« Est-ce que les vibrateurs peuvent nous désensibiliser? » et 3 autres mythes sur la masturbation

S’astiquer le poireau. Lire le braille. Faire pleurer le cyclope. Double-cliquer sur la petite souris. Tant d’expressions pour parler de la masturbation! 

Qu’elle soit plaisante et sensuelle – un petit bonbon rose qui vient briser la monotonie du quotidien – n’a pas empêché qu’on l’entoure de mille et une landmines. À travers les époques, on s’est moqué·e et méfié·e d’elle. Longtemps considérée comme la source de plusieurs maux sociétaux et de problèmes de santé physique et mentale, on l’a condamnée et pathologisée à travers l’histoire. Pauvre masturbation! Même son étymologie – manus (main) + stuprare (polluer) – est imprégnée de stigmatisation.

Mais ces accusations sont-elles justifiées?  

Un petit cours d’histoire

Au début du 18e siècle, on donne le nom d’« onanisme » à la masturbation pour faire allusion au péché d’Onan, un personnage de l’Ancien Testament qui avait désobéi à Dieu en pratiquant la méthode du retrait pour éviter de féconder la veuve de son frère. Parce que la masturbation est également une pratique sexuelle non procréatrice et donc qui « gaspille » le sperme, on avait trouvé que l’étiquette d’« onanisme » lui allait comme un gant. 

On jugeait la masturbation parce qu’elle ne servait qu’au plaisir et on en avait également extrêmement peur : on croyait qu’elle causait plusieurs maladies physiques et mentales incurables (oui, vraiment!). On pensait, par exemple, qu’elle pouvait rendre une personne sourde, aveugle et même démente (Horowitz, 2002)! 

La croyance que le self-love était dangereux pour la santé se basait principalement sur des traditions médicales grecques (Horowitz, 2002). Selon ces dernières, le corps serait composé, entre autres, de quatre fluides vitaux nommés les humeurs : le sang, la glaire, la bile jaune et la bile noire. On croyait que la santé d’une personne dépendait du maintien de la quantité et de l’équilibre des humeurs dans le corps.

On pensait aussi que ces humeurs avaient la capacité de se transformer en d’autres types de fluides. Par exemple, le sang était perçu comme la source du désir sexuel et on croyait qu’il devenait blanc lorsque sa température devenait assez élevée. Yep, on pensait que le sperme était du sang devenu blanc grâce à la chaleur du désir. I wish I was making this up!

Et parce que l’on supposait que les fluides vitaux ne se régénéraient pas, on croyait qu’éjaculer revenait à perdre 40 onces de sang à tout jamais!

Naturellement, pour prévenir le fléau de maladies entraînées par l’onanisme, diverses interventions ont été mises en place. Par exemple, croyant que l’envie de se masturber provenait de l’excitation des sens, le pasteur Sylvester Graham prônait le végétarisme et la privation d’alcool, d’épices et de sucre (Horowitz, 2002). Plus c’est fade, le mieux c’est! Dans le but d’adhérer à ce régime alimentaire fade et de minimiser l’« excitation », quelques-un·e·s de ses partisan·e·s ont inventé les biscuits Graham.  

De son côté, en plus d’avoir inventé les Corn Flakes, John Harvey Kellogg était le directeur d’un sanatorium dans lequel les personnes qui se masturbent « chroniquement » étaient traitées avec une bonne nutrition (bring on the Corn Flakes!), de l’exercice physique et… des lavements de rectum (oui, oui, tu as bien lu) (Horowitz, 2002). Plusieurs traitements extrêmes étaient également administrés aux patient·e·s plus « difficiles », dont la circoncision du pénis et l’application d’acide phénique sur le clitoris.

Heureusement, les médecins du 20e siècle se sont calmé·e·s le pompon et ont reconnu que les peurs et les croyances des 18e et 19e siècles vis-à-vis la masturbation n’étaient pas fondées. Mais, bien qu’on ait abandonné plusieurs croyances qui sont aujourd’hui considérées comme étranges et farfelues, de nouvelles ont pris place. 

Voici quelques mythes qui perdurent au sujet de la masturbation :

1. « La masturbation, c’est pour les personnes qui ne sont pas capables de se trouver de partenaire·s. »

Selon une recherche états-unienne menée auprès de presque 16 000 personnes (!!!), 45 % des gens en relation ont rapporté s’être masturbés au courant des deux dernières semaines, contre 55 % des personnes célibataires (Regnerus et al., 2017).

Il y a donc une petite différence, mais ces chiffres ne soutiennent pas la croyance selon laquelle seules les personnes sans partenaire·s se masturbent.  

