Pinky Gloves : le produit menstruel dont personne n’avait besoin

La majorité du temps sur les réseaux sociaux, je suis dans ma petite bulle de féministe intersectionnelle de gauche qui croit en l’agentivité des personnes tout le temps, mais particulièrement quand il est question de sexualité. Des fois, assez rarement étonnamment, cette bulle-là s’éclate en morceaux. Les Pinky Gloves ont eu cet effet… dévastateur.

De l’idée à la controverse

L’histoire raconte que deux hommes cis, après avoir habité avec des femmes et réalisé que la poubelle de la salle de bain émettait des odeurs à certains moments du mois, sont parvenus, tels des chevaliers, à la solution dont personne n’avait besoin : des gants conçus spécialement pour les menstruations.

En vaillants guerriers contre l’imperfection de ce fluide corporel, ils se sont présentés à la version allemande de l’émission Dans l’œil du dragon. Un autre homme (évidemment) a trouvé cette idée géniale et a décidé de financer le projet et d’assister nos deux protagonistes dans leur épopée pour des menstruations plus propres. À noter que cet homme avait précédemment refusé d’investir dans un produit menstruel créé par des femmes, car c’était un produit trop niché.

Bref, les Pinky Gloves sont des gants – roses vifs, bien évidemment – qui serviraient à retirer un tampon et à l’emballer (je ne sais pas si ces hommes ont déjà entendu parler de papier de toilette, mais bon je m’écarte du sujet). Naturellement, il suffirait d’utiliser un autre gant rose pour mettre un autre tampon. À croire que ces deux-là n’ont jamais entendu parler d’eau et de savon. Je m’inquiète quand même beaucoup pour leur hygiène, mais encore une fois, je m’écarte. Qui plus est, ils ont réussi à affirmer que leur produit était respectueux de l’environnement alors qu’il s’agit d’un produit jetable et à usage unique. D’aucun dirait « I can’t even ».

Ce produit me fâche. Il me fâche pour plusieurs raisons : il est inutile, il est une source de gaspillage et il est une dépense supplémentaire pour des personnes qui sont généralement moins bien payées que les hommes cis, en plus de créer de la stigmatisation et d’accroître la honte et le dégoût face aux menstruations. C’est littéralement capitaliser sur un problème inexistant. Et pour comble d’insulte, le produit s’adresse aux femmes, sans prendre en compte toutes les autres personnes qui ont aussi des menstruations.

Au-delà de ma colère envers ce produit, il y a le fait que je le trouve insultant. Je le trouve condescendant et paternaliste. Que des hommes cis viennent dire à toutes les personnes qui ont des menstruations qu’on devrait s’assurer de ne pas heurter leur pauvre petit nez avec nos odeurs de vagin, ça me met en crisse. Nous n’avons pas besoin d’un produit qui nous dit que cette fonction biologique « dégoûte » alors que nous devons dealer avec les symptômes mensuellement. Nous n’avons pas besoin d’hommes cis qui viennent se positionner en sauveur. 

Heureusement, après une semaine de vives réactions d’internautes, le produit a été retiré du marché. Malgré ça, c’est important d’en parler parce que c’est une autre preuve de l’audace des hommes cis qui veulent « régler un problème » dont ils ne connaissent rien. Selon eux, l’objectif avec ce produit était de contribuer à la déstigmatisation des menstruations. Clairement, ils n’ont pas consulté les personnes concernées (ou, du moins, très peu) :

  1. Toute personne qui a un utérus a de l’expérience avec le tabou des menstruations. Nous sommes donc les meilleur·e·s placé·e·s pour mener le combat contre la honte et la stigmatisation des menstruations.
  2. Nous estimons qu’un produit fuschia n’est pas le plus discret.
  3. Nous savons que des gants en latex se vendent à une fraction du prix prévu pour les Pinky Gloves (ah, taxe rose quand tu nous tiens!).

Mais surtout, nous savons que se cacher n’est pas une solution à la honte et à la stigmatisation : il faut parler des menstruations. Il faut aborder le sujet dans les cours d’éducation à la sexualité. Et il faut le faire en présence de toute la classe. C’est important que l’ensemble des élèves comprennent que ce n’est pas une réalité réservée aux « filles ».

Comment se fait-il qu’une amie m’ait déjà confié le truc ultime pour entrer des produits illicites dans un évènement et que celui-ci fût de mettre des serviettes sanitaires dans sa sacoche, idéalement au-dessus du bordel? Comment se fait-il que des hommes adultes ne voudront pas la fouiller? Est-ce qu’ils pensent qu’on se promène avec des tampons et des serviettes souillés dans notre sacoche? 

Des solutions qui viennent des personnes concernées

Il nous faut des exemples positifs de personnes qui parlent de menstruation sans tabou comme on parle de ce qu’on a mangé pour déjeuner. Pensons à la coureuse de marathon qui a décidé de ne pas porter de tampon pour son propre confort, mais qui est devenue par le fait même un symbole de déstigmatisation des menstruations. 

Nous avons besoin d’initiatives pour permettre à toutes les personnes qui ont besoin de produits menstruels d’y avoir accès sans frais. C’est d’ailleurs ce que fait l’organisme à but non lucratif Monthly Dignity, un OBNL fondé en 2017 pour combattre la précarité menstruelle à Montréal. Depuis sa fondation, l’équipe entièrement bénévole de Monthly Dignity a coordonné le don à ses organismes et écoles partenaires à Montréal de plus de 190 000 (!!!) produits menstruels.

La précarité menstruelle, c’est l’incapacité qu’ont des personnes à se procurer les produits nécessaires pour vivre leurs menstruations dans l’hygiène et la dignité. Parce que oui, pour un tiers des personnes sous l’âge de 25 ans au Canada qui ont leurs règles, l’achat d’une boîte de tampons est une dépense qui vient directement mettre en péril le budget mensuel. Pour les personnes vulnérables et marginalisées, les menstruations ne sont pas qu’un inconvénient, mais une réelle barrière à une pleine participation sociétale. Comment se présenter à l’école ou au travail lorsque qu’on saigne et qu’on n’a pas ce qu’il faut?

La précarité menstruelle découle aussi du flagrant manque d’éducation quant au cycle menstruel et aux façons de le gérer. Il faut aussi juste être capable d’en parler entre nous, sans honte. Lorsque j’ai commencé à utiliser la coupe menstruelle, back en 2005, j’étais la fatigante qui était incapable de se la fermer sur les bienfaits de celle-ci. Ce que je n’avais pas réalisé à l’époque, c’est que ça m’a permis d’ouvrir la conversation avec plusieurs amies sur les menstruations. On s’est mises à parler de nos douleurs, de nos cycles menstruels (flot, fréquence, longueur, etc.) et des impacts sur notre vie. C’était des conversations très importantes et j’espère que ces amies les ont ensuite eu avec d’autres ami·e·s parce que c’est une des façons les plus efficaces de défaire le tabou, simplement en discuter, et pas juste entre nous.

Les menstruations sont une fonction biologique normale du corps humain que près de la moitié de la planète doit gérer. La honte et le dégoût n’ont pas leur place quand il est question de menstruations. Parlons-en! Montrons-les s’il le faut! On n’aurait pas dû avoir à attendre 2017 pour une publicité de produits menstruels avec du sang. Le liquide bleu qui, trop souvent, fait office de sang dans ces publicités a contribué à cette stigmatisation et il est temps que ça cesse.