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Résumé
Les algorithmes mettent de l’avant les contenus les plus consultés… mais pas nécessairement les plus vérifiés. À l’ère où toute information et son contraire sont disponibles en ligne, comment distingue-t-on le vrai du faux?
Cet article est présenté en collaboration avec le projet Pouvoir Choisir, une recherche-action participative menée par Les 3 sex* et Oxfam-Québec sur les besoins des jeunes en matière d’éducation à la sexualité et de comportements sexuels.
En arrivant à l’école, tu rejoins ton groupe d’ami·e·s en pleine discussion. Charles explique avec aplomb que les hormones qu’on retrouve dans l’eau potable diminuent la testostérone et affectent la performance des sportifs. Yasmine rigole et trouve qu’il exagère, mais elle confirme qu’elle en a aussi entendu parler par son frère et dans un podcast sur le sport d’élite.
Pris·e de curiosité, tu fouilles dans ton cellulaire pour savoir si c’est vrai. Rapidement, tu trouves plusieurs créateur·trice·s de contenu qui confirment les propos de Charles. C’est quand même intéressant, cette information sur la sexualité : tu ne manqueras pas d’en jaser lors de ta prochaine sortie de vélo.
Spoiler alert : ce que rapporte Charles est plus un mythe qu’une réalité. On va y revenir pour comprendre pourquoi.
Dans l’ère actuelle où toute information et son contraire sont disponibles en ligne, exercer son esprit critique permet d’y voir plus clair.
Ça veut dire remettre en question, analyser, interpréter, évaluer et porter un jugement sur ce que l’on lit, entend, dit ou écrit (Hitchcock, 2024). On t’a sûrement déjà parlé de l’importance du jugement critique à l’école. Mais cela ne veut pas dire tout critiquer ou tout remettre en question sans arrêt.
Décortiquons la chose : d’abord, c’est quoi, un jugement? C’est évaluer la valeur de quelque chose; ici, une information. Et pour qu’il soit critique, le jugement doit reposer sur des faits, pas juste une opinion ou une intuition. Il doit se baser sur des critères comme la fiabilité, l’exactitude et le contexte de l’information.
Dans le cadre du projet Pouvoir Choisir, Les 3 sex* et Oxfam-Québec se sont affiliés afin de mener une recherche-action participative se penchant sur les besoins des jeunes en ce qui a trait à leur éducation à la sexualité, ainsi qu’à leur agir sexuel.
Un des constats de cette recherche : l’éducation à la sexualité est très variable d’une école à l’autre et rares sont les élèves qui trouvent réponse à leurs questions, aussi légitimes soient-elles! Sans trop de surprise, les jeunes se tournent très rapidement vers la source d’information par excellence : internet.
Don’t get us wrong, c’est génial d’avoir accès gratuitement à tout ce contenu en ligne, mais il y a beaucoup d’informations disponibles et la proportion d’informations de qualité et vérifiées est vraiment plus petite que la proportion d’informations erronées, biaisées ou trop peu nuancées.
Ça peut arriver à tout le monde de partager une fausse information sans le savoir. Parfois, ces « informations » sont si habilement présentées qu’on a l’impression que ça prendrait une méthode en 18 étapes, trois heures de lecture et un doctorat pour les vérifier. Pourquoi? Le contenu contient plusieurs éléments qui nous mettent en confiance. Par exemple :
En même temps, quand on a peu d’informations sur la sexualité, il est difficile d’avoir un bon jugement critique. C’est normal, on doit commencer quelque part. La bonne nouvelle, c’est que plus on s’informe et qu’on exerce notre jugement, plus cela devient facile à appliquer.
Revenons à Charles et son information du début. Il a peut-être pris son information sur un contenu comme celui-ci :
D’abord, on se questionne sur la personne qui a créé le contenu et ses compétences :
Dans notre exemple, la personne qui s’exprime n’est pas clairement identifiée. On ne sait pas si elle est qualifiée ou si elle a les connaissances nécessaires pour parler d’hormones et de santé sexuelle. Les personnes qui sont plus susceptibles d’être crédibles pour parler de sexualité peuvent être des sexologues, des organismes communautaires, des professionnel·le·s de la santé ou qui œuvrent en santé sexuelle, des organisations qui font de l’éducation à la sexualité, etc.
De plus, la personne nomme une statistique, ce qui paraît scientifique, mais sans nommer ses sources, ce qui nous empêche de vérifier les informations et de valider si ce qui est dit est vrai ou non.
C’est important de se demander quels sont les objectifs d’un contenu. Est-ce que l’intention est d’informer ou de faire parler, d’exprimer son opinion, de vendre quelque chose, de manipuler ou de faire réagir?
Dans l’extrait, l’objectif semble plus être de faire réagir que d’informer, puisque l’extrait commence en nous alertant que « le monde ne comprennent (sic) pas » et en tentant de nous choquer par rapport aux conséquences d’être exposé·e à l’estrogène.
Si le but était réellement d’informer, des informations nuancées et soutenues par la science seraient présentées.
