensonges. Quand ça arrive, on prend le temps de rappeler à ces personnes qu’on est là pour les aider et non pour les juger », déclare Katy. 

Au-delà de ma propre expérience, j’imagine qu’il y a une multitude de situations complexes qui ne sont pas simples à expliquer à son ou sa médecin de famille, surtout lorsqu’il ou elle est issu·e d’une autre génération.

Où trouve-t-on le courage d’expliquer que, même si on s’identifie comme femme, on préfère un dépistage urinaire parce qu’on a un pénis entre les jambes? Comment explique-t-on qu’on participe à des soirées échangistes toutes les semaines depuis dix ans ou qu’on n’a tout simplement pas les moyens de se payer des condoms ou autres moyens de protection? Il n’existe pas une seule réponse à ces questions… ce qui explique que le mensonge s’impose souvent comme bouclier au jugement. 

Est-ce que tous les examens de dépistage ressemblent à un interrogatoire?

La réponse oscille entre le oui et le non, mais elle est heureusement pas mal plus proche du non qu’on le pense. Certaines cliniques ont d’ailleurs des approches qui s’éloignent de l’interrogatoire auquel on s’est possiblement heurté·e·s un jour. 

« Nous, c’est simple : on ne pose pas de questions parce qu’on sait qu’on va se faire mentir de toute façon. Au final, en ne se faisant pas poser de questions, les gens ont tendance à nous en dire plus sur leur vie sexuelle parce qu’ils contrôlent mieux l’information que si c’était nous qui leur la leur demandait », m’explique Tara en faisant référence à l’approche holistique du Dispensaire

D’autres cliniques de dépistage, comme Prelib, posent les questions en ligne, avant le rendez-vous, ce qui permet aux personnes d’être plus détendues une fois le jour J arrivé. La plupart du temps, il est même possible de sauter certaines des questions en cochant le « je préfère ne pas répondre à cette question », ce qui donne aux personnes mal à l’aise l’option de ne pas répondre.

Peut-on « préférer ne pas répondre à cette question » quand on est le bureau de l’infirmier·ère? 

Lorsque j’ai posé la question à Tara et à Katy, celles-ci m’ont indiqué qu’il était tout à fait possible d’indiquer notre malaise à répondre à certaines questions. Toutefois, il faut savoir que toutes ces questions ne sont pas posées au hasard. Elles permettent au personnel qui effectue le dépistage de déterminer de quel·s test·s a besoin le ou la patient·e. (Parce que non, tous les tests ne sont pas réalisés par défaut. Seules la chlamydia et la gonorrhée sont systématiquement testées.)

Donc, si on préfère ne pas répondre à certaines questions, il se pourrait que notre dépistage ne réponde pas à nos besoins. Par contre, il est toujours possible de demander, avant  son rendez-vous, d’avoir un dépistage complet ou un dépistage spécifique à certaines ITSS.

« Les patient·e·s ont toujours le choix de répondre ou non aux questions. Comme une mauvaise réponse ou même l’absence de réponse peut mener à un mauvais diagnostic et donc, à un mauvais traitement, on s’assure de transmettre le plus d’information possible à notre patientèle », explique Katy. 

Pour Tara, plus une personne est informée, plus celle-ci est en mesure de demander certaines particularités, comme un dépistage au niveau de l’anus ou de la gorge pour ne nommer que ceux-ci. 

« Les questions sont axées sur les comportements dits à risque, comme le fait d’avoir plusieurs partenaires ou le fait d’avoir des relations sexuelles non protégées, mais la réalité, c’est que le risque, c’est le virus. S’il n’y a pas de virus, il n’y a pas de risque et ce, peu importe les comportements qu’on peut avoir », ajoute Tara, convaincue que le personnel médical n’a pas à tout savoir. 

Qu’auriez-vous à dire aux personnes qui ont peur de se faire dépister?

Tara insiste sur le fait qu’il est important de se donner le droit de mettre ses limites pour affronter ce rendez-vous médical qui peut en effrayer plusieurs, moi la première. Une des façons de le faire est de ne pas hésiter à nommer ses inconforts pendant sa visite. 

« C’est stressant un dépistage. Et juste pour cela, n’hésite pas à demander à une personne de confiance de t’accompagner. T’es pas obligé·e de vivre cela seul·e », termine celle qui souligne l’importance de bien choisir sa clinique de dépistage et de ne pas hésiter à poser des questions avant l’examen. 

« Le dépistage, c’est pas obligé d’être froid et intimidant. Il suffit d’avoir une belle expérience pour être outillé·e·s pour faire face à d’autres dépistages », ajoute-t-elle.

Katy ajoute que le dépistage est un rite de passage (presque!) obligé pour une santé sexuelle épanouie et sécuritaire, mais comme Tara, elle fait tout pour rendre les patient·e·s confortables. 

Si malgré tous ces beaux conseils, tu te sens toujours obligé·e de mentir, sache qu’on est au moins deux à l’avoir fait et que ce ne serait pas grave d’un point de vue moral, mais un peu plus d’un point médical. Tu pourrais passer à côté d’un test et donc, d’un diagnostic. Si t’as vraiment pas envie de répondre à des questions, n’hésite pas à te diriger vers une clinique qui ne t’en posera pas ou à t’informer auprès du personnel médical sur les risques de ne pas donner de vraies réponses.

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