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Comment faire l’amour à une personne en situation de handicap?

Avertissement : Photos explicites

L’odeur de la transpiration est suffisante pour exciter Stephen. L’idée de lécher des pieds féminins qui ont eu chaud, encore plus. Et que dire des cunnilingus. J’ai discuté de sexe et de handicap avec Stephen, un homme de 58 ans qui a appris à faire l’amour avec sa tête avant de le faire avec son corps.

« Pour mon médecin, je suis un homme. Pour ma blonde aussi. Sauf que contrairement à tous les hommes que je connaisse, moi, on me demande si je bande. »

Stephen avait 10 ou 12 ans lorsqu’il a dû accepter qu’il ne pourrait plus jamais monter des escaliers ou jouer au hockey dans la ruelle de son enfance. Victime d’une myélite transverse, il s’est réveillé du jour au lendemain sans l’usage de tout ce qui se situait en bas de ses aisselles. Résultat : il est devenu une des personnes les plus populaires de son école, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’on le verrait toujours comme étant la personne en fauteuil roulant et pas comme l’amant avec qui on rêve secrètement de partager son intimité.

« On m’a toujours dit que l’amitié entre les hommes et les femmes n’existait pas. Comme je me suis lié d’amitié avec plusieurs femmes, je me suis souvent demandé si elles acceptaient d’être mes amies parce qu’elles n’avaient pas envie de moi en raison de ma situation. »  

Érection, cunnilingus, sueur et fétichisme des pieds

Stephen arrive à bander. De préférence le matin. Mais pas n’importe quand ni n’importe comment. Comme il ne ressent pas le toucher sur la plupart des parties de son corps, il explique que tout le plaisir sexuel qu’il éprouve passe par les sensations qu’il obtient à travers ses mains et sa langue, par ce qu’il voit et par les odeurs qu’il hume.

« Je ne sens pas ma main sur mon pénis, mais je sens mon pénis dans ma main. Je ne sens pas non plus le jet de mon sperme lorsque j’éjacule, mais je ressens l’orgasme quelque part dans mon bas-ventre. Et quand ma conjointe me fait une fellation alors que je suis sur le point de jouir, mes orgasmes sont dix fois plus gros. »

Stephen peut éjaculer en se masturbant lui-même. Il peut aussi atteindre l’orgasme lorsque sa conjointe lui fait une fellation et qu’il est déjà sur le point de jouir. Il aime qu’on lui serre très fort les testicules, et lorsqu’on le fait, il ressent un petit frisson. Il explique d’ailleurs que s’il aime particulièrement cela, c’est parce que les sensations sont tellement fortes qu’elles dépassent la barrière de son handicap.

Stephen aime sexter et faire l’amour au téléphone. Il adore faire aller sa langue et ses lèvres sur le sexe d’une femme et peut donner des cunnilingus d’une heure sans se fatiguer. Il aime sentir, caresser et lécher les pieds d’une femme; encore plus lorsqu’ils sont longs et que les orteils le sont aussi. Mais rares sont les fois dans sa vie où il a été capable de faire l’amour par pénétration. À cause de cela, il a longtemps remis en question qui il était, jusqu’à se dire qu’il n’était pas un vrai homme… et pourtant.

Pour casser l’image qu’on se faisait de lui, il a un jour demandé à une amie de l’université de le prendre en photo le sexe à découvert. 

Crédits : Marie-Claude Lambert

Vivre sa sexualité les yeux ouverts

Stephen ne ferme jamais les yeux pendant ses ébats amoureux. Son regard est attentif du début à la fin : « Si je ferme les yeux pendant que ma blonde caresse mon sexe, je ne peux pas savoir si c’est ce qu’elle est en train de faire ou si elle lit plutôt un livre. » 

Il qualifie sa sexualité de « voyeuse » et explique que son désir s’enclenche lorsque sa vision, son odorat, ses mains, sa langue ou ses lèvres entrent en contact avec des seins, des pieds, des aisselles, un sexe ou un anus. 

C’est un peu ce qui explique la difficulté à tenir son érection lors d’une pénétration : s’il ne voit pas son sexe en pleine action, son désir s’efface complètement. Il explique d’ailleurs que les maigres fois où il a pu tenir quelques secondes lors d’une pénétration, c’est parce que sa partenaire, assise sur lui, prenait le temps de lever son bassin pour lui laisser voir son sexe entrer en elle.

Une sexualité en majuscules 

En couple, Stephen vit très bien avec sa sexualité et ses partenaires aussi. Son coup de langue et ses lèvres ont d’ailleurs amenés de nombreux orgasmes aux trois femmes avec lesquelles il a partagé sa vie amoureuse et intime. C’est dans les yeux des autres qu’il s’est parfois senti comme « pas assez ». « Pas assez » homme. « Pas assez » fort. « Pas assez » séduisant. « Pas assez », tout court.

« Moi, je suis bien avec qui je suis, mais il m’est arrivé à plusieurs reprises de sentir qu’on ne me considérait pas comme un vrai homme, juste parce que je suis en fauteuil roulant. »

Du haut de son véhicule de déplacement, Stephen a une vie sexuelle trépidante. Et celles avec qui il l’a construite sont les premières à le dire.

« Si j’avais un conseil à donner, ce serait pour les personnes qui ne sont pas en situation de handicap et qui font l’amour avec du monde comme moi. Je leur dirais d’être à l’écoute de leur partenaire parce qu’on est tou[·te·]s différent[·e·]s, et qu’on est tou[.te.]s capables de dire ce qu’on aime. » 

  • Ancet, P. (2010). Virilité, identité masculine et handicap. Handicap, identité sexuée et vie sexuelle, Éditions Érès, Toulouse, 157-170.

    Brodwin, M. G., & Frederick, P. C. (2010). Sexuality and societal beliefs regarding persons living with disabilities. Journal of Rehabilitation, Washington, 76(4), 37–41.

    Dupras, A. (2014). La sexualité des hommes en situation de handicap comme quête d’identité et de reconnaissance. Vst – Vie Sociale Et Traitements, 123(3), 44–44. https://doi.org/10.3917/vst.123.0044 

    Fournier, J. (2020). Expériences du handicap et de la sexualité: Entendre, comprendre pour penser et agir. Toulouse, France: Érès. https://doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.3917/eres.fourn.2020.01 

    Garofalo Geymonat, G. (2019). Disability rights meet sex workers’ rights: the making of sexual assistance in europe. Sexuality Research and Social Policy, 16(2), 214–226. https://doi.org/10.1007/s13178-019-0377-x