Une des raisons pour laquelle plusieurs personnes se masturbent, indépendamment de leur statut relationnel, réside dans le fait que la masturbation ne comble pas toujours les mêmes besoins que les activités sexuelles à deux.

La raison número uno rapportée pour se caresser le velours ou faire vomir l’asticot est d’avoir du plaisir et des orgasmes (Bowman, 2014; Rowland et al., 2020). It just feels reeeeeally good. En plus, si c’est ce que l’on recherche, l’orgasme est beaucoup plus facile et rapide à atteindre quand on est seul·e. Comme l’adage le suggère, on n’est jamais mieux servi·e que par soi-même (ou par sa main!). Les gens rapportent aussi se masturber pour, entre autres, relâcher des tensions, se détendre, apprendre à connaître son corps, apaiser l’anxiété, réduire le stress ou faire passer le temps (Bowman, 2014; Rowland et al., 2020). 

En revanche, les parties de jambes en l’air peuvent combler une multitude d’autres besoins. No joke, une étude s’étant penchée sur la question a trouvé pas moins de 237 raisons et motivations poussant les gens à avoir des relations sexuelles, parmi lesquelles plusieurs sont difficilement comblées avec la masturbation (Meston et Buss, 2007), comme les besoins d’acceptation et d’appartenance, d’amour, de valorisation, de désirabilité, d’intimité et de connexion émotionnelle.

2. « Si une personne se touche pendant qu’elle est en relation, c’est qu’elle est insatisfaite de sa vie sexuelle. »

La question se pose : pourquoi choisir les plaisirs solitaires quand on a un·e partenaire consentant·e? Certaines personnes pensent que si une personne en relation se masturbe, c’est qu’elle est forcément en train de compenser un « manque » de relations sexuelles. À l’inverse, d’autres personnes croient que la masturbation complémente ou enrichit une vie sexuelle. Mais laquelle de ces hypothèses tient la route? 

Selon une immense recherche états-unienne, les hommes en relation seraient plus enclins à se masturber pour « compenser », tandis que les femmes le feraient plus pour « complémenter » leur vie sexuelle (Regnerus et al., 2017). Cependant, les associations entre la fréquence des relations sexuelles et la masturbation étaient plutôt faibles.

En revanche, la satisfaction vis-à-vis de la fréquence des relations sexuelles était beaucoup plus importante. Dit autrement, une personne insatisfaite de la fréquence de ses relations sexuelles se masturberait plus souvent qu’une personne qui en est satisfaite, que cette fréquence soit d’une ou de quatorze fois par semaine.  

One thing’s for sure : ce qui va driver une personne en relation à se masturber plutôt que d’attiser les braises du désir avec son ou sa partenaire est complexe, subjectif et dépend beaucoup de ses besoins dans le moment présent.

Ce n’est pas automatiquement un signe d’insatisfaction sexuelle de sa part! Donc si jamais tu pognes ton ou ta partenaire en train de se toucher, keep calm and move along. Il est fort probable qu’il ou elle voulait juste savourer un moment de self-love.  

3. « Si une personne se masturbe ‘‘trop’’ souvent, elle ne sera plus capable de venir pendant le sexe à deux. »

Cette croyance serait plus vieille qu’on ne le pense! Elle remonterait jusqu’au début du 20e siècle, quand Freud a affirmé que la masturbation pouvait mener à un développement psychosexuel « immature » et à une incapacité à établir de bonnes relations sexuelles et intimes avec un·e partenaire à l’âge adulte.

Notre ami Freud était surtout dans les patates (un développement psychosexuel « immature »? What does that even mean? ), mais il y a cependant une nuance de vérité à démêler de ses propos : bien que la difficulté à atteindre le septième ciel pendant les relations sexuelles ne serait pas liée au fait de se masturber ni à la fréquence de la masturbation, elle peut dans certains cas être liée à la manière particulière qu’une personne a de se masturber. Je m’explique. 

Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5; American Psychiatric Association, 2013), environ 1 à 4 % des personnes dotées d’un pénis rapportent une difficulté à atteindre l’orgasme pendant les galipettes malgré une stimulation sexuelle « adéquate ». Selon Michael Perelman (2014), chez plusieurs de ces personnes, cette difficulté provient de leur technique de masturbation, laquelle est difficilement reproductible par la main, la bouche, l’anus ou le vagin de leur·s partenaire·s, en raison de sa particularité en termes de vitesse, de pression, d’intensité, de durée ou du spot ciblé pour produire un orgasme. 

Mais, here’s the thing : selon cet expert, le « problème » n’est pas nécessairement le style de masturbation spécifique de ces personnes, mais plutôt leur manque de communication sexuelle. De manière presque universelle, ces personnes évitent de communiquer leurs besoins et leurs préférences à leur·s partenaire·s en raison de la honte ou de la gêne (Perelman, 2014).

