À moins de vivre avec les vers de terre et les grillons sous les roches et les racines, il est pratiquement impossible de ne pas être au courant, ne serait-ce qu’en surface, des grands enjeux soulevés par Occupation Double. Suivie par plusieurs milliers de personnes, la téléréalité québécoise produite par Julie Snyder est une puissante machine culturelle pouvant amener en avant (ou en arrière) les représentations de genre.

Or, comme l’a dit oncle Ben à Peter Parker juste avant de pousser son dernier souffle : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités!

L’année dernière, la production avait permis à Khate Lessard, une femme trans, de se joindre à l’aventure. Éblouissante Khate, merci, merci, merci, pour tout, you shall be remembered.

Bien qu’elle ne soit restée que quelques jours dans les maisons d’Afrique du Sud, Khate est rapidement devenue la porte-parole de toute une communauté marginalisée. La candidate a pu profiter de ce podium immense pour passer son message à travers toutes les chaumières du Québec.

C’était comme un grand printemps de révolution sexuelle. Les Ginette et les Roland de ce monde discutaient de transidentité entre deux pubs de Bulles de nuit.

J’ai moi-même profité de cette rare représentation partagée avec mes grands-parents pour leur signifier la différence entre une orientation sexuelle et une identité de genre. Ma grand-mère était éblouie : Khate a vraiment l’air d’une femme. Oui, grand-maman, Khate est une femme, elle a toujours été une femme et, si tel est son désir, elle le sera pour le reste de sa vie. J’ai mon voyage.

L’heure était à l’éducation et à la discussion. On reconnaissait l’existence d’une réalité identitaire complexe, parce que quelque part dans les pixels de notre boîte à images, on nous proposait une représentation non pas monstrueuse, mais, au contraire, rieuse et lumineuse, intelligente et sensible, de ces personnes marginalisées.

Plus que jamais, on comprenait que les représentations offertes par les produits culturels mainstream ont une huge influence sur la perception des classes dominantes envers les communautés marginalisées.

C’était un beau pas vers l’avant. Comme disait Socrate : « Je le vois à la tivi, donc j’y réfléchis. »

Cette année, les représentations rafraîchissantes comme une gorgée de Guru au matcha se succèdent sur les flancs de la Montagne Coupée. Qu’il s’agisse du body positivism véhiculé par Julie Munger (yas kween!), du vernis de toutes les couleurs sur les ongles de Jay du Temple AKA Lady Pagaille, en passant par Renaud qui confie sans gêne avoir eu des expériences homosexuelles, et, évidemment, de la fameuse relation amoureuse entre Marjorie et Cintia, les nouveautés « queer » et sex positive ne cessent de nous éblouir. Toujours dans la course, ce premier couple odéen-lesbien ever pourrait d’ailleurs remporter cette édition.

Bon, soyons honnête, c’est peu probable, mais comme feu Martin Luther King, I have a dream. C’est le fun en tabarnouche, pour vrai bravo OD, mais sortons quand même notre esprit critique juste pour voirrrrrr.

La téléréalité, essentiellement (lire totalement) hétéronormative, a de quoi être fière de proposer des modèles sexuels de plus en plus variés et complexes. Rappelons à titre indicatif que le but du jeu OD est, pour un couple hétérosexuel (du moins c’est le cas depuis 14 saisons…) de remporter un condominium, deux chars, un abonnement à vie au bench press, une assurance maison-auto, des appareils électroniques et, en prime, une carrière d’influenceur et d’influenceuse. N.B. Le golden retriever et les deux enfants blonds ne sont pas inclus.

Bon, je sonne un peu, beaucoup, à la folie, comme un boomer rabat-joie, n’empêche, Occupation Double vend un rêve capitalo-hétéronormatif hyper cliché. Et, oui, si on m’offrait tout ça, eh ben je l’prendrais! J’suis pas plus folle qu’une autre.

