J’ai la larme facile. Brailler, c’est ma marque de commerce. C’est peut-être la fatigue, ou la vie qui me rentre dedans, mais je suis une grosse ouate d’émotions.

Je me déverse de toutes mes larmes pour des annonces cutes de bébé qui font leurs premiers pas dans des couches confortables et élastiques; je pogne les sanglots avant, pendant et après mon syndrome prémenstruel; et j’ai déjà braillé pour une alarme d’iPhone.

Ouin. Une alarme. Lame de même. Il était 22 h. Je le sais, parce que c’est à cette heure-là que mon alarme sonne. Tous les jours, à la même heure, je me rappelle de soumettre mon corps aux obligations de la liberté.

On est un soir de semaine quelconque. Mon nouvel amour et moi, on vient de passer une soirée à se faire des yeux doux dans le parc. Il se fait tard, même si les dernières lueurs du crépuscule nous illuminent encore. C’est le fun pour ça, l’été. On se voit encore plus longtemps.

En tout cas. On passe la porte de son appartement. Un plafonnier reprend lentement la job du soleil et illumine sa tanière : un endroit pas super grand, mais correct confo.

Je suis fière de lui. Il possède un lit convenable et assez de serviettes pour qu’on n’ait jamais à en utiliser une humide. Je me dis : cet homme a les priorités aux bonnes places. C’est rassurant, me semble, de se sécher dans un tissu qui n’attend que nous. C’est important de se sentir choisie. Me semble. Je suis peut-être toute seule de ma gang, mais je choisis mes amants comme je choisis mes cours universitaires… pour leurs disponibilités. 

On s’avance dans l’appartement. On divague au sujet d’éventuels projets de soirée, même si tout le monde dans le trois et demie, c’est-à-dire nous deux et nos envies, sait pertinemment qu’on ne ressortira pas de sa chambre.

Ça fait quelque temps qu’on se voit, mais c’est encore assez nouveau pour qu’on ait envie de se faire jouir en boucle. Comme une toune fraîchement déposée au top de sa playlist qu’on fait jouer encore, et encore, et encore.

On se tient drette au juste milieu entre le désir de s’arracher notre linge et la confiance de savoir par où partir la patente.

Ses pas s’éloignent. Il s’enferme dans la salle de bain. Je jette un coup d’œil aux affiches sur ses murs, celles que j’ai déjà jugées sauvagement : Pink Floyd pis un autre band que je connais pas. On peut pas être original tout le temps.

J’ai le corps qui me shake, fébrile, un secret coincé entre mes jambes. La pharmacienne m’avait bien dit sept jours. J’ai compté mes dodos.

Ce soir, c’est soir de fête. J’ai enfilé mon beau bodysuit – non sans sacrer un peu, sérieux, c’est pas évident de mettre ça, y’a plein de straps qui sortent de partout… être designer de lingerie, crois-moi, ça se passerait pas de même, bref – je suis un cadeau à déballer lentement.

Dans mon corps, les hormones nous protègent. Notre plaisir est maintenant sans piège.

J’ai fait ça pour nous. Pour être cette chanson qu’on joue sur repeat, sans préparatifs, sans préservatif, sans se demander si on joue avec le feu.  

Il ressort de la salle de bain. Je me retourne vers lui. Deux larmes silencieuses me traversent les joues. Sous mes dix doigts, son téléphone vibre. Il est 22 h. Mon alarme résonne au fond de l’appartement, et dans mes mains, son alarme à lui. Comme un rappel de mon sacrifice, comme un rappel que c’est une pilule que je prends chaque jour à la même heure.

Il ne peut peut-être pas prendre cette dose d’oestrogènes à ma place. Il ne peut peut-être pas sacrifier son corps pour libérer nos orgasmes. Mais il fait au moins l’effort d’être présent, chaque jour, à la même heure.

Et ce soir-là, dans toutes les straps de mon déshabillé, je pleure doucement en me répétant : cet homme a les priorités à la bonne place.

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