Considérant que la plupart des gens rapportent valoriser le plaisir et l’orgasme de leur·s partenaire·s plus que le leur, et ce, indépendamment du genre (Opperman et al., 2014; Salisbury et Fisher, 2014), les chances sont bonnes que tes partenaires apprécieraient de savoir ce qui te fait plaisir. Certes, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais ça en vaut immensément la peine, promis! En cas de difficultés à communiquer malgré tout, les sexologues sont là pour aider!

De leur côté, environ 7 à 10 % des personnes dotées d’un vagin et d’un clitoris indiquent avoir de la difficulté à atteindre l’orgasme pendant les relations sexuelles (Simons et Carey, 2001) et, bien qu’il existe une multitude de facteurs pouvant compliquer l’atteinte du septième ciel , aucune recherche n’a trouvé que « trop » se masturber, ni même se masturber tout court, était l’un d’eux. Au contraire, une étude a même démontré que plus ces personnes incorporent dans leurs relations sexuelles les types de stimulations qu’elles exercent habituellement pendant la masturbation, plus elles atteignent l’orgasme avec leur·s partenaire·s (Rowland et al., 2020).    

4. « Good vibes only : les vibrateurs désensibilisent et rendent « accro ». »

Dans une étude qualitative états-unienne menée auprès de femmes n’ayant jamais auparavant utilisé de vibrateur, la plupart des participantes se sont aperçues que leur orgasme venait beaucoup plus rapidement et facilement (et parfois même plus intensément) avec l’utilisation d’un vibrateur (Marcus, 2011). Pour certaines de ces femmes, cette découverte était accompagnée d’une peur de devenir dépendantes au vibrateur ou de le préférer aux activités sexuelles « au naturel ». 

Cela dit, bien que l’on puisse développer une accoutumance à certains types de stimulation ou développer une préférence pour ces derniers, il ne s’agit pas d’une dépendance.

Chez plusieurs personnes, il est possible que la perception d’être dépendantes aux vibrateurs provienne simplement du fait que ces derniers ont tendance à être plus efficace pour produire un orgasme que des doigts ou des mains.  

Une autre bonne nouvelle : aucune étude ne démontre que les personnes qui se servent de vibrateurs développent un entrejambe engourdi à travers le temps. Selon une étude, plus de 70 % des femmes disent ne jamais avoir eu de symptômes génitaux négatifs en lien avec l’utilisation d’un vibrateur (Herbenick et al., 2009). Cependant, environ 17 % des femmes ont rapporté avoir expérimenté une désensibilisation, qui chez seulement 1 % de l’échantillon total a duré plus d’une heure ou plus d’un jour.

Donc, grosso modo, ces résultats suggèrent que les vibrateurs peuvent parfois causer une désensibilisation des organes génitaux, mais qu’elle n’est que temporaire dans la très grande majorité des cas.

Certaines personnes ont besoin d’une stimulation un peu plus intense et soutenue que ce que peuvent offrir un pénis, une main, une bouche ou des doigts, et, dans ces cas, il n’y a pas vraiment de danger (ni de honte!) à utiliser un vibrateur. La décision d’en incorporer un lors des contacts sexuels relève d’un choix personnel. You do you!

  • Bowman, C. P. (2014). Women’s masturbation: Experiences of sexual empowerment in a primarily sex-positive sample. Psychology of Women Quarterly, 38(3), 363-378. https://doi.org/10.1177/0361684313514855

    Herbenick, D., Reece, M., Schick, V., Sanders, S. A., Dodge, B. et Fortenberry, J. D. (2010a). Sexual behavior in the United States: Results from a national probability sample of men and women ages 14–94. The Journal of Sexual Medicine, 7, 255-265. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2010.02012.x

    Herbenick, D., Reece, M., Schick, V., Sanders, S. A., Dodge, B. et Fortenberry, J. D. (2010b). An event‐level analysis of the sexual characteristics and composition among adults ages 18 to 59: Results from a national probability sample in the United States. The Journal of Sexual Medicine, 7, 346-361. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2010.02020.x

    Herbenick, D., Reece, M., Sanders, S., Dodge, B., Ghassemi, A. et Fortenberry, J. D. (2009). Prevalence and characteristics of vibrator use by women in the United States: Results from a nationally representative study. The Journal of Sexual Medicine, 6(7), 1857-1866. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2009.01318.x

    Herbenick, D., Reece, M., Schick, V., Jozkowski, K. N., Middelstadt, S. E., Sanders, S. A., … et Fortenberry, J. D. (2011). Beliefs about women’s vibrator use: Results from a nationally representative probability survey in the United States. Journal of Sex & Marital Therapy, 37(5), 329-345. https://doi.org/10.1080/0092623X.2011.606745

    Horowitz, H. L. (2002) Rereading sex: Battles over sexual knowledge and suppression in ninteenth-century America. Knopf.