Récemment, la série a été taxée de queerbaiting, littéralement traduisible par « de l’appât à queer ». Le queerbaiting est une stratégie marketing utilisée par les médias et les objets culturels, se manifestant par l’utilisation de représentations queer dénuées de profondeur, stéréotypées et unidimensionnelles, mises de l’avant dans le simple but d’appâter et de divertir un public, queer ou non. « Hey on check-tu OD, y’a des filles qui se frenchent c’t’année », kinda stuff. Le désenchantement se produit lorsqu’on réalise que la représentation qu’on nous offrait agit faussement, un peu comme le p’tit oasis rêvé dans le désert : ce n’était qu’un mirage.

Bon. Dans le cas de Marjorie et Cintia, cette dernière se définissant frontalement comme pansexuelle, ce qui devait uniquement être une frivolité de party s’est révélé être une relation amoureuse (du moins c’est ce qu’on nous montre) riche et sincère. Lorsqu’elle retrouve son amoureuse dans la maison des filles, Marjorie lui souligne qu’elle se sent bien, en sécurité : leur amour OD, mais leur amour quand même, leur offre un safe space pour faire fleurir leur intimité. Cintia rêvasse déjà à l’idée de présenter Marjorie à son fils.

Il y a réellement représentation d’une réalité queer. J’avance cela avec grande prudence, il s’agit tout de même d’une réalité trafiquée par le montage. Excellent montage par ailleurs, shoutout à la post-prod!

Occupation Double est un moteur de représentations, mais j’ai l’impression que celles proposées ont toujours quelques années de retard. À quand, par exemple, un couple d’hommes à OD?

Si Jamie et Patrick avouaient un grand amour mutuel demain matin, est-ce que le Québec réagirait aussi gaiement qu’il l’a fait pour Cintia et Marjorie? Le bon vieux fantasme lesbien n’a-t-il pas adouci ici les représailles? À quand une personne non binaire à OD? Genderfluid? Bispirituelle?

Ne nous bernons pas, Occupation Double ne sera probablement jamais ce grand jardin idyllique de la diversité sexuelle sous toutes ses formes : c’est une machine qui avance et se transforme lentement, une émission grand public par excellence qui tire sa popularité décennale d’un savant mélange de tradition et de réinvention.

Ceci étant dit mes snoreaux, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas se réjouir de toutes ces nouveautés. Je me demande cependant quelle place occuperont ces changements dans le futur.

Une pétition, lancée par Thomas Leblanc et Catherine Moreau du balado Réalité Conséquence, circule présentement afin de revendiquer une édition queer d’Occupation Double. Au moment de l’écriture de cet article, un peu plus de 1000 signatures ont été amassées. La pétition revendique « plus que des miettes de queerness » et souligne qu’un tel espace télévisuel permettrait de mettre de l’avant « les complexités du genre et du désir qui peuvent accompagner les rencontres homosexuelles et les histoires d’amour de personnes trans et non-binaires qui sont rarement vues à l’écran ».

Fair enough!

Je ne sais pas si une telle édition réussirait à rejoindre autant de gens qu’une édition « traditionnelle » et, justement, si elle pourrait devenir un moteur de changement pour la classe dominante. Est-ce qu’une édition queer de OD ne viendrait pas justement marginaliser davantage ces réalités? Évidemment je serais le premier au poste, mais je réfléchis, la gang.

Ce qui me plaisait dans la façon dont « les miettes de queerness » se manifestaient cette année et l’année dernière, c’est précisément dans leur capacité à cohabiter avec l’hétéronormativité. C’est comme si on nous disait que, à travers l’hétéronormativité, se faufilant comme des petites vignes entre les dalles du trottoir, la queerness peut surgir et vivre en harmonie, pas contre, mais côte à côte, avec une vision plus conservatrice des identités sexuelles et de genre.

Je me demande. Est-ce que la queerness doit toujours être pensée en opposition aux personnes hétéro-cis? Est-ce que ces deux bêtes apparemment ennemies peuvent cohabiter au sein de la même maison mixte, le regard tourné vers les forêts vastes de Saint-Jean de Matha?

Je me permet de laisser cette question sans réponse pour le moment. En attendant les coquelicots, soyons au poste ce soir pour savoir si le couple Marjorie/Cintia survivra à l’élimination. Je croise mes 21 doigts.

Comme dirait Lady Pagaille, bonsoir les ami·e·s !