D’ailleurs, plusieurs contenus liés à la sexualité présentent des expériences personnelles, des opinions ou des préférences. Ce n’est pas automatiquement à jeter à la poubelle, tant que l’information ne prétend pas être la seule vérité. Même que certains contenus gagnent en pertinence lorsqu’ils sont abordés par une personne qui est concernée par le propos.
Par exemple, si tu cherches de l’information sur l’asexualité, le vécu partagé par des personnes asexuelles est super pertinent pour mieux comprendre cette réalité. Mais attention : un témoignage ne peut pas représenter à lui seul la diversité des expériences.
Les algorithmes des réseaux sociaux sélectionnent les contenus que tu vois en fonction de tes interactions passées, de tes centres d’intérêt et des activités de ton réseau. Ils montrent en premier les contenus sur la sexualité les plus populaires ou engageants, donc les contenus qui font réagir, qui polarisent ou qui sont commandités. Par conséquent, les contenus qui sont mis de l’avant sont les plus consultés, mais pas les plus vérifiés et sont influencés par ce que les personnes de notre réseau regardent. Par exemple, si un·e créateur·trice de contenu apparaît souvent sans que tu le ou la suives, c’est probablement à cause des algorithmes.
Résultat? On se retrouve dans des chambres d’écho et ça nous donne l’impression que tout le monde est d’accord ou que ce qu’on voit est la vérité, puisque tout le monde en parle. On est aussi plus enclin·e·s à croire ce qui correspond à nos valeurs et ce qui est valorisé autour de nous. Cette tendance peut créer des biais cognitifs qui agissent comme des lunettes teintées sur notre vision de la sexualité et qui, parfois, amènent à prendre des raccourcis dans notre analyse critique.
Voici des exemples de biais qui peuvent avoir un impact sur notre jugement critique face aux informations en ligne :
Type de biais cognitif | Définition | Application sur l’extrait vidéo |
Biais de confirmation | Retenir uniquement les informations qui confirment notre idée de départ sans tenir compte des idées qui la contredisent | Ne pas remettre en question les informations sur les hormones dans l’eau parce qu’on croit déjà que les hommes ont de moins en moins de testostérone ou sont de moins en moins virils |
Biais d’attribution | Tirer des conclusions hâtives à partir d’informations partielles ou sans contexte | Se limiter à la vidéo pour s’informer sur les taux d’estrogène dans l’eau potable au Québec et les effets de ces quantités d’hormones sur la testostérone |
Biais de conformisme | Agir et penser comme les autres | Ne pas oser remettre en question les informations de la vidéo parce qu’elle a été partagée dans notre conversation de groupe |
On a tou·te·s des biais, et c’est normal.
Dig deeper! Encore une fois, rappelons-nous que les algorithmes mettent de l’avant les contenus les plus consultés… mais pas nécessairement les plus vérifiés. Et les contenus proposent souvent des résumés… parfois trop résumés. On peut aller plus loin que les premières pages de notre recherche Google ou essayer de trouver des contenus qui ne sortent pas forcément dans notre fil d’actualité pour nous faire une meilleure tête. Les sites contenant des informations vérifiées comme les sites d’organismes, du gouvernement ou encore d’expert·e·s en sexologie et en santé sexuelle sont des bon points de départ.
C’est toujours une bonne idée d’en parler avec ses ami·e·s, sa famille ou ses collègues.
Échanger à plusieurs sur un contenu permet d’avoir un autre regard, d’émettre des doutes et de vérifier l’information ensemble.
Finalement, en utilisant notre esprit critique, on se rend compte que certains contenus, comme la vidéo d’exemple, manquent de green flags pour qu’on leur fasse confiance. C’est important de remettre en question l’information pour se faire sa propre opinion. Critiquer est donc bénéfique, mais il faut éviter de tomber constamment dans la théorie du complot. On veut trouver le sweet spot entre tout croire ce qu’on voit sans réfléchir et tout remettre en question sans ne jamais rien croire.
La pensée critique, c’est un peu comme un muscle : plus on l’exerce, plus l’effort est facile. Mais pour bien l’entraîner, il faut l’utiliser et aussi, le laisser se reposer.
Halpern, D. F. (1999). Teaching for critical thinking: Helping college students develop the skills and dispositions of a critical thinker. New directions for teaching and learning, 1999(80), 69-74.
Hitchcock, D. (2024). Critical Thinking. Dans Edward N. Zalta et Uri Nodelman (dir.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy. https://plato.stanford.edu/archives/sum2024/entries/critical-thinking/
Machete, P., & Turpin, M. (2020). The use of critical thinking to identify fake news: A systematic literature review. In Responsible Design, Implementation and Use of Information and Communication Technology: 19th IFIP WG 6.11 Conference on e-Business, e-Services, and e-Society, I3E 2020, Skukuza, South Africa, April 6–8, 2020, Proceedings, Part II 19 (pp. 235-246). Springer International Publishing.
Melançon, A. (2017). Comment conserver son esprit critique sur le Web?. L’éveilleur, veille en enseignement supérieur de l’université de Sherbrooke. https://leveilleur.espaceweb.usherbrooke.ca/comment-conserver-son-esprit-critique-sur-le-web/