Comment toucher un trou noir : sexe et dépression

Ces jours-ci, mon petit corps contient le double de ses feelings et la moitié de sa libido. Pour me rassurer, je me convaincs que les choses n’ont pas tant changé. Le terrain est demeuré le même. Je m’étends encore dans des tâches humides, je n’ai que troqué ma mouille pour mes larmes. C’est tout aussi salé, juste un tantinet moins sexy. On fait avec ce qu’on a. C’est juste qu’on n’a pas grand-chose.

On a un poids dans le torse, une boule dans la gorge, des milliers d’aiguilles dans les pores de peau. L’idée de couchailler me hausse le cœur. J’ai le mal des transports, et chaque caresse est une traversée du Canada dans un cul de pick up. Je ne sais plus faire la différence entre une main et du papier sablé. Comme on dit : ça va mal à la shop.

Je me retourne le dos creux contre le drap contour. Un autre dimanche à n’être pas sortie la veille. La déprime dort dur dans mes nerfs. Elle prend tellement de place que j’en redoute les amours tactiles.

Je voudrais juste qu’on me flatte les cheveux en pyjama, mais ça s’écrit mal dans une bio Tinder. Jeune femme recherche linge mou. Je swipe pour me distraire, mais je n’invite plus d’amour temporaire à la maison. J’ai trop peur d’une catastrophe.

Entre mes jambes, un trou noir qui ne veut voir personne. NE VA PAS METTRE TA MAIN AU GOUFFRE. Des plans pour ne jamais la revoir vivante, et attachée à ton bras. Rien ne m’illumine… j’ai ouï-dire que c’était coutume chez les trous noirs.

Je suis de plus en plus pleine de vide. Où est-ce qu’on met les pensées cochonnes dans ce temps-là? Où est-ce qu’on met ses désirs dans ce temps-là?

Mes côtes s’affaissent dans un soupir. Je confirme : la dépression adore dormir en cuillère. Elle adore se mouler à toutes les courbes de nos corps, et s’assure de ne laisser aucun millimètre disponible pour les caresses des autres.

Ma coloc cogne à ma porte. Appelons la June. Ma coloc, pas la porte. June, parce que le mois de juin me donne tellement plus envie d’exister que les autres.

Elle se faufile dans ma chambre. Je ne sais pas ce à quoi June se bute. La vision doit s’apparenter à un grand corps flottant au milieu d’un lit queen trop grand, trop vide, trop rien. Elle s’étend à mes côtés comme on prend place aux côtés d’un chat mi-mort, mi-vivant. Je suis Schrödinger. Je suis sexu, et sans sexe.

Je dis : « J’aimerais ça avoir envie de fourrer. »

Je dis : « J’aimerais ça avoir envie de fourrer, ça justifierait le besoin d’être touchée. »

Parce que c’est ça, mon problème, June : j’existe à la frontière d’une contradiction. Mon corps est l’abysse et la montagne, la chute et l’immobile.

J’ai peur des bras ouverts, mais je m’ennuie de la chaleur des autres. J’aimerais qu’on me regarde en salivant, mais je suis pas une épaisse. Je sais que mon corps s’est muté en popsicle trop frette qui donne mal aux palettes quand tu croques dedans. Je me sens lentement devenir une statue de marbre.

June, qui qui a envie de frencher une statue de marbre? La dépression a fait de moi cette belle affaire qu’on regarde de loin, mais que personne n’ose toucher… parce que, de toute manière, on ne peut pas fourrer ça, une statue de marbre.  

June étire les cinq doigts de sa main droite. L’aplat de sa paume se pose sur la mienne.  

Et ça, ça me prenait

juste

ça.

  • Berdychevsky, L., Nimrod, G., Kleiber, D. A., & Gibson, H. J. (2013). Sex as leisure in the shadow of depression. Journal of Leisure Research, 45(1), 47-73.

    Hamzaoui, S., Maamri, A., Ouanes, S., Meziou, O., & Zalila, H. (2016). Évaluation de la fonction sexuelle chez les femmes consultant pour un premier épisode dépressif majeur. Sexologies, 25(4), 166-172.

    Nimrod, G., Kleiber, D. A., & Berdychevsky, L. (2012). Leisure in coping with depression. Journal of Leisure Research, 44(4), 419-449.

    Organisme mondial de la santé (2021). Dépression. Consulté le 14 janvier 2022. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/depression