Virginie B plus crue que jamais dans son nouveau single SEXUS : réflexion sur la sexualité de la femme en musique

« Tout ce dont j’ai besoin, entre ses jambes, envie de passer le plus clair de mon temps dans ta chambre, et j’envie, et j’envie toutes celles qui t’ont déjà goûté… »

Quelqu’un·e d’autre a chaud ou c’est juste moi? Ce n’est qu’un extrait des voluptueuses paroles du nouveau single de Virginie B (feat. Calamine), intitulé SEXUS. Avec un tel titre, qui de mieux que le Club Sexu pour en discuter?

Rencontre entre Virginie B et Calamine

Virginie B, autrice-compositrice-interprète native de Sherbrooke, nous a jasé de son cheminement artistique, de son expérience personnelle à parler de sexe sur la scène musicale québécoise et, bien évidemment, de son nouveau single, SEXUS.

À la fois empreinte d’une énergie sensuelle et apaisante, cette chanson est l’aboutissement d’une exploration de thèmes touchant l’amour, la sexualité et les attentes vis-à-vis de soi-même et des autres. C’est une démarche introspective, psychologique, explique Virginie. Les paroles, évoquant ses désirs et une sexualité purement positive et sans shame, sont des bonbons pour nos oreilles. 

Photo par Louane Williams (@bylouanew)

Sans hésitation, Virginie affirme se considérer comme une artiste féministe. Si elle ne se définit toutefois pas comme revendicatrice dans ses paroles, elle reconnaît néanmoins que, dans la société dans laquelle on vit, le simple fait de chanter comme elle le fait, en tant que femme, est en soi un acte politique : « Mon discours n’est pas nécessairement militant à première vue », dit-elle, avant d’ajouter que c’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’ont encouragée à vouloir collaborer avec Calamine, qui, selon elle, « démocratise un discours super ouvert sur le désir ». 

Calamine, aka Julie Gagnon, aka la Révélation Radio-Canada 2021-2022, deale aussi avec un bel équilibre entre discours politique et expériences personnelles dans ses chansons. Récemment interviewée au balado Les Impostures, elle l’explique avec justesse : « Pour moi, la musique, ce n’est pas juste un pamphlet politique : je veux que ce soit un reflet de l’existence. On peut militer, mais on existe aussi, on a un quotidien, on a un rapport avec les autres, une vie intérieure, des réflexions existentielles qui ne sont pas de l’ordre de la grande militance. »

Petit cours de censure 101

« C’est là que l’explicite entre en jeu. Tu peux parler de relations, mais est-ce que tu peux t’approprier des thèmes aussi directs que l’orgasme, la jouissance? »

SEXUS est cru, lascif et parfaitement explicite; comme on aime que notre musique le soit. Ce n’est toutefois pas une opinion communément partagée sur la scène musicale québécoise, en particulier à la radio. En effet, pour Virginie, il était clair dès le début que sa chanson ne pourrait pas y être diffusée et le serait plutôt par l’entremise d’une plateforme numérique telle que celle du Club. 

La radio québécoise (et spécialement la francophone) n’y va souvent pas de main morte avec la censure. L’idée ici n’est pas de critiquer ce média, mais plutôt de nous questionner sur le pourquoi. Mettons une chose au clair : parler de sexe et de plaisir explicitement en chansons (ou juste en général, en fait), en tant que femme ou personne de la diversité de genre… ça peut être rough, pour ne dire que ça!

Alors, comment ça marche, la censure à la radio québ? Ce qu’on décide de censurer demeure, la plupart du temps, subjectif. Bien que la radio soit un média régi par des lois et un code de déontologie, les diffuseurs possèdent tout de même une généreuse marge de manœuvre quant au contenu diffusé.

Les sacres et les propos dits vulgaires seront normalement les premiers à être rayés d’une chanson, et encore; un sacre anglophone pourra mieux passer à la radio franco, puisque selon l’opinion des diffuseurs, il ne sera pas compris par tou·te·s. Au final, ce sont les responsables des radios qui jugent de ce qui sera acceptable (ou pas) aux yeux du public. 

Et le sexe, alors? 

Couverture du monoplage. Photo par Louane Williams, artwork par Constance Massicotte.

La censure n’est pas un phénomène récent dans la société québécoise; elle prend plutôt sa source dans notre histoire (très) religieuse. Malgré quelques cas ici et là avant le 17e siècle, c’est vers les années 1840 que l’Église commence réellement à user de son pouvoir afin de censurer des journaux et d’autres écrits allant à l’encontre de ses lois morales (Hébert, 2001). Les arts ne sont pas épargnés; de nombreux thèmes seront sujets à censure, dont celui de la sexualité, et particulièrement celle des femmes. 

Jusqu’au milieu du 20e siècle, côté sexu, les femmes se résument à quelques mots : passives, frigides et n’ayant du sexe que pour faire des enfants (Perreault, 2004). Les notions d’orgasme et de plaisir chez les femmes sont alors inexistantes, aussi bien dans le domaine de la religion que dans celui de la science. 

Est-ce qu’on est actuellement témoins, à travers la censure et la honte associées à la sexualité des femmes, de l’influence du passé catholique et moralisateur du Québec?

