Cet article est présenté par Prelib.

Au lendemain de ma première soirée avec Marco, je me suis réveillé avec un paquet de questions.

Et un paquet anormalement volumineux dans mes caleçons.

(Bon, c’est pas l’image idéale pour décrire une érection, mais soyez indulgents : c’est la première fois que j’essaye de transformer ma vie en récit érotique. D’ailleurs, j’pas convaincu du potentiel érotique du mot « caleçon »… À méditer.)

Tel un fervent disciple de Carrie Bradshaw, je suis resté dans mes draps santé pour méditer sur les événements de la veille. 

M’étais-je imaginé une tension sexuelle avec mon nouveau coloc?

Est-ce que le vin orange m’avait fait halluciner des avances?

Ça serait ben mon genre. Je suis passé maître dans l’art de me faire des accroires.

Ça remonte à mon enfance. Pour vous donner un exemple, j’ai longtemps cru que j’étais la quatrième Totally Spies. Ça allait loin mon affaire. Je demandais à mes profs la permission d’aller aux toilettes, puis je me déplaçais dans les corridors de l’école en rasant les murs, comme si j’étais investi d’une mission top secrète. 

Bref, je suis le CEO de la fabulation.

Tant qu’à y être : Marco existait-il vraiment? Ou était-il un mirage fabriqué par mon imagination fêlée par le confinement? 

Je contemplais sérieusement la question quand je l’ai entendu sortir de sa chambre et s’activer dans la cuisine. 

MARCO EST RÉEL. Béni soit le fruit!

Et dire que pas plus tard qu’hier, je me lamentais à l’idée d’être pogné avec un nouveau coloc. À c’t’heure, je me réjouissais de l’entendre exister. 

De ma chambre, je l’entendais manipuler la cafetière avec tendresse, la même tendresse qu’il avait hier soir quand nous étions emmêlés sur le tapis et qu’il caressait ma –.

Non. Pas le temps de faire un recap de la veille, j’allais bander à nouveau. 

Quand je suis sorti de ma chambre, Marco était attelé aux fourneaux.

Il avait troqué son chandail Humeur Design pour une camisole ajustée qui laissait voir toute la splendeur de son corps.

Comme a déjà dit ma mère en contemplant Channing Tatum dans le magazine Star inc. : « Christie de beau gabarit. »

J’ai décidé de briser la glace avec un proverbe. Il me semblait que c’était le genre de truc qui allumerait un homme de lettres comme Marco. De ma voix la plus mystérieuse et sensuelle, j’ai dit :

– Pluie du matin n’arrête pas le pèlerin…  

Pas de réaction. Marco est resté concentré sur ses œufs. C’est là que j’ai vu qu’il portait ses AirPods.

C’était aussi bien de même, dans le fond. L’Au-delà m’envoyait un signe : mon proverbe était cringe.  

C’est seulement quand j’ai activé le robinet que Marco s’est rendu compte de ma présence : 

– Hey, salut.

– Salut.

On a échangé quelques banalités de circonstance (« Bien dormi? »), puis notre small talk a rapidement cédé sa place au silence. 

On entendait juste le grésillement du bacon dans la poêle.

Je savais pas trop si notre silence était confortable ou malaisant. 

La ligne est mince, des fois.

La veille, j’étais pâmé sur les avant-bras de Marco. Mais ce matin-là, c’était surtout son cou et ses trapèzes qui me faisaient de l’effet.  

La lumière matinale éclairait ses clavicules avec une insistance particulière, comme pour dire : « Déposez vos becs ici. » 

En le regardant se faire à déjeuner, je me suis surpris à espérer qu’il fasse quelque chose de gossant. Non, vraiment, fallait qu’il pète ma bulle, parce que là, c’était insoutenable. 

Vite, Marco, montre-moi que t’es imparfait. Gosse-moi. Dis-moi que t’es fan d’Imagine Dragons, que t’es dans une ligue d’impro, n’importe quoi. 

Parce qu’un désir aussi ardent, c’est drainant. Drainant sur un moyen temps. 

Sérieux, est-ce que c’est normal d’être autant chamboulé par quelqu’un qu’on connaît depuis moins de 24 heures?


Là, je vais devoir faire comme dans les vues et sauter dans le temps.

Parce qu’il s’est écoulé deux mois avant qu’il se reproduise quelque chose d’intéressant avec Marco.

Deux mois durant lesquels j’ai attendu, en vain, qu’on recapture la magie de notre première soirée ensemble.

Deux mois durant lesquels je me suis passé un rasoir BIC dans la craque de fesses chaque soir, d’un coup qu’il aurait envie de me rendre visite. 

Mais il s’est rien passé. Rien, sauf des boutons de rasage et du désappointement. 

(Si Jane Austen avait écrit un livre sur notre relation, ça se serait appelé comme ça : Boutons & Désappointement.)

Marco semblait en mode « chum de gars » avec moi 98 % du temps. Sans ambiguïté. On jasait quand on se croisait dans l’appart, on écoutait des films une fois de temps en temps, on cuisinait mes recettes Goodfood en écoutant des chill low-fi beats to study to

Mais y’avait un 2 % restant.

Un 2 % durant lequel sa voix et son regard devenaient soudainement doux. 

Un 2 % durant lequel ses accolades de « bro » s’étiraient un peu trop longtemps. 

Un matin, il m’a même offert de goûter à son yogourt. Il était ben fier de sa coupe granola. Tellement fier qu’il m’a tendu sa cuillère pour que j’en prenne une bouchée.

Sérieux, QUI PARTAGE SON YOGOURT? 