    Jawed-Wessel, S., Herbenick, D. et Schick, V. (2017). The relationship between body image, female genital self-image, and sexual function among first-time mothers. Journal of Sex & Marital Therapy, 43(7), 618-632. https://doi.org/10.1080/0092623X.2016.1212443

    Laqueur, T. (1990). Making sex: Body and gender from the Greeks to Freud. Harvard University Press.

    Marcus, B. S. (2011). Changes in a woman’s sexual experience and expectations following the introduction of electric vibrator assistance. The Journal of Sexual Medicine, 8(12), 3398-3406. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2010.02132.x

    Meston, C. M. et Buss, D. M. (2007). Why humans have sex. Archives of sexual behavior, 36(4), 477-507. https://doi.org/10.1007/s10508-007-9175-2

    Opperman, E., Braun, V., Clarke, V. et Rogers, C. (2014). “It feels so good it almost hurts”: Young adults’ experiences of orgasm and sexual pleasure. The Journal of Sex Research, 51, 503-515. https://doi.org/10.1080/00224499.2012.753982

    Perelman, M. A. (2014). Delayed ejaculation. Dans Y. M. Binik et K. S. K. Hall (Éds.), Principles and practice of sex therapy (5e éd., pp. 138-155). The Guilford Press.

    Reece, M., Herbenick, D., Sanders, S. A., Dodge, B., Ghassemi, A. et Fortenberry, J. D. (2009). Prevalence and characteristics of vibrator use by men in the United States. The Journal of Sexual Medicine, 6(7), 1867-1874. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2009.01290.x

    Reece, M., Rosenberger, J. G., Schick, V., Herbenick, D., Dodge, B. et Novak, D. S. (2010). Characteristics of vibrator use by gay and bisexually identified men in the United States. The Journal of Sexual Medicine, 7(10), 3467-3476. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2010.01873.x

    Regnerus, M., Price, J. et Gordon, D. (2017). Masturbation and partnered sex: Substitutes or complements?. Archives of Sexual Behavior, 46(7), 2111-2121. https://doi.org/10.1007/s10508-017-0975-8

    Rowland, D. L., Kolba, T. N., McNabney, S. M., Uribe, D. et Hevesi, K. (2020). Why and how women masturbate, and the relationship to orgasmic response. Journal of Sex & Marital Therapy, 46(4), 361-376. https://doi.org/10.1080/0092623X.2020.1717700

    Rowland, D. L., Hevesi, K., Conway, G. R. et Kolba, T. N. (2020). Relationship between masturbation and partnered sex in women: Does the former facilitate, inhibit, or not affect the latter?. The Journal of Sexual Medicine, 17(1), 37-47. https://doi.org/10.1016/j.jsxm.2019.10.012

    Salisbury, C. M. A. et Fisher, W. A. (2014). “Did you come?” A qualitative exploration of gender differences in beliefs, experiences, and concerns regarding female orgasm occurrence during heterosexual sexual interactions. The Journal of Sex Research, 51, 616-631. https://doi.org/10.1080/00224499.2013.838934

    Schick, V., Herbenick, D., Rosenberger, J. G. et Reece, M. (2011). Prevalence and characteristics of vibrator use among women who have sex with women. The Journal of Sexual Medicine, 8(12), 3306-3315. https://doi.org/10.1111/j.1743-6109.2011.02503.x

    Silva, E., Pascoal, P. M., et Nobre, P. (2016). Beliefs about appearance, cognitive distraction and sexual functioning in men and women: A mediation model based on cognitive theory. The Journal of Sexual Medicine, 13(9), 1387-1394. https://doi.org/10.1016/j.jsxm.2016.06.005

    Simons, J. S. et Carey, M. P. (2001). Prevalence of sexual dysfunctions: Results from a decade of research. Archives of Sexual Behavior, 30(2), 177-219. https://doi.org/10.1023/A:1002729318254 

    Willis, M., Jozkowski, K. N., Lo, W. J. et Sanders, S. A. (2018). Are women’s orgasms hindered by phallocentric imperatives?. Archives of Sexual Behavior, 47(6), 1565-1576. https://doi.org/10.1007/s10508-018-1149-z

Si la lecture de cet article a titillé ta curiosité, il y a un épisode de notre balado À quoi tu jouis? consacré entièrement à la masturbation.