Un double standard aussi tenace qu’un ver d’oreille

Même s’il semble qu’on parle plus de sexe et de plaisir féminin en chanson hors du Québec, ces sujets demeurent controversés. Pensons seulement à des artistes plus mainstream comme Missy Elliott, Lil Kim, Cardi B (je parle de WAP, of course), Aya Nakamura, Sexy Sushi (très bon exemple donné par Virginie B), qui font tou·te·s mention d’orgasme et de jouissance féminine de manière très crue; attention, panique autour du globe! A-t-on ces mêmes réactions lorsqu’on entend des propos aussi sexuels de la part des hommes, qui chantent et rappent sur leur plaisir à eux et sur celui qu’ils donnent (supposément) aux femmes? 

Ce double standard est présent sur la scène artistique du Québec, et pas seulement au niveau de l’acceptabilité des propos. Même ici, il existe encore et toujours une inégalité de salaire entre les genres (Institut de la statistique du Québec, 2014), et les arts n’y échappent pas : des données issues de recherches canadiennes et québécoises ont démontré que les artistes féminines franco étaient moins bien rémunéré·e·s que leurs homologues hommes (Robineau, A. 2013). Grosse surprise. 

Côté visibilité, dans la dernière année, le mouvement Musique bleue a notamment affiché une lettre ouverte dénonçant le manque de représentation des femmes et des personnes de la diversité de genre sur les ondes des radios du Québec. Une récolte de statistiques en 2020-2021 a d’ailleurs prouvé que seulement 2 à 30 % des artistes que l’on entend aux radios populaires québ sont des personnes autres que des hommes (Musique bleue, 2021)! 

Virginie B a d’ailleurs accepté le défi de produire une playlist Spotify sur notre compte Club Sexu contenant uniquement des artistes féminines ET franco-québécoises ET explicites. Check it out!

Il est également impossible d’ignorer les attentes très élevées par rapport à l’apparence des femmes (dans l’industrie de la musique, oui, mais le même concept s’applique partout). Les standards de beauté entrent alors en jeu, que l’on parle de maquillage, d’habillement, d’âge ou de stéréotypes. C’est toujours too much ou jamais assez.

Virginie amène l’exemple de Marjo, icône de rock au Québec, qui a choqué plus d’une fois avec ses looks jugés provocants, mais on peut aussi penser à Safia Nolin (Safia, on t’aime), qui n’a pas eu une seconde de répit depuis le début de sa carrière. 

I don’t need a man

 « J’aimerais péter des murs au niveau musical au Québec, démontrer une ouverture sur le discours, un no-shame à parler plus directement de plusieurs sujets. »

Ce n’est donc pas un secret que naviguer dans le monde artistique, en tant que femme et personne de la diversité de genre, peut représenter tout un défi; Virginie en est consciente. Pour elle, un des enjeux principaux reste que le réflexe va toujours être de se demander si l’artiste a été backé·e par un homme (en prod ou en gérance, par exemple), et jamais si elle a travaillé seule et/ou avec d’autres femmes. 

Son parcours et ses objectifs reflètent son désir de faire changer les choses. Le fait de devenir productrice était un but féministe pour l’autrice-compositrice-interprète : faire son propre cash, prendre ses propres décisions, c’est « être capable d’avoir la parole sur tout le processus créatif » d’après Virginie. Non seulement ça, mais c’est également avoir le knowledge sur comment l’industrie fonctionne, savoir où trouver ses contacts et, simplement, ne pas dépendre des autres (des hommes, en l’occurrence)! En bref, c’est ça, pour elle, la vraie indépendance sur la scène musicale.

SEXUS s’approprie des thèmes explicites autour de la sexu et du désir, ce que certaines artistes font déjà dans le rap québ, précise Virginie. Le genre musical de sa nouvelle chanson (et de son futur nouvel album!) n’est toutefois pas tout à fait établi au Québec, et en étonnera (agréablement) plus d’un·e! 

Tu peux désormais écouter SEXUS sur Spotify, et si le cœur t’en dit, tu peux également suivre Virginie B ainsi que Calamine sur leurs réseaux sociaux :

  • Conseil canadien des normes de la radiotélévision. (2002). Droits de la personne. Dans Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs. Récupéré de https://www.cbsc.ca/fr/codes/cab-code-of-ethics/

    Corbeil, C. & Marchand, I. (2006). Penser l’intervention féministe à l’aune de l’approche intersectionnelle : défis et enjeux. Nouvelles pratiques sociales, 19(1), 40–57. https://doi.org/10.7202/014784a

    Fassa, F., Roca I Escoda, M. & Lépinard, É. (2016). L’Intersectionnalité : pour une pensée contre-hégémonique. Dans L’Intersectionnalité : enjeux théoriques et politiques. (p. 8-11). France : La Dispute.

    Hébert, P. (2001). La censure religieuse au Québec : deux ou trois choses que je sais d’elle… Québec français, (120), 74–76.

    Musique Bleue. (2021). À propos de Musique Bleue. Dans Musique Bleue. Récupéré de https://www.musiquebleue.org/

    Perreault, I. (2004). Morale catholique et genre féminin : la sexualité dissertée dans les manuels de sexualité maritale au Québec, 1930-1960. Revue d’histoire de l’Amérique française, 57(4), 567–591. https://doi.org/10.7202/009642ar

    Robineau, A. (2013). Inégalités et minorisation des identités chez les femmes artistes dans la francophonie canadienne. Nouvelles perspectives en sciences sociales, 8(2), 145–174. https://doi.org/10.7202/1016474ar