Qui partage ses produits laitiers à moins de vouloir marier l’autre personne? 

C’était en masse pour que je me remette à planter des espoirs dans mon jardin intérieur.

J’aurais pu faire un move, mais en même temps j’avais trop peur de me faire revirer de bord et d’instaurer une ambiance malaisante dans l’appart.

C’est pas assez grand pour une ambiance malaisante. Être malaisé à Versailles, je veux ben, mais pas dans un 4 1⁄2. 

Pis au fond, je voulais juste que Marco soit bien. J’étais prêt à m’adapter pour lui. 

S’il a besoin d’un chum de gars, j’vas être là. S’il veut que je le reverse-cowgirl jusqu’aux aurores, j’vas être là aussi.


Je disais donc qu’il ne s’est rien passé d’intéressant pendant deux mois.

Jusqu’au 17 juin. Le soir de la panne d’électricité. 

J’étais dans ma chambre quand le courant a sauté. 

BAM. Pu de lumière. Mon diffuseur d’huiles essentielles a craché un dernier nuage d’eucalyptus dans l’obscurité avant de rendre l’âme. 

J’ai regardé par la fenêtre. La coupure de courant semblait avoir affecté le quartier au complet. Il faisait noir que chez l’loup. 

J’ai entendu Marco sortir de sa chambre. On s’était à peine croisés dans la journée, tous les deux absorbés par notre télétravail. Je suis allé le rejoindre dans la cuisine.

– C’est donc ben random, une panne en juin.

– Ouais. Vraiment random.

– Avoue.

(Ce soir-là, il était en mode « chum de gars ».) 

Pour nous occuper en attendant le retour de l’électricité, je lui ai proposé de jouer à Catane. J’ai même allumé une couple de chandelles pour éclairer la planche de jeu. Ça rajoutait au côté médiéval de l’affaire. 

Tandis que je lisais le feuillet avec les règlements, Marco s’est approché de moi sur le sofa. 

C’est là que son genou a touché le mien. Et pas juste un petit frôlement : son genou faisait quand même une bonne pression sur mon genou. Une pression continue.

On venait de rentrer dans l’autre 2 % de notre relation. Le 2 % dans lequel Marco faisait des gestes ambigus, comme souder son genou au mien sans raison apparente.

Ça m’a pris tout mon petit change pour faire comme si de rien n’était et continuer de lui expliquer les règles du jeu. 

Sauf qu’après 10 minutes d’explications, je me suis rendu compte d’un problème : il faut être minimum trois pour jouer à Catane.

À ce moment-là, son genou était toujours collé contre le mien.

– Cancelle le projet, j’ai dit. On trouve un autre jeu. 

– Stresse pas, a dit Marco. On peut prendre ça relax.

Difficile de prendre ça relax quand la somme de tous tes fantasmes est collée sur le sofa à côté de toi. 

Ça aurait pris une musique pour alléger l’ambiance, pour camoufler les battements de mon cœur. 

Je pensais à différents sujets de conversation quand j’ai entendu Marco dire : 

– C’tu moi ou y’a une tension?

– Une tension?

– Entre toi pis moi.

– Mmmm.

J’en revenais pas qu’il aborde le sujet. Sous l’effet du stress, j’ai décidé de jouer le gars innocent. 

Plutôt que de le regarder directement dans les yeux, j’ai pris une terre arable de Catane qui traînait sur la table, pis je me suis mis à la rouler entre mes doigts.

– Pis admettons qu’il y avait une tension… que j’ai dit. On penserait quoi de cette tension-là?

– On en penserait du bien, je pense. Faudrait juste s’assurer que la tension est ressentie par tout le monde. 

Sans quitter la terre arable des yeux, j’ai dit :

– Oui. Y’a peut-être un fond de tension.

– Ah oui?

Je saurai jamais ou j’ai trouvé le courage de lui dire : 

– Ouais. Parce que j’ai vraiment le goût de t’embrasser.

La suite est tellement évidente que j’aurais même pas besoin de l’écrire. 

On a frenché, oui, mais c’était pas sauvage comme dans les vues, quand deux personnages se sautent dessus.

On a commencé lentement, puis nos bouches ont pris de plus en plus d’assurance.

Puis je me suis retrouvé assis sur lui. 

Il y avait clairement un intérêt mutuel. Même que je sentais son intérêt gonfler contre le mien.

Marco a empoigné mes fesses avec ses mains. 

Il a enlevé mon chandail, puis le sien, puis il a plaqué son chest contre le mien. 

Je comprenais pas ce que je vivais. C’était comme si la panne d’électricité nous avait désinhibés. Comme si la noirceur nous avait donné le droit de plonger tête première dans notre 2 %.

Alors que ses mains se glissaient sous l’élastique de mes boxers, Marco m’a lancé un regard. Il attendait le feu vert avant d’aller plus loin.

En guise de réponse, je l’ai embrassé de plus belle. J’avais envie de l’embrasser partout, de parcourir toute la surface de son corps massif avec ma langue. J’en revenais pas qu’on puisse faire ça ensemble. J’avais envie de fusionner avec lui, peu importe la façon dont on allait le faire. 

Je sais toujours pas si c’est une bonne idée de m’embarquer là-dedans avec mon coloc. Faudra en discuter plus en profondeur. Mais ça peut attendre. On en jasera quand nos bouches seront libres.

  • Berscheid, E., Dion, K., Walster, E., & Walster, G. W. (1971). Physical attractiveness and dating choice: A test of the matching hypothesis. Journal of experimental social psychology, 7(2), 173-189.